Bloqués en mer durant la période de restrictions liées à la COVID-19

En mars, l’équipage, le personnel et les chercheurs du RV Polarstern, un navire de recherche allemand, se sont retrouvés bloqués à bord et ont dérivé dans les glaces de l’Arctique, alors que les restrictions liées à la COVID-19 rendaient pratiquement impossibles les rotations prévues de personnel. Deux employés du DWD, Robert Hausen, météorologue, et Christian Rohleder, technicien météo, ont vécu cette expérience. Voici leur histoire.

 

Robert Hausen and Christian Rohleder in front of RV Polarstern

Robert Hausen (à gauche) et Christian Rohleder (à droite) devant le RV Polarstern (9 avril). Météo parfaite après la tempête: les deux Twin Otters ont atterri près du Polarstern pour aller chercher des scientifiques qui ne pouvaient rester plus longtemps pour des raisons personnelles (22 avril).

Le Polarstern ne quitte jamais le port sans sa station météorologique embarquée du DWD, et ce fut le cas le 5 novembre 2019, lorsque ce brise-glace destiné aux recherches scientifiques partit de Tromsø, en Norvège. Pendant cette expédition MOSAiC d’une durée de plus de 13 mois, il était prévu de changer cinq fois l’équipage, les scientifiques et le personnel météorologique du DWD.

«En tant que partenaire de longue date de l’Institut Alfred Wegener (AWI), le DWD est ravi de soutenir cette expédition, unique du point de vue météorologique, en détachant ses collaborateurs expérimentés à bord du navire», avait annoncé M. Gerhard Adrian, Président du DWD et également Président de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). «Cette expédition encouragera la recherche sur le temps et le climat dans le monde entier en apportant de précieux renseignements sur les processus physiques de l’Arctique, qui prennent de l’importance dans le contexte du changement climatique actuel».

 

Des journées bien remplies

Lors des expéditions MOSAiC, le RV Polarstern dérive avec les glaces dans une zone où les données relatives aux prévisions météorologiques sont rares. Les données nécessaires pour établir des comptes rendus météorologiques à bord parviennent au navire par des connexions à très faible bande passante avec des satellites de communication en orbite polaire. La station météorologique embarquée dispose d’une antenne de réception permettant de recevoir des images en temps quasi réel des satellites météorologiques en orbite polaire. De plus, des radiosondes embarquées transmettent, lors de leurs ascensions, des données indispensables à l’établissement des prévisions météorologiques de l’expédition.

 

Changeover in the weather station office: meteorologist Julia Wenzel (DWD) hands over control to Robert Hausen (02 March).

Changement de personnel au bureau de la station météorologique: la météorologue Julia Wenzel (DWD) passe le relais à Robert Hausen (2 mars).

Le rôle du météorologue à bord est de fournir des prévisions météorologiques au capitaine, au chef d’expédition et à l’équipage de l’hélicoptère, afin de garantir le déroulement sûr et efficace de l’expédition. Le technicien météo est responsable des capteurs météorologiques de la station et des lancements quotidiens de radiosondes. Il aide les météorologues à bord à recueillir, traiter et préparer des données météorologiques.

In the white-out of the Arctic: Robert Hausen

Dans le voile blanc de l’Arctique: Robert Hausen (à gauche) (10 mars).

«Pour le personnel de la station météorologique, cela signifie se lever tôt, tous les jours, sans exception», rapporte M. Hausen, «établir les rapports du matin, se réunir avec le capitaine, le scientifique en chef et le pilote, surveiller en permanence la météo, consulter et interpréter les dernières données des satellites et des modèles, fournir des avis météorologiques pour toutes les activités sur la glace, préparer l’exposé pour la réunion du soir et mettre à jour les rapports météorologiques le soir», telle est la description, en style télégraphique, qu’il donne d’une journée de travail à bord du Polarstern. Et d’ajouter: «Ces activités ne peuvent être menées à bien que grâce au travail de notre technicien météo à bord, et à celui des nombreux collègues du DWD, qui fournissent, depuis l’Allemagne, des données supplémentaires pour nous aider à élaborer des prévisions météorologiques à bord tout au long de la journée, en particulier pour les vols».

Plus précisément, ce sont les comptes rendus de météorologie aéronautique pour l’équipage de l’hélicoptère embarqué qui nécessitent le plus de temps et d’efforts. Ils portent sur les conditions météorologiques des décollages et des atterrissages ainsi que sur les conditions de vol au-dessus de la glace. Les éléments clés sont la hauteur de la base des nuages, la visibilité et le risque de givrage, ainsi que l’évaluation des conditions météorologiques propices à un voile blanc, afin de déterminer si le pilote de l’hélicoptère pourra voir la ligne d’horizon pendant le vol et/ou identifier la topographie de la surface de la neige.

