Nécrologie 56-4

 


Roman Kintanar - Petru Surban

 

 

 


 


Roman Kintanar

 

 

 

Trente-six ans durant (1958-1994), Roman Kintanar a été le maître incontesté de la météorologie aux Philippines et pendant huit années mémorables (1979-1987) le Président révéré de l’OMM. Issu lui-même d’une famille brillante, il participe à huit Congrès météorologiques mondiaux, mais sa modestie est telle que, début 1979, il est parmi les derniers à réaliser que toute la communauté météorologique a déjà décidé qu’il sera le cinquième Président de l’OMM.

Né dans la ville de Argao Cebu, aux Philippines, le 13 juin 1929, Roman L. Kintanar est décédé le 6 mai 2007 à Manille dans sa soixante-dix-huitième année.

R. Kintanar
Cinquième d’une famille de 12 enfants et fils d’un député philippin qui était entré dans la résistance durant la Seconde guerre mondiale, son enfance et son adolescence sont marquées par la politique, la famille, la guerre et l’amour de la nature.

Élève remarquable, il est admis à l’Université des Philippines en 1947 et, en juin 1948, il travaille parallèlement à temps partiel en tant qu’observateur auprès du Bureau météorologique qu’il dirigera plus tard, Bureau qui deviendra ultérieurement l’Administration des services atmosphériques, géophysiques et astronomiques des Philippines. Après avoir obtenu une licence, il se lance dans l’enseignement de la physique au niveau universitaire, mais il suit les traces de son frère aîné Dodong qui lui a promis une carabine 22 long rifle s’il obtient comme lui une bourse Fullbright pour des études à l’étranger. C’est ainsi que vers le milieu de l’année 1953, grâce à cette bourse, il se présente comme candidat à une maîtrise de physique à l’Université du Texas, séduit par la perspective des vastes terres d’élevage. En 1956, de retour à Manille, il se fiance à une étudiante en droit, Generosa (Genie) Perez, mais il ne tarde pas à retourner à l’Université du Texas pour préparer un doctorat. En juin 1958, diplôme obtenu, il revient à Manille où il est nommé le 1er août par le Président Carlos P. Garcia Directeur du Bureau météorologique. Il vient d’avoir 29 ans.

Le 10 janvier 1959, Roman épouse Genie à l’église Lourdes de Quezon City. Ils ont deux fils, Maharlika et Tagumpay, nés respectivement en 1960 et 1961 et une fille, Lualhati (Ningning) née en 1964. C’est Ningning qui a peint le portrait de M. Kintanar qu’on peut admirer dans le hall d’entrée du siège de l’OMM à Genève. L’histoire extraordinaire de la famille Kintanar, où se mêlent les plaisirs de la ferme, la peur des typhons, la carrière internationale et l’amour de l’art et des collections de toutes sortes, est décrite par M. Kintanar, avec la simplicité et l’humour qui le caractérisaient, dans ses mémoires publiées en 1998 sous le titre Shapers of New Asia. Quelques aspects fascinants de sa vie sont évoqués dans l’interview de Hessam Taba publiée dans le numéro du bulletin de l’OMM d’octobre 1994 et dans l’allocution qu’il a prononcée pour le jubilé de l’OMM en mars 2000 à l’occasion de la Journée météorologique mondiale.

L’histoire de la carrière internationale de Roman Kintanar se confond pour une grande part avec celle de l’OMM, Représentant permanent des Philippines auprès de l’Organisation de 1959 à 1995, vice-président du Conseil régional V (Pacifique Sud-Ouest) de 1962 à 1966 et Président de l’Organisation de 1974 à 1978. Après avoir été troisième Vice-Président de l’OMM pendant une brève période, il est élu Président à l’unanimité en mai 1979. Il sera membre du Conseil exécutif pendant 22 ans (1974-1995) et président du Groupe d’experts de l’enseignement et de la formation professionnelle relevant du Conseil exécutif pendant 16 ans (1979-1995); il deviendra également président de nombreux autres groupes d’experts et comités de l’OMM et d’autres organes internationaux s’occupant notamment de recherche sur les typhons et de prévention des catastrophes naturelles.

Roman Kintanar commence sa carrière en tant qu’observateur météorologiste et entretiendra sa vie durant des relations étroites avec les observateurs météorologistes de par le monde. Il aimait enseigner et était très fier d’avoir créé un centre régional de formation professionnelle en météorologie à l’Université des Philippines. En 1963 il participe à son premier Congrès météorologique mondial et, 12 ans plus tard, il apparaît tout désigné pour accomplir la tâche redoutable qui est de présider l’un des deux comités de travail du Septième Congrès.

