L’apport du Projet de comparaison de modèles couplés à la science du climat

Le Projet de comparaison de modèles couplés (CMIP), au sein du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC), procure des bases indispensables aux études internationales. C’est un remarquable exemple de coordination scientifique et technique entre des dizaines de centres de modélisation du climat, auquel participent au-delà de mille chercheurs. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’est basé sur différentes phases du CMIP pour établir plusieurs de ses rapports. Il reconnaît explicitement que le cinquième Rapport d’évaluation doit beaucoup à la cinquième phase du Projet. Cet aperçu de la conception, des capacités et du déroulement de la sixième phase (CMIP6) mettra en évidence son apport à la science du climat.

Le Projet de comparaison de modèles couplés (CMIP), au sein du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC), procure des bases indispensables aux études internationales. C’est un remarquable exemple de coordination scientifique et technique entre des dizaines de centres de modélisation du climat, auquel participent au-delà de mille chercheurs. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’est basé sur différentes phases du CMIP pour établir plusieurs de ses rapports. Il reconnaît explicitement que le cinquième Rapport d’évaluation doit beaucoup à la cinquième phase du Projet. Cet aperçu de la conception, des capacités et du déroulement de la sixième phase (CMIP6) mettra en évidence son apport à la science du climat.

 

Intérêt et avantages

L’idée de comparer les modèles, qui semble aujourd’hui évidente, a surgi lorsque les centres de modélisation de l’atmosphère ont commencé dans le monde entier à exploiter des modèles couplés océan-atmosphère à des fins climatologiques. L’intérêt de diffuser et de comparer les produits des modèles est apparu très vite. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire: il fallait définir un ensemble organisé et durable de protocoles et de mécanismes, établir la coordination voulue et mettre au point les outils de comparaison. Le Groupe de travail des modèles couplés relevant du PMRC a donc lancé le CMIP. Grâce à l’appui offert très tôt par le Programme de comparaison et de diagnostic des modèles climatiques (PCMDI), il a été possible d’élaborer les formats et normes nécessaires et de mettre en place de bons mécanismes de diffusion.

Le CMIP aide depuis 1995 les centres de modélisation et une large palette de concepteurs et d’utilisateurs de modèles à réaliser selon des protocoles communs les expériences fondamentales d’analyse et de comparaison des derniers modèles climatiques. En plus d’offrir au GIEC et à d’autres instances une base solide pour procéder à des évaluations indépendantes dans les règles, le CMIP a procuré dès le début deux avantages aux milieux de la recherche sur le climat:

  • La possibilité de perfectionner les modèles eux-mêmes, grâce à un échange selon des formats communs et à une comparaison selon des critères communs;

  • La possibilité d’étudier de manière systématique, grâce aux diagnostics, aux moyennes d’ensemble et aux comparaisons soigneuses, divers aspects scientifiques précis du système climatique, allant des nuages à la circulation océanique profonde en passant par le cycle du carbone.

Le CMIP favorise résolument la mise en commun des compétences en matière de matériel et de logiciel et les échanges entre les utilisateurs et les chercheurs. Il présente aussi le grand avantage de minimiser les chevauchements et de réduire les moyens d’exploitation et de calcul nécessaires. Les différents centres et l’ensemble de la communauté y sont particulièrement sensibles, à une époque de restriction des ressources.

 

Les défis du CMIP6

L’intérêt porté au Projet ne cesse de croître et de grands défis attendent maintenant le CMIP6. Le nombre de centres a augmenté, tout comme le nombre de versions de modèles de complexité croissante. Aujourd’hui, un modèle du système terrestre peut inclure l’ensemble des phénomènes chimiques de l’atmosphère, les processus terrestres dynamiques – y compris la croissance et la décomposition des végétaux – et le cycle du carbone interactif sur les terres émergées et dans les océans. Il reste très difficile d’exploiter ces modèles et toutes leurs modifications à la résolution la plus grande, mais la liste des produits requis ou souhaités pour prendre des décisions en fonction du climat s’est considérablement allongée et la résolution de base s’est améliorée.

