Observer notre planète pour préparer l’avenir

01 janvier 2008

Message de Michel Jarraud, Secrétaire général de l’OMM,
pour la Journée météorologique mondiale 2008


Mr Jarraud

L’histoire des civilisations anciennes rapporte d’innombrables témoignages sur les phénomènes atmosphériques et diverses cultures ont conçu des instruments rudimentaires mais ingénieux pour l’observation du temps en conjuguant souvent l’astrologie avec l’astronomie. C’est au milieu du XVIIe siècle que l’homme entreprend de réunir systématiquement des données afin d’étudier la possibilité de prévoir le temps. Mais il faudra attendre encore pour voir se développer l’idée d’une coordination des observations à l’échelle mondiale, même si l’on savait déjà que les phénomènes météorologiques se jouaient des frontières.

Le premier réseau météorologique international est établi en 1654 par Ferdinand II de Toscane. Sept stations sont installées dans l’Italie du nord et quatre autres à Varsovie, Paris, Innsbruck et Osnabrück. À Florence, on procède à 15 observations chaque jour. Une avancée majeure est réalisée en 1780 avec la création d’un réseau de 39 stations —37 en Europe et deux en Amérique du Nord— par la Societas Meteorologica Palatina, dénomination latine adoptée par la Société météorologique de Mannheim. Ce réseau n’aura que 12 ans d’existence, mais il marque une étape importante car les observations sont effectuées selon des pratiques normalisées et au moyen d’instruments soigneusement étalonnés. Les plus pertinentes sont consignées dans une suite de recueils annuels, les Ephemerides Societatis Meteorologicae Palatinae.

Riches de promesses, les Éphémérides n’auront pourtant qu’une vie éphémère et il faudra attendre plus d’un demi-siècle la première Conférence météorologique internationale (Bruxelles, 1853) et le premier Congrès météorologique international (Vienne, 1873) pour voir naître la structure qui permettra de relancer l’idée d’une coordination des observations à l’échelle mondiale. Cette idée prendra forme avec la création de l’Organisation météorologique internationale (OMI), devancière de l’actuelle Organisation météorologique mondiale.

L’importance de la collaboration qui s’instaure de la sorte ne tarde pas à se révéler avec éclat dans le cadre de la première Année polaire internationale (1882-1883), entreprise commune de 11 pays destinée à mettre en service 12 stations autour du pôle Nord et deux dans l’Antarctique. Outre des mesures strictement météorologiques, des observations d’une portée plus large sont effectuées dans plusieurs autres domaines—géomagnétisme, électricité atmosphérique, océanographie, glaciologie et échantillonnage de l’air. Plus de 40 observatoires répartis dans différentes régions du monde participent à ces travaux scientifiques.

Le 23 mars 1950, la Convention de l’Organisation météorologique mondiale entre en vigueur et cette date du 23 mars est aujourd’hui célébrée chaque année comme Journée météorologique mondiale. En 1951, l’OMM devient une institution spécialisée des Nations Unies. Il est maintenant d’usage pour le Conseil exécutif de choisir un thème particulier pour cette célébration. C’est ainsi qu’à l’occasion de sa cinquante-huitième session (Genève, juin 2006), le Conseil a décidé que le thème de la Journée en 2008 serait le suivant: «Observer notre planète pour préparer l’avenir». Il s’agissait par là de reconnaître les avantages scientifiques et socio-économiques que les Membres de l’OMM, leurs Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN), tout comme l’Organisation dans son ensemble, retirent des observations à grande échelle qui sont faites avec la plus grande rigueur dans le cadre du mandat assigné à l’OMM pour les questions relatives au temps, au climat et à l’eau.

Fait notable: peu après que l’OMM eut repris le rôle qui était dévolu à l’OMI, des satellites commençaient à tourner autour de la Terre pour devenir bientôt nos yeux dans le ciel et nous transmettre des images et d’autres informations d’une importance vitale qui témoignaient du caractère planétaire des phénomènes atmosphériques. Au même moment ou presque, les ordinateurs parvenaient à un degré suffisant de perfectionnement pour que les scientifiques considèrent comme réellement applicables les méthodes qui avaient été d’abord proposées par Richardson en 1922 dans son ouvrage intitulé Weather Prediction by Numerical Methods (La prévision du temps par des méthodes numériques). Et l’année même où la Convention de l’OMM entrait en vigueur, c’est-à-dire en 1950, Charney, Fjørtoft et von Neumann publiaient la première prévision météorologique réussie qu’ils avaient établie sur ordinateur.

