Nous vivons dans une économie des services. Les avancées scientifiques et technologiques survenues au siècle dernier, dans le domaine du calcul et du traitement de l’information surtout, se sont conjuguées à la mondialisation du commerce pour nous faire passer d’une économie de la transformation à une économie des services. La prestation de services spécialisés est aujourd’hui l’un des principaux moteurs du développement de nombreuses nations. L’OMM entend elle aussi renforcer son action dans ce domaine, par l’entremise de la nouvelle Commission des services et applications se rapportant au temps, au climat, à l'eau et à l'environnement.
Les météorologistes rappelleront que leur discipline s’est toujours attachée principalement à procurer des services: diffusion des tout premiers avis de tempête par l’amiral Fitzroy en 1861, préparation de messages météorologiques et de prévisions d’aérodrome à l’appui de l’aviation naissante, publication de bulletins et de cartes météo dans les journaux, offre de sites et d’applications sur le Web. La majorité de ces produits, issus souvent de la condensation d’informations, étaient placés dans le domaine public sans trop savoir l’usage qu’en faisaient les bénéficiaires.
Qu’apportera de plus la nouvelle Commission des services? Un changement d’orientation – rassembler dans une seule et même source accessible et fiable toutes les informations et connaissances sur le temps, le climat et l’eau dont ont besoin les décideurs. On peut définir la prestation de services intégrés comme la fourniture de toutes les informations utiles pour faire des choix compte tenu de l’emplacement, du moment et du contexte décisionnel. Avant d’étudier plus avant les services intégrés en météorologie, nous devons nous attarder sur les notions de décision et de choix.
Prendre des décisions
Le cinéma hollywoodien a idéalisé l’image des personnes en position d’autorité: le chef d’état-major qui décide quand lancer une attaque; les rebelles qui choisissent le lieu d’une embuscade; l’enquêteur qui permet d’éviter un crime de justesse. Dans la vraie vie, la plupart des décisions – et des gens qui les prennent – sont beaucoup moins spectaculaires. Il n’en reste pas moins que le processus est important pour le bon fonctionnement de la société et pour la protection des citoyens.
La météorologie intervient à des degrés divers dans une foule de décisions prises chaque jour. Les réseaux de transport ont absolument besoin d’informations sur le temps, par exemple pour décider de saler les routes en hiver, assurer la circulation des trains en été ou prendre des décisions quotidiennes dans les secteurs «classiques» de la navigation maritime et de la circulation aérienne. La production d’électricité, l’approvisionnement en eau potable, le traitement et le rejet des eaux usées, la production d’aliments, l’élevage de bétail – des décisions sont prises chaque minute dans ces domaines, et dans beaucoup d’autres, qui ont une incidence sur nos sociétés et bénéficieraient d’informations météorologiques. À cela s’ajoute les petites décisions que nous prenons chaque jour sur notre habillement, notre mode de déplacement, nos achats de nourriture, etc. qui, ajoutées l’une à l’autre, ont une incidence majeure.
Faire des choix
Pour que des décisions soient prises, il doit exister des choix. Il est important de savoir que beaucoup de choix reposent sur des informations très éloignées de la météorologie. Ces éléments doivent être jaugés et examinés relativement aux facteurs météorologiques afin de prendre des décisions éclairées. Rien de nouveau à cela: il y a plus de deux mille cinq cents ans, le grand stratège chinois Sun Tzu énonçait les cinq critères qui détermineront l’issue d’une bataille:
- L’autorité politique;
- Les conditions météorologiques;
- Les caractéristiques du terrain;
- La qualité du commandement;
- La discipline des troupes.
À l’évidence, le temps doit faire partie de l’ensemble des variables qu’un responsable peut être amené à étudier. D’où la notion de «service météorologique». Fournir un produit consiste à remettre un bout de papier sur lequel est indiqué le temps qu’il fera. Procurer un service va bien au-delà, il faut ajouter la possibilité de discuter du contenu du bout de papier, la compréhension par le prévisionniste des options qui s’offrent et des limites qui s’imposent au décideur, l’interprétation de la prévision à la lumière de ces options et limites, et la présentation d’alternatives réalistes qui pourraient intéresser le décideur.
