par Robert A. Duce1, James N. Galloway2 et Peter S. Liss3
Introduction
Le transfert dans l’océan d’éléments chimiques provenant de l’atmosphère exerce de longue date un impact sur ces océans (sources de nutriments, influence sur le pH, par exemple). Avec l’arrivée de l’Anthropocène, le transfert de certaines substances chimiques a augmenté, dépassant les niveaux naturels et le transfert de nouveaux éléments a débuté. Ce bref article passe en revue l’impact de l’augmentation du transfert de certains nutriments (azote, fer et phosphore), de certaines toxines (plomb et mercure) ainsi que d’éléments régulateurs du pH (gaz carbonique) sur les écosystèmes et le climat des océans.
Ce sujet fait l’objet d’études depuis plus de 100 ans et les premiers articles étaient axés sur le gaz carbonique (Bolin, 1960). Vers la fin des années 60 et dans les années 70 un grand nombre de travaux ont été effectués sur différentes substances (par exemple, Murozumi et al., 1969; Goldberg, 1971). Le Groupe mixte d’experts de l’ONU chargé d’étudier les aspects scientifiques de la protection de l’environnement marin (GESAMP) a produit une série d’études sur ce sujet et publié une étude approfondie (GESAMP, 1989; Duce et al., 1991). Deux autres rapports du GESAMP (GESAMP, 1991; GESAMP, 1995) ont relié les transferts vers la surface de l’océan au changement global (Liss et Duce, 1997). L’OMM, qui a appuyé la fondation du GESAMP dès l’origine, s’efforce actuellement, par le biais du programme de la Veille de l’atmosphère globale, de mettre en place une base de données intégrée sur le transfert des éléments chimiques de l’atmosphère vers l’océan (www.wmo.int/pages/prog/arep/gaw/gesamp.html). Un nouveau Groupe de travail GESAMP (groupe N° 38, soutenu par l’OMM, l’Organisation maritime internationale, le Conseil international pour le Comité scientifique de la recherche océanique du Conseil international pour la science et l’Agence suédoise pour le développement international) a récemment été constitué pour traiter la question de l’apport atmosphérique de produits chimiques dans l’océan dans son intégralité.
... aucune région des océans n’échappe à l’action de l’Homme ... et cette influence ne fera que s’intensifier dans l’avenir à mesure que la population de la planète et l’utilisation des ressources par habitant continuent d’augmenter. |
La réception par une partie donnée de l’océan d’un apport atmosphérique susceptible d’altérer les processus biogéochimiques dépend de plusieurs facteurs. Trois des facteurs importants sont la réactivité des matériaux déposés; le temps de résidence des produits chimiques dans l’atmosphère et les systèmes de transport atmosphérique, en fonction des sources anthropiques, c’est-à-dire le lieu d’émission des produits chimiques, le temps qu’ils restent dans l’atmosphère et ce qu’ils font une fois transférés dans l’océan. Ces facteurs sont abordés dans les paragraphes ci-après.
Le temps de résidence d’un polluant dans l’atmosphère est peut être le facteur le plus critique lorsqu’il s’agit de déterminer s’il va y avoir un transport important de cet élément vers la haute mer. De manière générale, si une substance a un temps de résidence bref, c’est-à-dire de quelques jours, elle n’est transportée qu’à échelle locale ou régionale. Les substances ayant des temps de résidence de l’ordre de quelques semaines peuvent être transportées à l’échelle d’un hémisphère, alors que celles qui ont des temps de résidence de plus d’un ou deux ans peuvent être transportées sur l’ensemble du globe.
Les substances présentes sur des particules, comme la plupart des métaux lourds et les poussières, ont généralement des temps de résidence brefs (de quelques jours à quelques semaines), et leur élimination, soit par dépôt humide soit par dépôt sec sur la surface des océans, se fait généralement à l’échelle locale ou régionale, en particulier près du littoral pour les sources terrestres ou près des grandes routes maritimes pour les éléments provenant des navires. C’est également le cas des gaz réactifs dont les temps de résidence sont brefs. Les gaz persistants comme le gaz carbonique et certains polluants organiques persistants (POP), qui ont des durées de vie de plusieurs décennies dans l’atmosphère, sont répartis de manière plus uniforme à la surface du globe et leur apport dans l’océan est en grande partie indépendant de la répartition des sources.