Certains modèles étudiés dans le cadre du CMIP6 seront configurés pour une résolution de 25 km à l’échelle du globe, valeur inatteignable à l’échelle régionale il y quelques années seulement. Cela exige d’énormes moyens de calcul; de plus, l’archivage, la documentation, la séparation, la gestion et la diffusion des sorties de modèles, qui se chiffrent en téraoctets (et de plus en plus souvent en pétaoctets), requièrent beaucoup de capacités et d’innovations de la part des plus grands centres de données et des réseaux les plus rapides.

Pour élaborer la sixième phase du Projet, le Groupe d’experts du CMIP – instance de supervision formée de scientifiques internationaux – a analysé de près les résultats passés et les besoins futurs. Il a écouté avec soin les bénéficiaires, à savoir les centres de modélisation et les chercheurs. Se basant sur les phases antérieures, en particulier sur la progression entre la troisième et la cinquième phases, il a déterminé quelles stratégies et méthodes avaient le plus favorisé, ou entravé, les progrès en matière de compétences techniques et de connaissances scientifiques. Cet exercice l’a conduit à formuler cinq objectifs pour le CMIP6:

  • Faciliter les échanges et les analyses entre divers projets de comparaison de modèles au sein du CMIP6 et veiller à la cohérence entre les différentes phases du Projet;

  • Faire en sorte que les chercheurs puissent indiquer aux centres de modélisation les activités à privilégier pour le CMIP6, en fonction des besoins de la science;

  • Permettre aux groupes de modélisation d’établir leurs plans de développement et leurs travaux de recherche indépendamment du calendrier fixé par le GIEC, sans négliger l’apport de leurs activités à ce dernier;

  • Renforcer les activités de comparaison de modèles en les inscrivant dans un cadre scientifique cohérent, afin de parvenir à un meilleur résultat d’ensemble;

  • Instaurer un processus ouvert et inclusif afin d’atteindre ces objectifs.

Le CMIP6, tel qu’il évolue dans sa conception et tel qu’il est mis en œuvre à ce jour, réalise ces objectifs grâce au remaniement profond de ses processus et procédures et à l’adoption des grands enjeux scientifiques du PMRC comme cadre général de recherche.

 

Continuité et souplesse des activités

Afin d’éviter l’alternance de périodes d’activités intenses et ralenties qu’impose le respect de dates limites, le CMIP6 permet aux centres de modélisation, quand ils sont prêts et quand cela leur convient, de mettre en service les versions améliorées de modèles et d’exécuter diverses expériences de comparaison. Ils sont seulement tenus de réaliser également les expériences DECK (analyse, évaluation et caractérisation Klima) et la simulation historique du CMIP6 en suivant les règles établies, pour certifier leurs capacités et leurs intentions relativement au Projet et être autorisés à participer à la sixième phase.

Des jeux de données historiques sur le forçage – notamment sur les émissions et les concentrations de gaz à effet de serre, les changements d’affectation des terres, les variations de l’activité solaire et des conditions stratosphériques (aérosols d’origine volcanique, ozone) – sont disponibles depuis avril 2016. Les centres de modélisation pourront donc commencer très vite à réaliser les expériences en vue de leur sélection pour le CMIP6.

D’ici à la fin 2016, les experts des modèles d’évaluation intégrée fourniront des jeux de données sur le forçage permettant d’exécuter les expériences de projection climatique. La majorité des projets de comparaison retenus pour le CMIP6 auront lieu en 2017–2018. Les travaux de recherche basés sur l’analyse de leurs résultats commenceront à paraître en 2018–2020, ce qui permettra de les exploiter pour le sixième Rapport d’évaluation du GIEC.