Procurer des services
La météorologie englobe bien plus que le temps. La notion de services climatologiques a occupé le devant de la scène pendant la troisième Conférence mondiale sur le climat organisée en 2009 par l’OMM, qui a vu la création du Cadre mondial pour les services climatologiques. En fait, les climatologues procuraient depuis des années des services aux planificateurs et autres décideurs, mais l’essor de la modélisation élargit l’assise des services climatologiques. Avec la prévision probabiliste du temps qui s’étend jusqu’au mois et à la saison, on dispose aujourd’hui des bases voulues pour établir des prévisions qui vont de quelques minutes à plusieurs siècles, sans discontinuité.
À cela s’ajoute l’intérêt croissant porté à l’hydrologie. Les études montrent sans cesse que les crues sont les principaux facteurs de dommages et de pertes économiques causés par les phénomènes naturels et que l’approvisionnement en eau est une préoccupation grandissante dans le secteur de l’agriculture, du fait des changements climatiques. Un autre danger étroitement lié à la météorologie est la pollution de l’air, qui s’accentue dans les mégalopoles. La sauvegarde de l’environnement, en tant qu’élément essentiel à la «qualité de vie», tout en favorisant le développement économique est le grand défi du XXIe siècle.
Les divers domaines d’étude de la météorologie – le temps, le climat, l’eau, l’océan, la qualité de l’air, la qualité de l’environnement – ont chacun leur propre histoire et évolution. Pour le décideur, tous sont des facettes de la météorologie – des éléments du milieu naturel qui subissent à un degré ou l’autre l’effet de l’état de l’atmosphère.
Fournir des services intégrés
D’où la nécessité de fournir des «services intégrés» – modèle dans lequel l’utilisateur ou le décideur reçoit d’une source fiable toutes les informations et connaissances dont il a besoin. Pour les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN), le défi est de rassembler en un même point une foule de savoirs disparates. La prestation de services intégrés exigera, pour beaucoup, la création de partenariats avec des organismes dont les responsabilités sont complémentaires. Dans de nombreux pays par exemple, les services publics chargés des aléas naturels détiennent énormément de données et une vaste expérience auxquelles il n’est pas toujours facile d’accéder, même pour d’autres organismes gouvernementaux. S’agissant de la gestion des situations d’urgence, où les décisions peuvent avoir de lourdes conséquences dans la société, les responsables n’ont souvent (généralement, en fait) pas accès à toutes les informations cruciales.
Les SMHN peuvent être parmi les premiers à organiser et procurer des services intégrés. La plupart d’entre eux œuvrent dans le domaine depuis des décennies et témoignent d’une nette orientation vers les services. Par leur présence dans les médias classiques et en ligne, beaucoup sont connus de la population et disposent des outils et liens voulus pour transmettre avec efficacité les prévisions et avis aux utilisateurs. Ils ont gagné la confiance du public – un atout précieux pour la prestation de services. Les SMHN sont donc bien placés pour transmettre leurs services et les services complémentaires de leurs partenaires par un même canal, en général un site Web ou une application de téléphone intelligent.
Une approche intégrée exige énormément de travail technique pour faire concorder les formats et uniformiser la présentation et la conception graphique, de sorte que le décideur puisse facilement utiliser l’information. Il faut résoudre des difficultés de taille pour réunir les informations de nombreuses sources, de manière à avoir une vision globale du contexte décisionnel, puis procurer les services intégrés dans un format commun ou par une interface capable de fournir les informations de la manière choisie par l’utilisateur.