weather balloon & kids    

Ces deux exploits technologiques sont immédiatement reconnus par la communauté scientifique et, le 20 décembre 1961, l ’Assemblée générale des Nations Unies vote la Résolution 1721/ XVI sur l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques par laquelle elle demande à l’OMM d’élaborer un plan destiné à exploiter les nouvelles possibilités. Cette résolution entraînera deux réalisations majeures: le Programme de recherches sur l’atmosphère globale (GARP) et la Veille météorologique mondiale (VMM) de l’OMM, qui constituera bientôt la base de son action pour la normalisation, la collecte, l’analyse, le traitement et la distribution à travers le monde des informations relatives au temps et aux autres aspects de l’environnement. Épine dorsale de tous les autres programmes de l’OMM, la Veille météorologique mondiale est officiellement créée en 1963 avec l’approbation du Quatrième Congrès météorologique mondial. L’une de ses trois principales composantes est le Système mondial d’observation (SMO), qui comprend toutes les installations requises sur terre, en mer, dans l’atmosphère et dans l’espace, pour l’observation et la mesure des paramètres météorologiques.

Si près de 45 ans se sont écoulés depuis lors, la VMM est aujourd’hui aussi essentielle pour l’OMM qu’elle l’était à sa création. C’est pourquoi elle est constamment actualisée et perfectionnée par l’Organisation et les Services météorologiques et hydrologiques nationaux de ses 188 Membres. Pour cette raison, le Quinzième Congrès météorologique mondial (Genève, mai 2007) a approuvé une approche interdisciplinaire pour mieux coordonner l’ensemble des systèmes d’observation de l’OMM dans le cadre d’une structure globale, assurant sur le long terme le fonctionnement et la compatibilité de ses composantes. La mise en place du Système d’information de l’OMM (SIO) conformément au Plan stratégique de l’Organisation, également approuvé par le Congrès, s’inscrit dans cette optique.

Le Congrès a décidé d’appeler cette entreprise «Système mondial intégré d’observation de l’OMM» (WIGOS) et lui a assigné un rang de priorité élevé. Il a en outre noté que le WIGOS et le SIO devront être planifiés et mis en œuvre parallèlement de façon à aboutir à un ensemble de systèmes étroitement coordonnés. Il s’agit en effet de faire en sorte que les Membres de l’Organisation puissent fournir une gamme de services de plus en plus large et mieux satisfaire les impératifs de l’OMM en matière de recherche.

La fourniture de services concernant le temps, le climat et l’eau a tout à gagner d’une intégration plus poussée des systèmes d’observation de l’OMM. De ce point de vue, il sera essentiel que les Membres puissent communiquer leurs informations au moment voulu avec toute la précision nécessaire pour répondre aux besoins de tous les usagers. De nouvelles activités de recherche-développement seront donc nécessaires pour compléter les systèmes d’observation existants. Il faudra aussi redoubler d’efforts pour améliorer les techniques d’assimilation des données et les modèles afin de tirer tout le profit possible des observations.

Un système mondial intégré d’observation, soutenu par un système d’information intégré permettra de décupler les avantages socio-économiques qui seront tirés de toute une gamme de produits et de services concernant le temps, le climat et l’eau, et cela dans de multiples domaines: la protection des personnes et des biens; la santé et le bien-être; la sécurité sur terre, en mer et dans les airs; la croissance économique; la sauvegarde des ressources naturelles et de la qualité de l’environnement; la réduction des risques de catastrophes naturelles, notamment dans le contexte de l’adaptation au changement climatique.

De plus, ce que fait l’OMM pour mieux intégrer ses systèmes d’observation contribue de manière significative à l’action entreprise par le Groupe international sur l’observation de la Terre en vue de mettre sur pied un Système mondial des systèmes d’observation de la Terre (GEOSS) qui s’appuie sur les systèmes nationaux, régionaux et internationaux déjà en place, cela dans le but d’harmoniser davantage leurs fonctions respectives. Les systèmes d’observation de l’OMM sont des composantes fondamentales du GEOSS et, de ce fait, l’efficacité de celui-ci sera largement dépendante de celle du WIGOS.