Scientists in sea fog on the floe

Des scientifiques dans le brouillard marin sur la banquise (23 mars) (en haut à gauche). Toujours présente: une équipe de caméramen de la société de production cinématographique et télévisuelle allemande UFA, ici en train d’interviewer Robert Hausen (à gauche) sur la banquise (23 mars) (en bas à gauche). Sans les avis des météorologues, les vols de l’hélicoptère embarqué, qui a transporté activement les équipements et les appareils de mesure sur la banquise, auraient été impossibles (25 mars) (à droite).

L’emploi du temps quotidien du technicien météo est tout aussi chargé. «La première tâche du matin est de vérifier que les capteurs météorologiques à bord fonctionnent correctement. Cela signifie qu’il faut sortir du bureau de la station météorologique et aller sur le pont par tous les temps et par tous les vents», explique M. Rohleder. «Le météorologue a alors immédiatement besoin des données météorologiques pour le compte rendu du matin. Outre les observations météorologiques que nous prenons en charge, nous recevons la plupart des données des bureaux du DWD établis à Offenbach ou à Hambourg. Toutes les observations doivent être transmises régulièrement, toutes les trois heures. En outre, il y a les ascensions des radiosondes, qui sont effectuées quatre fois par jour et, dans des situations météorologiques particulières, jusqu’à huit fois par jour. Il peut même arriver que nous lancions un ballon météo supplémentaire avant le décollage d’un hélicoptère afin d’obtenir des données actualisées et de tenir les pilotes informés de la météo pendant leur vol. Plus tard dans la journée, j’assiste à nouveau le météorologue pour préparer la réunion du soir, qui consiste à passer en revue la météo de la journée écoulée, mais, surtout, à discuter du temps du lendemain. Et pour cela, nous avons besoin de données mises à jour».

Le Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine de l’AWI fournit tous les capteurs embarqués sur le RV Polarstern. Cependant, l’entretien, les petites réparations ou le remplacement des capteurs défectueux sont du ressort du technicien météo. Les réparations majeures, notamment sur le mât du navire, sont effectuées en collaboration avec les ingénieurs en électronique qui se trouvent à bord.

 

Bloqués à bord

Robert Hausen (sitting left in the front) with the helicopter team on the floe (09 April).
Robert Hausen (assis à gauche au premier plan) avec l’équipe de l’hélicoptère sur la banquise (9 avril).

MM. Hausen et Rohleder étaient dans la troisième des cinq rotations de l’expédition. Ils sont partis de Tromsø à bord du brise-glace russe Kapitan Dranitsyn le 27 janvier 2020, mais ils ont mis plus de quatre semaines à atteindre le Polarstern. «Immédiatement après avoir pris la mer, nous avons souffert d’un premier retard. Les fortes tempêtes qui font rage dans la mer de Barents nous ont obligés à attendre pendant environ une semaine dans un fjord que le temps s’améliore. Après un court passage en eau libre, nous nous sommes lancés le 7 février dans une traversée difficile, à travers des glaces souvent pluriannuelles, au nord de la Terre François-Joseph. La distance à parcourir pour rejoindre le RV Polarstern, qui dérivait un peu au nord de 88° N, était de plus de 600 kilomètres. Certains jours, la pression de la glace sur le navire était si forte que nous n’avancions que de quelques kilomètres et que nous avons commencé à douter d’arriver un jour. Nous sommes parvenus à la position finale prévue pour la rotation de personnel le 28 février, avec environ deux semaines de retard sur la date prévue», a expliqué M. Hausen.

«Nous venions tout juste de nous installer sur le Polarstern lorsque la pandémie de COVID-19 a pris des proportions incroyables. Le nombre d’infections, de décès et de restrictions a augmenté de façon fulgurante», se souvient M. Hausen. «Les images des centres-villes déserts de Berlin, Londres, Rome, Madrid, New York, etc., semblaient si surréalistes. Je ne pouvais pas y croire, je ne savais pas quoi en penser. Puis c’est ici, à bord du navire, que nous avons regardé notre chancelière fédérale, Mme Angela Merkel, faire son discours [le 18 mars]. Par la suite, plusieurs réunions de crise se sont tenues, au cours desquelles les possibilités de remplacement du personnel à bord ont été écartées les unes après les autres – en partie parce que notre piste d’atterrissage était insuffisamment développée du fait de la dynamique de la glace et en partie à cause des restrictions strictes imposées par la crise de la COVID-19. À la mi-mars, il était clair que nous ne pourrions pas rentrer chez nous en avril et probablement pas en mai non plus – si l’expédition MOSAiC se poursuivait. Au début, ce fut un choc!». Il était prévu au départ que la troisième équipe retourne en Allemagne le 5 avril.