L’efficacité et le discernement dont il fera preuve, joints à une personnalité attachante, sont tels que personne n’est surpris lorsque le Comité des nominations du Congrès propose son nom pour l’élection du deuxième Vice-Président de l’OMM contre Youri Izrael de l’URSS. Telles étaient son humilité et sa loyauté qu’en apprenant sa désignation il est atterré à la pensée de devoir se présenter contre son ami Youri Izrael, d’autant plus que son élection aurait probablement entraîné l’exclusion du Comité exécutif d’un autre ami, l’Australien Bill Gibbs. C’est ainsi qu’il prendra la parole pour dire combien il s’est senti honoré en s’exprimant en ces termes sous les applaudissements retentissants de l’Assemblée: «J’ai la plus grande considération pour M. Youri Izrael, éminent scientifique et gestionnaire et je préférerais de beaucoup voter pour lui plutôt que pour moi-même». L’émotion était perceptible dans la salle où rares étaient les délégués qui en cet instant ne reconnaissaient pas à M. Kintanar des qualités personnelles qui devaient faire de l’OMM la famille étroitement unie qu’elle allait devenir quelques années plus tard sous sa présidence.

Partout honoré au cours de sa carrière, il pensait que ceux avec lesquels il travaillait méritaient plus que lui la reconnaissance de l’œuvre accomplie. Ce qui ne devait pas l’empêcher, la retraite venue, de manifester un immense plaisir en recevant une double récompense en février 1996 — le quarantième Prix de l’OMI et une citation du Président de son pays, Fidel V. Ramos.

Lorsqu’il accède aux plus hautes fonctions de l’OMM, il est animé par la conviction profonde qu’il importe avant tout de comprendre tous les points de vue. Il voyage beaucoup pour le compte de l’Organisation et partout où il se rend il écoute, il observe et il apprend. Tous ceux qui ont collaboré avec lui au sein du Comité puis du Conseil exécutif de l’OMM et du Bureau de l’Organisation, en particulier ses amis les plus chers et ses admirateurs — Patrick Obasi (Secrétaire général de 1984 à 2003), Zou Jingmeng (son successeur à la présidence de l’OMM), Youri Izrael, Dick Hallgren, Salvador Alaimo, Bert Berridge, Chris Abayomi, Ho Tong Yuen et bien d’autres — tous se remémorent souvent les moments privilégiés qu’ils ont partagés avec Roman en faisant des puzzles ou des tours de magie ou bien en s’interrogeant sur les problèmes de l’OMM à bord d’un navire dans la mer de Chine méridionale ou encore en devisant tard la nuit dans quelque coin reculé du monde. C’est ainsi que certains grands problèmes concernant la météorologie internationale — notamment la menace d’une interruption momentanée de l’échange international de données — ont reçu leur solution en des lieux aussi improbables que l’arrière d’un minibus circulant sur une route sinueuse depuis Quezon City jusqu’à la ferme Romarosa à Tanay, Rizal.

Aux côtés de son épouse, il réservait un accueil chaleureux aux innombrables météorologues étrangers qui venaient lui rendre visite dans la maison familiale. Il leur montrait avec fierté la statue illuminée du Christ dominant le jardin ainsi que la chapelle spécialement édifiée pour la famille avant de leur faire savourer des mets succulents entouré de tous les siens. C’était un homme qui avait un sens aigu des contacts humains et qui, à l’abri des projecteurs, consacrait aux autres une grande partie de son temps en les aidant à résoudre leurs problèmes ou en leur ouvrant des perspectives dont ils pourraient tirer profit. Il nourrissait une affection particulière pour ses protégés philippins au sein du Secrétariat de l’OMM et chacun de ceux avec lesquels il travaillait dans le cadre de l’Organisation était unique à ses yeux.

Esprit d’une grande sagesse, il ne cherchait jamais à dominer et paraissait presque timide même avec ceux qui le connaissaient le mieux. Il se tenait tranquillement dans un coin de la pièce lors des réceptions données par l’OMM et son visage s’éclairait d’un large sourire lorsqu’un vieil ami venait le voir pour lui parler de cerfs, d’arbres fruitiers ou des travaux du Comité des typhons. À vrai dire il n’avait ici que des amis. Élu Président de l’OMM, il n’aura aucun détracteur et nul ne lui reprochera d’avoir pris peu à peu conscience qu’il avait gagné, au nom de son pays, l’admiration de la communauté internationale. Avec toute sa modestie et toute sa douceur, il deviendra l’un des grands artisans de l’Asie nouvelle et le plus pur internationaliste que l’on verra jamais.

Que ce soit au sein de l’OMM ou parmi ses collègues de la météo, tous ceux qui ont été sensibles à la chaleur humaine de Roman Kintanar pleurent aujourd’hui sa disparition. Tous autant que nous sommes, nous éprouvons un sentiment de gratitude pour avoir eu le privilège de faire partie de sa génération. Nous adressons nos sincères condoléances à son épouse bien-aimée ainsi qu’à sa grande famille. À l’heure où nous nous effaçons nous-mêmes de la scène, nous garderons toujours en mémoire le souvenir d’un scientifique philippin souriant et timide qui n’élevait jamais la voix et qui ne prit jamais vraiment conscience que pour tous les Membres de l’OMM il était considéré comme le meilleur au monde.