Transport des nutriments vers les océans
Fer et poussières
Le fer (Fe) est un oligo-élément essentiel aux organismes marins photosynthétiques et, pour quelque 30 % des eaux de surface des océans, soit essentiellement une grande partie des océans des régions australes, il constitue le nutriment qui limite la productivité biologique primaire (Martin, 1990). La source primaire de fer en haute mer est le dépôt à partir de l’atmosphère étant donné que les quantités de fer importantes amenées par les fleuves dans les océans sont en grande partie éliminées par les sédiments proches des côtes (Jickells et al., 2005; Mahowald et al., 2005). Le fer est essentiellement présent dans les poussières minérales d’origine terrestre, principalement en provenance des régions arides.
C’est Martin (1990) qui a été à l’origine d’un regain d’intérêt pour le fer et il a également suggéré que par le passé, durant certaines périodes, lorsque des quantités plus importantes de poussières minérales, et donc de fer, avaient été transportées vers les océans, l’augmentation de la productivité biologique marine qui en était résultée avait entraîné un rabattement accru de gaz carbonique, affectant ainsi le climat. Les déserts et les terres arides occupent actuellement environ un tiers de la surface des continents de la planète. Ces régions sont extrêmement sensibles aux changements climatiques et à d’autres changements à l’échelle du globe, ce qui est susceptible de modifier le flux de particules minérales entre la surface des continents et l’atmosphère. La figure 1 présente les dépôts atmosphériques de fer au niveau mondial.
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Figure 1— Dépôt moyen de poussières atmosphériques (g cm2/an) (tiré de Jickells et al., 2005) |
Du fait de sa faible solubilité dans des eaux oxygénées, le fer est présent à de très faibles concentrations dans les océans. Au plan biogéochimique, le fer utilisé comme oligo-élément est le fer soluble. Le contenu des poussières du sol en fer est en moyenne de ~3,5 %, mais la solubilité dans l’eau de mer du fer contenu dans les poussières de sol est très faible, généralement comprise entre <1 % et 2 %. Toutefois, la mesure de la solubilité du fer dans les échantillons d’aérosols minéraux indique une solubilité plus élevée qui pourrait provenir de la transformation des aérosols lors de leur transport au-dessus des océans (Jickells et Spokes, 2001).
Parmi les facteurs qui déterminent la solubilité du fer des aérosols figurent la photochimie, notamment la photoréduction de Fe III en Fe II, et l’environnement acide des aérosols minéraux, en particulier durant la transformation des aérosols dans les nuages (Jickells et Spokes, 2001). Nous savons que les émissions de précurseurs d’acides tels que le dioxyde de soufre et l’oxyde d’azote ont plus que doublé du fait des activités anthropiques et les émissions d’oxyde d’azote devraient continuer à augmenter (Dentener et al, 2006).
Pour l’essentiel, les particules de poussières minérales ont un diamètre compris entre 0,1 et 10 µ m, et un diamètre moyen de ~2µm. Leurs durées de vie en permettent le transport sur des milliers de kilomètres, puis le dépôt dans les océans (voir la figure 1). La production des poussières, leur transport et leur dépôt dans les océans dépendent de facteurs climatiques qui affectent les courants ascendants, la vitesse du vent et les précipitations (importantes pour l’élimination des particules). Les activités humaines pourraient avoir augmenté la production de poussières atmosphériques dans des proportions allant jusqu’à 50 % (Mahowald, Engelstaedter et al., 2009).