M. Torsten Kanzow, professeur à l’AWI et alors chef d’expédition sur le Polarstern, a ajouté: «Les personnes ayant une famille ont essayé, autant que possible, de rester en contact avec elle par téléphone satellitaire et par e-mail. En tant que chef d’expédition, j’ai entendu les inquiétudes et les préoccupations des personnes à bord et je les ai communiquées à l’équipe de coordination du projet et à l’AWI. De cette façon, nous avons ensuite pu retrouver un peu plus de sécurité quant à la planification».

Sept membres ont finalement pris l’avion le 22 avril – leur situation personnelle ne leur laissant pas d’autre choix que d’interrompre leur participation au projet. Le personnel du DWD a alors dû surmonter certaines difficultés. «Une semaine avant le départ des deux Twin Otters de la station de Nord, au Groenland, initialement prévu le 19 avril, nous avons fourni aux pilotes et à l’équipe logistique de l’AWI des prévisions détaillées et mises à jour quotidiennement. En plus de nos propres données, nous avons reçu des prévisions d’aérodrome (TAF) de la station de Nord et nous leur avons renvoyé des messages d’observation météorologique d’aérodrome (METAR) ainsi que des prévisions d’aérodrome Polarstern (PAF)», a expliqué M. Hausen. «Mais au lieu d’avancer comme prévu, un système dépressionnaire a persisté de jour en jour ainsi que d’une sortie de modèle à l’autre. Deux ou trois jours avant le 22 avril, des signes ont montré que le vol pourrait finalement devenir possible. Toutefois, les conditions de voile blanc ont perduré jusqu’à la veille. C’est seulement le matin même qu’il a été possible de marquer la piste sur la banquise sur une longueur de plus de 400 mètres. La météo a joué le jeu et les deux Twin Otter ont décollé de la station de Nord, au Groenland, avec laquelle nous étions en contact permanent, et ont atterri près du Polarstern un peu plus de deux heures plus tard».

Portrait of Christian Rohleder (12 April).
Portrait de Christian Rohleder (12 avril).

Les activités de recherche sur la banquise se sont poursuivies avec beaucoup d’enthousiasme malgré tous les défis et les préoccupations des participants. À partir du 25 mars, les travaux ont été effectués à la lumière constante de la journée polaire. Presque toute la troisième équipe est restée et a poursuivi ses tâches avec un dévouement sans faille.

Lorsque les membres de l’équipe ont compris qu’ils resteraient probablement à bord deux mois de plus, ils ont réagi de manières très différentes. «Certaines personnes à bord étaient si absorbées par leurs tâches scientifiques quotidiennes que, même après une si longue période, elles préféraient ne pas partir du tout. D’autres auraient aimé retrouver leur famille sans attendre. Mon collègue Christian Rohleder et moi-même avons continué notre travail comme d’habitude, en équipe et avec une grande motivation. Nous devions accepter la situation telle qu’elle était, il n’y avait tout simplement pas d’autre solution», a déclaré M. Hausen. «Beaucoup d’attention était accordée à notre bien-être physique et la nourriture était variée et savoureuse. Après le travail, nous avions de nombreuses possibilités de détente. Nous pouvions aller à la salle de sport ou au sauna, ou bien jouer au water-polo, au ping-pong ou au baby-foot». Mais la situation a fini par leur peser: «Après quelques mois, nous avons lentement commencé à nous sentir épuisés physiquement et, surtout, mentalement. De plus, il nous semblait que la situation chez nous pouvait changer brusquement à tout moment. Apprendre à gérer l’incertitude fut probablement l’une des choses les plus difficiles que nous ayons eue à affronter».

«Nous avons regardé les mises à jour quotidiennes sur la COVID-19 aux actualités avec beaucoup d’inquiétude», a précisé M. Rohleder. «Personne ne pouvait prévoir l’évolution de la crise. La seule chose dont nous étions sûrs était que, sur le navire, nous ne pouvions pas tomber malades de la COVID-19 – mais qu’en était-il de nos familles? Cette question est devenue une priorité absolue pour moi le 31 mars, lorsque ma fille m’a dit par WhatsApp qu’elle avait le virus. En tant qu’infirmière, elle était très exposée depuis le début, mais le risque est alors devenu une réalité. Pendant les dix jours qui ont suivi, elle a lutté contre la maladie. Même après cela, elle a été testée positive à plusieurs reprises et, au final, sa quarantaine a duré 45 jours! Vous vous sentez tout simplement impuissant alors que vous êtes si loin et que vous attendez nerveusement des informations de Bremerhaven sur la suite de l’expédition».