John Zillman

 


 

Petru Serban

M. Petru Serban, Directeur du Département des plans de gestion des bassins hydrographiques et de la coopération internationale relevant de l’Administration nationale des eaux roumaines est décédé le 26 mai 2007. Figure éminente dans le domaine de l’hydrologie et de la gestion des ressources en eau à l’échelle nationale et internationale, il était aussi un père et un époux attentif et un collègue dévoué.

À peine diplômé de la section d’hydro-énergétique de l’Institut polytechnique de Bucarest en 1970, il travaille dans le secteur de l’hydrologie et de la gestion des ressources en eau, tout d’abord au sein de la Direction des eaux du Somes, ensuite à l’Institut national de météorologie et d’hydrologie pendant 18 ans, dont trois ans (de 1987 à 1990) en tant que Directeur du Département d’hydrologie et après 1990 auprès de l’Administration nationale des eaux roumaines.

P. Serban

Parmi ses travaux de recherche on citera sa thèse de doctorat sur les modèles mathématiques utilisés pour la prévision des ondes de crue dans le contexte d’ouvrages hydrauliques complexes (1983). Il publie également plus de 170 articles dans des revues scientifiques roumaines et étrangères, présente de nombreux exposés à l’occasion de rencontres scientifiques et rédige une dizaine de livres, parmi lesquels Dynamic Hydrology (1989), Hydrological Synthesis and Regionalization (1994), Deterministic Hydrological Models (1995), Water Management and Hydrology Applications (1999), Intercomparison of Forecast Models for Streamflow Routing in Large Rivers (2003), Water Management – European Principles and Rules (2006). En outre, il coordonne plus de 15 projets internationaux.

Coordonnateur des activités de gestion des ressources en eau et de la coopération internationale avec des pays voisins, notamment riverains du Danube, il participe directement à l’élaboration en Roumanie du nouveau concept d’aménagement et de restauration des cours d’eau, faisant de son pays un acteur important dans ce domaine à l’échelle de l’Europe et du bassin du Danube.

Ses travaux sont très vite reconnus: il devient membre de diverses organisations et associations scientifiques nationales et internationales – le Comité national roumain du Programme hydrologique international (PHI) de l’UNESCO, le Conseil intergouvernemental du PHI, l’Association des hydrologues roumains, l’Académie des sciences agricoles et forestières, la Commission d’hydrologie de l’Association internationale des sciences hydrologiques et l’Académie des sciences de New York. Il travaille aussi comme expert pour la Commission d’hydrologie de l’OMM et comme rapporteur pour le Groupe de travail d’hydrologie relevant du CR VI. Au sein du Conseil de coordination du Centre européen de restauration des cours d’eau, il est membre du Groupe d’experts de la gestion des bassins hydrographiques de la Commission internationale pour la protection du Danube. Plus tard, il dirigera les groupes de travail pour la coopération bilatérale en matière de gestion des ressources en eau avec la Bulgarie, la Hongrie et la Serbie.

Parmi ses contributions aux activités de l’OMM, on peut mentionner le rapport technique pour la onzième session du CR VI (Europe) (1986), le rapport N° 34 de la série consacrée à l’hydrologie opérationnelle portant sur les modèles hydrologiques applicables à la conception et à l’exploitation des réseaux d’alimentation en eau, le rapport N° 38 dans la série consacrée à l’hydrologie opérationnelle portant sur la comparaison simulée en temps réel de modèles hydrologiques et le trente-neuvième chapitre du Guide des pratiques hydrologiques (OMM-N° 168, cinquième édition, 1994).

Son œuvre scientifique est récompensée par l’Académie des sciences de Roumanie avec le Prix Gheorghe Munteanu Murgoci (1991) et le Prix Stefan Hepites (1996). Son nom figure dans l’ouvrage intitulé «Five Hundred Founders of the 21st Century (International Biographical Center, Cambridge, Angleterre, 2005).

En outre, il exerce parallèlement les fonctions de professeur associé à l’Université technique de génie civile de Bucarest où il donne un cours de génie hydraulique dans le cadre du programme TEMPUS et dans la section «environnement» de la faculté de géographie de l’Université de Bucarest.

Ce que nous pouvons dire en cette triste circonstance, c’est que tous les hydrologues et les responsables de la gestion des ressources en eau en Roumanie auront à cœur de poursuivre l’œuvre de M. Petru Serban. Il restera toujours présent dans la mémoire de tous ceux qui lui étaient proches.

Petre STANCIU

Directeur de l’Institut national d’hydrologie et de gestion des ressources en eau et conseiller en hydrologie auprès de l’OMM

 

 

 


 

 

 

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