La suggestion de Martin (1990) selon laquelle le fer est un nutriment restrictif dans de vastes zones de l’océan a conduit à une série d’expériences d’adjonction de fer à méso-échelle conçues pour tester cette hypothèse. Ainsi que l’ont indiqué Boyd et al. (2007), ces expériences «révèlent que l’apport en fer exerce un contrôle sur la dynamique des efflorescences de plancton, ce qui affecte alors les cycles biogéochimiques du carbone, de l’azote, du silicium et du soufre, influençant ainsi le système climatique de la planète».
Azote et phosphore
Tous les organismes de notre planète ont besoin d’azote mais moins de 1 % de toutes les espèces biologiques sont capables de convertir l’azote moléculaire ubiquiste (N2) en azote réactif biodisponible (Nr). Du fait de sa rareté, l’azote est souvent le nutriment restrictif des terres agricoles, des forêts et des herbages ainsi que des écosystèmes côtiers et de pleine mer. En principe, les humains ont résolu le problème des limites imposées par l’azote dans les terres agricoles en produisant des engrais azotés. Néanmoins, étant donné que la plus grande partie de l’azote utilisé pour la production alimentaire et la totalité de l’azote réactif produit par la combustion des combustibles fossiles se perd dans l’environnement, des quantités importantes d’azote réactif s’échappent vers des systèmes naturels, y compris les écosystèmes terrestres et marins.
L’atmosphère est le principal vecteur de distribution de l’azote réactif d’origine anthropique dans l’environnement mondial. Au milieu des années 90, environ 40 % de l’azote réactif créé par les activités anthropiques était rejeté dans l’atmosphère. D’ici 2050, ce chiffre sera de 50 %. De ce fait, excepté pour les écosystèmes côtiers (pour lesquels les fleuves représentent une importante source d’azote réactif), le dépôt depuis l’atmosphère est le principal processus d’apport d’azote réactif aux écosystèmes naturels terrestres et marins (Galloway et al., 2008).
Chose qui n’est pas surprenante, le dépôt d’azote réactif par l’atmosphère a augmenté de manière substantielle avec l’arrivée de l’ère industrielle et de l’agriculture intensive. En 1860, le dépôt d’azote réactif dans la plupart des océans était inférieur à 50 mg N m2/an et n’était supérieur à 200 mg N m2/an que dans un très petit nombre de régions. La plupart des dépôts dans l’océan provenaient de sources naturelles et les sources anthropiques ne touchaient que quelques régions côtières. Dès 2000, le dépôt au-dessus de vastes zones océaniques dépassait les 200 mg N m2/an, atteignant même plus de 700 mg N m2/an dans de nombreuses régions. Des panaches de dépôt intense s’étendent loin sous le vent des grands centres de population d’Asie, d’Inde, d’Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu’autour de l’Europe et de l’Afrique de l’Ouest (figure 2) (Duce et al., 2008).
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Figure 2 — Dépôt total d’azote réactif de l’atmosphère en 2000, en mg m2/an (tiré de Duce et al., 2008) | |
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Le dépôt d’azote réactif de l’atmosphère s’approche désormais de la fixation de l’azote moléculaire du fait de l’augmentation radicale de la composante anthropique. Ces quantités accrues d’azote atmosphérique anthropique fixé qui pénètrent en haute mer pourraient représenter jusqu’à un tiers de l’apport extérieur d’azote (non recyclé) à l’océan et jusqu’à 3 % de la nouvelle production biologique marine annuelle, ~0,3 petagrammes de carbone par an.Cet apport pourrait être responsable de la production de jusqu’à ~1,6 teragrammes d’oxyde nitreux par an. Bien que 10 % environ de l’aspiration de gaz carbonique anthropique de l’atmosphère par les océans puisse résulter de cette fertilisation par l’azote atmosphérique, entraînant ainsi une diminution du forçage radiatif, près des deux tiers de ce volume pourraient être compensés par l’augmentation des émissions d’oxyde nitreux, lequel est un gaz à effet de serre. Sur la base des scénarios d’émissions anthropiques futures, la contribution de l’azote réactif anthropique de l’atmosphère à la production primaire pourrait approcher les estimations actuelles de la fixation mondiale d’oxyde nitreux d’ici 2030 (Duce et al, 2008).