Les avancées scientifiques et technologiques apportent heureusement des solutions. En météorologie, l’élaboration de services de prévision et d’avis sans discontinuité axés sur les impacts progresse rapidement. De façon générale, l’arrivée de l’intelligence artificielle et la capacité de gérer les mégadonnées offrent les moyens techniques de contextualiser l’information météorologique jusqu’au niveau de chaque utilisateur. De la même manière que les sites Web et les applications téléphoniques nous proposent des produits ou des services qui correspondent «étrangement» à notre profil d’utilisateur, un prestataire de services météorologiques intégrés pourrait en savoir assez sur nous (avec notre accord) pour nous offrir des informations et des conseils personnalisés. Des outils d’information aussi puissants devront être nettement orientés vers le public.
Services intégrés offerts par les secteurs public et privé
Les principaux décideurs – gestionnaires des situations d’urgence, agents de transport, producteurs d’énergie, ingénieurs de la voirie, conseillers agricoles, etc. – ont besoin d’un autre niveau de prestation de services. Leurs décisions ont de vastes et profondes ramifications dans la société. L’élément personnel est crucial dans la prestation de services à ces clients. Il est essentiel de tisser des liens avec les décideurs et de bâtir une confiance au fil du temps. La personne qui assure la liaison pour le compte du SMHN et des partenaires devrait connaître le domaine et les contraintes du décideur.
Ce correspondant a bien sûr besoin de soutien, n’étant pas expert dans tous les domaines sur lesquels il pourrait être consulté. Il doit pouvoir échanger rapidement avec des prévisionnistes, climatologues, hydrologues, analystes de la qualité de l’air, etc. pour bien interpréter, clarifier et contextualiser l’information scientifique souvent complexe destinée au décideur. D’excellentes aptitudes à communiquer sont indispensables.
L’urbanisation rapide, conjuguée à la complexité et à l’interdépendance croissantes des éléments d’infrastructure essentiels à une société citadine, nécessite – et donne l’occasion – d’étendre la portée et le ciblage des services météorologiques destinés au public. Ces derniers devraient bénéficier de modes de prestation en constante innovation et de connaissances scientifiques du plus haut niveau sur le temps, l’eau et l’atmosphère.
Les prestataires du secteur privé – souvent à l’avant-garde de l’innovation et de la personnalisation des services – devront relever les mêmes défis. Outre les catégories habituelles d’utilisateurs, beaucoup de «nouveaux» domaines s’intéressent aujourd’hui aux informations météorologiques et hydrologiques – assurance, commerce de détail, secteur financier, entre autres. La fourniture entre entreprises d’informations météorologiques précises et spécialisées présente des possibilités quasi infinies.
Se préparer à l’avenir
La météorologie a réalisé d’impressionnants progrès depuis quatre ou cinq décennies. Notre capacité de déceler, mesurer, comprendre et prévoir les phénomènes et les événements atmosphériques serait incroyable pour ceux qui travaillaient dans le domaine au milieu du siècle dernier. Cependant, toutes ces connaissances et informations n’ont de valeur que si elles servent à éclairer et faciliter le processus décisionnel. Le défi consiste aujourd’hui à atteindre la même qualité dans la prestation de services que dans la science météorologique.
La refonte des commissions techniques de l’OMM et la création de la Commission des services font suite au constat de l’incapacité de soutenir comme il convient une approche globale de la prestation de services avec les structures actuelles. Quel que soit l’utilisateur ou le secteur visé, il convient de respecter un ensemble de principes qui sont clairement exposés dans la Stratégie de l’OMM en matière de prestation de services. La nouvelle Commission des services devrait aider à mettre utilement l’accent sur ces principes communs, veiller à ce que les services se centrent sur les impacts, correspondent à l’usage projeté, offrent une qualité contrôlée, intègrent des éléments des sciences sociales, soient fournis par un personnel compétent et soient diffusés par des moyens modernes et intégrés.
En résumé, les services intégrés peuvent mener à l’excellence dans l’aide au processus décisionnel, faire en sorte que les SMHN occupent une place centrale dans l’appui offert aux gouvernements pour accomplir leurs obligations essentielles et dans l’appui offert aux utilisateurs pour prendre des décisions cruciales.