 

Members of the CMIP Panel

 

Cohérence et persistance des protocoles de modélisation

Les expériences DECK et la simulation historique du CMIP6 s’appuient sur les solides bases acquises lors des phases antérieures du Projet. Il est fort probable qu’elles correspondent parfaitement aux activités que la plupart des équipes de modélisation mènent ou mèneront pour tester et évaluer les dernières versions des modèles. À noter que, dans le cadre du CMIP6, le climat futur commence en 2015. Les protocoles devraient rester essentiellement les mêmes pendant les phases ultérieures du Projet. Ainsi, au lieu d’imposer des obstacles sur le plan de la performance ou des calculs, les expériences DECK et la simulation historique aideront à la cohérence entre les modèles et entre les phases.

 

Amélioration des normes et de la documentation

La nécessité d’améliorer les normes et la documentation découle, au niveau interne, de la complexité croissante des modèles et, au niveau externe, du nombre grandissant de non-spécialistes qui souhaitent accéder aux données du CMIP. Une étroite concertation a été établie avec le Groupe d’experts de l’infrastructure, au sein du Groupe de travail des modèles couplés du PMRC, afin de définir les exigences, les formats et les spécifications touchant les produits de sortie, la documentation sur les modèles et les simulations, les systèmes d’archivage et d’accès. Ces lignes directrices et normes, alliées à la pérennité de la démarche, ont favorisé l’évolution parallèle de l’infrastructure visant les données et les évaluations. Une mesure récente aidera à exécuter des séries d’analyses convenues lorsqu’un site d’archivage enregistrera un nouveau produit du CMIP.

L’emploi systématique de ces outils et modes de diagnostic facilitera grandement l’évaluation méthodique des modèles lors des études à venir. Les normes et directives du CMIP ont également permis de rassembler énormément de données, dans un effort axé sur la collecte des observations et des produits de réanalyse et leur conversion dans des formats similaires à ceux du CMIP afin qu’ils puissent servir à l’évaluation des modèles. Ces deux mesures s’élargiront et s’intensifieront pendant le CMIP6. Fondamentalement, les outils et les sources de données du CMIP émanant des milieux spécialisés stimulent les progrès dans l’élaboration des modèles et dans la recherche scientifique.

 

Une optique résolument scientifique

Face à la complexité de chaque modèle et au nombre grandissant de versions exploitées, de centres de modélisation intéressés et de projets de comparaison réalisés à l’intérieur comme à l’extérieur du CMIP, le Groupe d’experts du CMIP voulait garantir que la double mission du Projet serait remplie, à savoir faire progresser la mise au point de modèles et soutenir la recherche sur le climat.

Le Groupe d’experts a examiné la pertinence de la trentaine de projets proposés relativement aux trois questions scientifiques de fond auxquelles doit répondre le CMIP6:

  • Comment le système terrestre réagit-il au forçage?

  • Quelles sont les causes et les conséquences des biais systématiques des modèles?

  • Comment évaluer les changements climatiques à venir, compte tenu de la variabilité et de la prévisibilité du climat et des incertitudes des scénarios?

Ces questions sont au cœur de l’amélioration des modèles au profit des grands enjeux scientifiques du PMRC. Le Groupe d’experts a rassemblé, adapté et revu les propositions reçues et a établi une liste «définitive» de 21 projets de comparaison pour le CMIP6. Tous ont été acceptés par une dizaine de centres de modélisation au moins, qui se sont engagés à exécuter les expériences prioritaires (volet 1) prescrites par le Projet et à fournir les résultats et informations de diagnostic exigés.

La convergence des objectifs des projets et des engagements des centres de modélisation n’est pas survenue d’emblée, sans effort. Elle montre bien que le CMIP est axé, et continuera de l’être, sur des questions scientifiques du plus haut intérêt, qui s’inscrivent dans les grands enjeux scientifiques du PMRC et y concourent. Bien sûr, les objectifs et les critères des projets de comparaison ont été adaptés aux capacités que l’on attend des modèles mais, par ce processus, les centres participants ont directement aidé à définir l’optique scientifique et l’ampleur du CMIP6.