Outre l’azote et le fer, le phosphore (P) peut également être une substance nutritive à effet restrictif en haute mer. Une étude récente (Mahowald, Jickells et al., 2009) suggère qu’il y aurait une perte nette de phosphore total à partir de nombreux écosystèmes terrestres et un gain net de phosphore total par les océans (560 Gg P/an). Les aérosols minéraux constituent la source dominante de phosphore total à l’échelle du globe (82 %), et les particules biogéniques primaires et les sources de combustion (12 et 5 %, respectivement) sont impor tantes dans les zones non poussiéreuses. On estime que la moyenne des apports anthropiques dans les océans, calculée au plan global, représente respectivement ~5 % et 15 % pour le phosphore total et les phosphates, et pourrait contribuer jusqu’à 50 % au dépôt au-dessus de l’océan oligotrophe, où la productivité peut être limitée par le phosphore. Mahowald, Jickells et al. (2009) réfléchissent également au fait que l’injection accrue d’azote anthropique dans les océans pourrait aussi faire passer certaines régions du statut de régions limitées par la disponibilité en azote à des régions limitées par le phosphore.
Transport de métaux toxiques vers les océans
Plomb
Les activités humaines ont conduit au rejet dans l’atmosphère de grandes quantités d’un métal lourd toxique, le plomb (Pb). Ce plomb se trouve sur de minuscules particules submicrométriques et peut être transporté sur des milliers de kilomètres, avant de se déposer dans l’océan. Les fonderies et autres installations industrielles constituent d’importantes sources de plomb mais jusqu’à récemment la source principale du plomb contenu dans l’atmosphère était la combustion de carburants contenant du plomb tetraéthyle. Le dépôt par l’atmosphère de plomb d’origine anthropique a conduit à une augmentation mesurable des concentrations de plomb dans les eaux de surface des océans.
Bien que ce phénomène soit particulièrement notable dans l’Atlantique Nord, il y a 20 ou 30 ans il était déjà visible dans le Pacifique Sud (Patterson et Settle, 1987). Le plomb est l’un des quelques métaux dont le dépôt atmosphérique a affecté la concentration à la surface de l’océan de manière observable. Toutefois, avec l’élimination du plomb dans les carburants des véhicules à moteur, l’apport dans les océans a diminué de manière significative au cours des 20 à 30 dernières années (Huang et al., 1996; Wu et Boyle, 1997). La figure 3 montre les concentrations de plomb dans l’atmosphère et à la surface des océans auxBermudes ou au voisinage des Bermudes depuis le début des années 70 et quasiment jusqu’en 2000. La diminution du plomb atmosphérique se reflète dans une diminution analogue du plomb à la surface des océans. Des résultats analogues ont été observés près de Hawaï. étant donné le faible temps de résidence du plomb dans l’océan (~10-20 ans), les modifications des flux d’apport atmosphérique ont été reflétées relativement vite dans les concentrations des eaux de surface.
Mercure
Il est désormais bien établi que le dépôt atmosphérique est la principale source du mercure (Hg) présent dans l’océan (Mason et Scheu, 2002). La plus grande partie du mercure de l’atmosphère est présente sous forme de mercure élémentaire gazeux, même si l’on trouve également du mercure ionique en phase gazeuse. La forme première du mercure déposé dans l’océan est le mercure ionique bivalent (Hg2+) contenu dans les précipitations, mais le dépôt sec de mercure ionique en phase gazeuse peut également être important (Fitzgerald et al., 2007). On a estimé qu’au cours des 200 dernières années, les activités humaines avaient fait augmenter la charge atmosphérique globale de mercure d’un facteur de cinq, conduisant à une augmentation des apports de mercure dans l’océan durant cette période (Slemr et Langer, 1992). En ce qui concerne le mercure atmosphérique, les activités humaines dominent clairement par rapport aux sources continentales naturelles. Toutefois, l’appor t de mercure à l’océan pourrait en fait être en diminution dans certaines régions : il semblerait que, dans la colonne d’eau des couches supérieures de l’océan près des Bermudes, le mercure pourrait avoir diminué d’un facteur d’environ deux entre 1979 et 2000 (Mason et Gill, 2005).