 

Nouveau plan de réapprovisionnement: rendez-vous en mer au large du Spitzberg

Au départ, il était prévu que la quatrième équipe arrive en grande partie par les airs pour prendre le relais de la troisième équipe. L’idée était de construire une piste d’atterrissage sur la banquise où le Polarstern était amarré. Les avions servant au transport du personnel et du matériel à destination, puis au départ, du Polarstern devaient décoller et atterrir à Longyearbyen, sur le Spitzberg. Ce plan a cependant été contrecarré par la pandémie de COVID-19 et par la dynamique de la banquise. Enfin, il a été possible de passer à la phase suivante de l’expédition en élaborant d’autres plans de réapprovisionnement, avec le soutien du Ministère fédéral de l’éducation et de la recherche (BMBF), de la Fondation allemande pour la recherche (DFG) et des partenaires de la flotte de recherche allemande, et grâce au dévouement de la troisième équipe MOSAiC.

Finalement, le changement s’est fait en mer avec les navires de recherche allemands Sonne et Maria S. Merian. Ces deux navires étaient rentrés en Allemagne peu de temps auparavant en raison des restrictions imposées pour atténuer la pandémie. Ils sont donc partis ensemble de Bremerhaven. Le RV Polarstern a quitté la banquise à la mi-mai pour rejoindre le Sonne et le Maria S. Merian, dans les eaux calmes au large du Spitzberg, à la fin du mois de mai. «Mais, une fois de plus, nos plans ont été bouleversés lorsque nous avons dû lutter contre la glace compacte pluriannuelle et que nous n’avons guère trouvé de grandes zones libres de glace. L’échange d’une centaine de personnes au total et le réapprovisionnement en fret et en fournitures ont finalement eu lieu dans l’Isfjord, près de Longyearbyen», a indiqué Hausen. Le RV Polarstern est ensuite retourné sur la banquise pour poursuivre son expédition arctique. Plusieurs instruments de mesure avaient été laissés sur la glace pour que les observations puissent se poursuivre de manière autonome quand le Polarstern a viré vers le sud pour l’échange, mais d’autres avaient été démontés et ont dû être remis en place.

Des directives de sécurité détaillées, établies en étroite coordination avec les autorités sanitaires allemandes et norvégiennes, avaient permis l’échange de personnel et le réapprovisionnement. La quatrième équipe de l’expédition a été mise en quarantaine contrôlée en Allemagne pendant les 14 jours qui ont précédé le départ et elle a été testée à plusieurs reprises pour le coronavirus pendant cette période.

Il a alors été décidé qu’il n’y aurait qu’un seul autre échange de personnel en raison du retard qui avait été pris. Indépendamment de cela, l’expédition s’est terminée à la mi-octobre comme prévu.

 

Polarstern received occasional visits from polar bears

Peu avant le départ pour le Spitzberg: le matériel est récupéré sur la banquise et hissé à bord. À côté du bastingage, vous pouvez voir l’un des deux abris météo, qui sont la propriété du DWD et font partie de l’équipement de la station météo (14 mai).

 

Enfin de retour à la maison

La troisième équipe était enfin sur le chemin du retour. La traversée a été un peu difficile le long de la côte norvégienne puis elle est devenue calme. «Au début, ne rien faire était très agréable, mais ensuite, nous ne voulions qu’une chose, arriver à la maison», a ajouté M. Hausen. Tous les membres de l’équipe sont arrivés sains et saufs à Bremerhaven le 15 juin. De là, ils sont rentrés directement dans leur famille.

Lorsque M. Rohleder est arrivé à Bremerhaven, son premier souhait fut un retour tranquille en train. «C’était tellement étrange et inhabituel de voir des gens avec des protections pour le nez et la bouche dans la rue ou de s’asseoir derrière une paroi de protection dans le taxi pour la gare», a-t-il rapporté. Robert Hausen a partagé les mêmes impressions, avant de conclure: «Ma famille est venue me chercher à la gare. Les revoir enfin après cinq mois de séparation a été pour moi un sentiment bouleversant. Mais ce qui reste en fin de compte, c’est le souvenir d’une période passionnante et inoubliable, avec des hauts et des bas, mais où le positif l’emporte clairement. Une fois que vous avez appris à connaître et à aimer les régions polaires, vous êtes fasciné à jamais».

 

À propos de Robert Hausen et de Christian Rohleder

Robert Hausen est un météorologue diplômé. Il est employé au DWD depuis le 1er novembre 2009. Il a travaillé deux fois à la station Neumayer, en Antarctique, en tant que météorologue prévisionniste pour le réseau DROMLAN (Réseau logistique aérien de la Terre de la Reine-Maud). Il a également été météorologue à bord des navires de recherche allemands Meteor et Polarstern.

Christian Rohleder est un technicien météo. Il travaille au DWD depuis 33 ans. Jusqu’en 1990, il était membre du Service météorologique de l’ancienne République démocratique allemande, qui a été intégré au DWD à la réunification de l’Allemagne. Il a participé à de nombreuses missions sur les navires de recherche Meteor et Polarstern.

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