Pour obtenir l’appui nécessaire et aider le CMIP6 et les centres de modélisation à arrêter les priorités et à suivre les progrès accomplis, tous les projets comportent les activités prioritaires (volet 1). La plupart prévoient aussi un certain nombre d’expériences facultatives et recommandées. De concert avec les spécialistes des modèles d’évaluation intégrée, le CMIP6 spécifiera des profils communs d’évolution socio-économique, qui seront en rapport étroit (et quantitatif) avec les profils représentatifs d’évolution de concentration du CMIP5. En outre, la création d’un conseil consultatif sur la vulnérabilité, les impacts et l’adaptation et sur les services climatologiques améliorera certainement la communication avec les milieux de l’évaluation, de l’adaptation et de la prestation de services.

Les moyens informatiques actuels ne répondent pas pleinement aux attentes du CMIP6 en matière d’analyse et d’expérience. Le PMRC espère que le déroulement méthodique du Projet encouragera l’efficacité et stimulera un plus large intérêt et l’apport de ressources supplémentaires. Jerry Meehl du NCAR a déclaré, vers 2011, que le CMIP5 constituait l’expérience la plus ambitieuse jamais tentée pour l’étude coordonnée du changement climatique à l’aide de plusieurs modèles. Aujourd’hui, par son envergure et son ambition, le CMIP6 définit une nouvelle norme pour la recherche multidisciplinaire sur le climat et franchit une nouvelle étape dans le domaine de la coordination.   

 

En résumé

Le CMIP6 entend favoriser la conduite d’un ensemble cohérent et durable d’activités de fond, encourager l’affinement des outils et mécanismes d’accès et d’analyse et avoir une incidence large, mais aussi ciblée, dans le monde scientifique. C’est un exemple remarquable d’inclusivité, de transparence et de libre accès aux informations et produits attendus. Il repose presque entièrement sur la coordination, la coopération et la collaboration. Les milieux de la météorologie connaissent bien les modèles mondiaux (de l’atmosphère) et les mécanismes d’échange rapide des données de qualité et des sorties de modèles, mais il est quasi certain que le CMIP ira au-delà de la prévision numérique du temps sur le plan de la complexité et du volume de données.

L’essentiel de la coordination et de la collaboration est assuré à titre bénévole par des chercheurs en climatologie. À notre connaissance, aucun autre secteur de la recherche, de l’exploitation et de la conception de modèles, que ce soit en physique, médecine, économie, énergie ou armement, ne favorise autant les comparaisons et les échanges et ne soutient ces efforts exceptionnels grâce la motivation de ses membres.

Les mesures prises méritent l’admiration du monde scientifique. Par son envergure et son ambition, le CMIP6 définit une nouvelle norme pour la recherche multidisciplinaire sur le climat et franchit une nouvelle étape dans le domaine de la coordination. Alors que l’attention se tourne de plus en plus vers les effets du changement climatique, le CMIP et ses produits représenteront pour la société une source d’informations fiables de première importance.

 

Authors

David Carlson, Director, World Climate Research Programme, jointly sponsored by the Intergovernmental Oceanic Commission (IOC) of UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization), ICSU (International Council for Science) and WMO

Veronika Eyring, Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt

 

Footnotes

1 Overview of the Coupled Model Intercomparison Project Phase 6 (CMIP6) experimental design and organisation by Eyring et al. (2015)

2 United States Department of Energy (DOE)

3  www.wcrp-climate.org/grand-challenges

 

Reference

Eyring, V., Bony, S., Meehl, G. A., Senior, C., Stevens, B., Stouffer, R. J., and Taylor, K. E.: Overview of the Coupled Model Intercomparison Project Phase 6 (CMIP6) experimental design and organisation, Geosci. Model Dev. Discuss., 8, 10539-10583, doi:10.5194/gmdd-8-10539-2015, 2015.

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