Le mercure est hautement toxique et cette toxicité s’est exprimée à plusieurs reprises dans les régions côtières, à commencer par l’épisode tristement célèbre de la Baie de Minamata. S’il n’existe pas de preuves démontrant que le mercure des eaux de surface de la haute mer ait eu des effets toxiques, d’importants éléments probants montrent que certains poissons des régions de haute mer présentent une concentration en mercure suffisante pour être nuisible pour les humains s’ils consomment une trop grande quantité de ce poisson. étant donné la bio-accumulation de mercure dans les poissons, il est nécessaire de collecter davantage de données sur les taux de dépôt de cette substance et la mesure dans laquelle ils subissent l’influence des activités humaines.
Gaz carbonique et acidification des océans
Avec l’augmentation du gaz carbonique (CO2) due aux activités humaines, la quantité de gaz carbonique dissout dans les océans augmente également. Depuis le début de l’industrialisation, environ la moitié du gaz carbonique d’origine anthropique rejeté dans l ’atmosphère s’est dissous dans les océans. étant donné que le pH de l’eau de mer (environ 8,2 ± 0,3) est déterminé par l’équilibre entre les substances alcalines (basiques) dissoutes qui entrent dans les océans par l’érosion des terres sous l’effet des phénomènes météorologiques et la dissolution du gaz carbonique de l ’atmosphère (produisant de l’acidité ou des ions hydrogène (H+) dans l’eau), une augmentation du gaz carbonique de l’atmosphère rendra l’eau de mer plus acide. Dans le même temps, la concentration en ions carbonates (CO32-) va chuter, de sorte que les organismes auront du mal à fabriquer leurs coquilles de carbonate de calcium (CaCO3), étant donné qu’ils dépendent de la sursaturation due à la concentration en ions carbonates.
Depuis la montée en puissance de l’industrialisation, on a calculé que le pH de la surface des océans avait diminué de 0,1 unité de pH, soit une augmentation de 30 % de la concentration des ions hydrogènes. Si l’on suppose ce que sera le niveau de gaz carbonique de l’atmosphère dans l’avenir, il est possible de calculer que, d’ici la fin de ce siècle, le pH de l’eau de mer en surface pourrait fort bien être réduit de 0,5 unités de pH, ce qui correspond à une augmentation de 300 % de la concentration en ions hydrogènes par rapport à l’ère pré-industrielle.
Cette augmentation dépasse largement la gamme de variation naturelle indiquée plus haut et le pH prévu est probablement inférieur à celui qui a prévalu depuis plusieurs centaines de milliers d’années—voire davantage. En outre, le taux d’augmentation des ions hydrogènes a été bien plus rapide que tout ce qu’ont connu les océans sur cette période (Royal Society, 2005). Face à ce changement profond et rapide de l’équilibre acide/ base de l’eau de mer, quelles sont les implications pour la vie biologique, l’écologie marine et les rétroactions biogéochimiques, y compris la capacité même des océans à absorber le gaz carbonique d’origine anthropique?
Les coraux sont un exemple évident d’organismes largement répandus qui secrètent du carbonate de calcium et ils seront probablement affectés de manière négative par la moindre disponibilité des ions carbonates dans un monde à plus forte concentration en dioxyde de carbone. Ceci ajoutera à l’effet de l’augmentation de la température de la mer qui semble déjà affecter les coraux dans les eaux tropicales. En outre, les phytoplanctons microscopiques dont les structures sont faites de carbonate de calcium (courants dans les océans) seront également désavantagés (voir figure 4). Par contraste, le plancton qui forme ses structures en fixant le carbone pourrait profiter de la disponibilité d’un supplément de carbone provenant de l’augmentation du gaz carbonique. En fait, ceci pourrait même être aussi la situation d’organismes secrétant du carbonate selon une étude récente (Iglesias-Rodriguez et al., 2008) qui a trouvé des indications de calcification accrue sur une espèce de phytoplancton en condition de diminution du pH de l’eau de mer. Tous ces effets risquent d’être plus prononcés dans les océans des régions australes, où la faible température de l’eau conduit à une plus grande dissolution du gaz carbonique. De toute évidence, les organismes répondront et/ou s’adapteront de différentes manières à la diminution du pH de sorte que l’augmentation de l’acidité conduira presque certainement à des changements dans la biodiversité marine.
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Figure 4 — Images prises au microscope électronique à balayage de coccolithophoridés développés dans des situations de forte et de faible concentration en gaz carbonique, correspondant à des niveaux de gaz carbonique d’environ 300 ppmv a)-c) et de 780-850 ppmv d)-f). On notera la différence entre la structure des coccolithes (y compris les malformations) et le degré de calcification des cellules selon qu’elles se sont développées à des niveaux de gaz carbonique normaux ou élevés (de Riebesell et al., 2000). |
Des changements devraient également se produire dans la capacité des océans à absorber le gaz carbonique, l’addition d’acidité conduisant à une diminution des ions carbonates qui confèrent à l’eau de mer une grande partie de sa capacité naturelle à absorber le gaz carbonique. En conséquence, les océans absorberont une moindre quantité du gaz carbonique émis dans l’atmosphère, ce qui pourrait avoir en retour un effet important sur le réchauffement de la planète. D’autres gaz importants pour le climat et la qualité de l’air, comme le sulfure de diméthyle et les composés organo-halogénés risquent également d’être affectés par la modification, due au changement de pH, des micro-organismes de l’eau de mer qui les produisent et qui se trouvent dans les couches d’eau proches de la surface.
L’oxyde de soufre et l’oxyde d’azote sont également d’autres gaz acides qui se forment dans la combustion des combustibles fossiles. Tout comme le gaz carbonique, ils se dissolvent également dans l’eau pour former des solutions acides—en fait, ils constituent généralement des générateurs d’acide plus puissants. Doney et ses collègues (2007) rendent compte d’un exercice de modélisation réalisé pour évaluer l’importance relative du dioxyde de carbone par rapport à l’oxyde de soufre et à l’oxyde d’azote et concluent que, pour les océans de la planète, le dioxyde de soufre pèse largement plus que les deux autres oxydes.
Les systèmes de géo-ingénierie conçus pour exercer un effet modérateur direct sur le changement climatique (tels que les miroirs spatiaux, l’injection de particules dans la stratosphère) ne résoudront en rien le problème d’acidification des océans. Le seul moyen réaliste d’exercer un tel effet consiste à diminuer la quantité de dioxyde de carbone rejeté dans l’atmosphère. Bien que la chimie physique qui explique le rôle du dioxyde de carbone dans l’eau de mer soit simple, l’effet de la diminution du pH sur la vie biologique dans les océans et les rétroactions sur le système mondial sont loin d’être clairs. De ce fait, ce sujet demande à être étudié d’urgence de manière plus approfondie; d’ailleurs, plusieurs grands programmes de recherche sont actuellement en cours ou doivent être engagés sous peu.
Conclusion
Le transport atmosphérique d’éléments chimiques vers les océans fait l’objet d’études depuis plus d’un siècle. Le temps a permis d’observer que l’atmosphère était une source essentielle de nutriments, de toxines et d’acides. On a également relevé qu’aucune région des océans n’échappait à l’influence des activités humaines et que cette influence allait s’accroître à l’avenir tant avec l’augmentation de la population de la planète qu’avec celle de l’utilisation des ressources par habitant.
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1. Departments of Oceanography and Atmospheric Sciences, Texas A&M University, College Station, TX 77845, États-Unis d’Amérique
2. Department of Environmental Sciences, University of Virginia, Charlottesville, VA 22904, États-Unis d’Amérique
3. School of Environmental Sciences, University of East Anglia, Norwich NR4 7TJ, Royaume-Uni