Les risques météorologiques, climatiques et hydrologiques ont des incidences sur presque tous les aspects de la vie. Comme vous le savez, ces incidences vont croissant et elles affectent plus spécialement les pays en développement. Sur 10 catastrophes naturelles, neuf sont liées à des phénomènes hydrométéorologiques qui, entre les années 1980 et 2000, ont fait 1,2 million de victimes et causé pour plus de 900 milliards de dollars des États-Unis de dégâts. La fourniture, par les SMHN, de produits et de services appropriés aux plus hautes autorités, aux médias et au grand public permet d’atténuer sensiblement l’impact de ces phénomènes, car si l’on ne peut les prévenir, il est cependant possible par des alertes précoces d’en limiter considérablement les effets dévastateurs.

Ces dernières décennies, la vulnérabilité des populations n’a cessé de croître en raison d’une urbanisation accélérée, des migrations vers des zones plus exposées—régions côtières, mégadeltas, plaines inondables ou de faible altitude, etc.—et aussi de l’expansion démographique dans les zones arides. L’augmentation de l’intensité et de la fréquence des phénomènes extrêmes prévues en conséquence du changement climatique ne fera que rendre plus vulnérables les populations menacées. Les instances responsables des situations d’urgence auront donc besoin de plus d’informations pour formuler des plans de secours appropriés.

En outre, la fourniture de renseignements sur le temps, le climat et l’eau est de plus en plus nécessaire pour soutenir les activités socio-économiques comme l’agriculture, les transports, la production d’énergie et la gestion des ressources en eau, activités qui, moyennant des investissements modiques, ont toutes la capacité d’apporter une contribution majeure au développement.

Pour conclure ce message annuel, je voudrais souligner ceci: que la Journée météorologique mondiale soit centrée cette année sur le thème «Observer notre planète pour préparer l’avenir» n’est en rien le fait du hasard. Au cours de l’année qui s’est écoulée depuis la précédente Journée, un certain nombre d’événements d’une importance capitale se sont produits, qui ont tous mis en relief l’importance vitale des observations effectuées à l’échelle du globe.

Tout d’abord, permettez-moi de rappeler que le thème de la Journée météorologique mondiale de 2007 répondait au lancement de l’Année polaire internationale 2007/08, parrainée conjointement par l’OMM et le Conseil international pour la science. À mi-parcours de cette campagne polaire, il est aisé de faire valoir que la participation de l’OMM à cette entreprise scientifique se justifie chaque jour davantage par les résultats des observations portant sur les régions polaires. Ainsi, en septembre 2007, alors que prenait fin la saison de la fonte des glaces de mer, l’étendue moyenne de la banquise atteignait à peine 4,28 millions de km2, chiffre le plus bas jamais enregistré et de 23 % inférieur à la valeur record relevée juste deux ans auparavant. Pour la première fois dans l’histoire, la disparition des glaces dans certaines parties de l’Arctique ouvrait à la navigation, pour quelques semaines, le passage légendaire du Nord-Ouest que les explorateurs et les négociants avaient cherché pendant des siècles.

Dans un contexte analogue, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), que l’OMM coparraine depuis 1988 avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement, a achevé récemment son quatrième rapport d’évaluation. Le GIEC note en particulier que le réchauffement climatique est incontestable, comme il ressort aujourd’hui des observations qui montrent une augmentation des températures moyennes de l’air et des océans, une fonte généralisée des neiges et des glaces et une élévation du niveau des mers et des océans. Il signale également que, pour l’essentiel, l’accroissement des températures moyennes constaté depuis le milieu du XXe siècle est très probablement dû à la hausse observée des concentrations de gaz à effet de serre d’origine anthropique. De plus, selon le GIEC, les preuves s’accumulent, montrant que les émissions de gaz à effet de serre continueront d’augmenter au cours des prochaines décennies si l’on s’en tient aux mesures actuellement en termes de réduction et de schémas de développement.

instrument

Puis, peu après que le rapport final eut été publié à Valence, Espagne en novembre 2007, le GIEC recevait à Oslo, Norvège, le prix Nobel de la paix 2007, partagé avec Albert A. Gore, «en reconnaissance de l’action menée pour rassembler et diffuser les connaissances sur les changements climatiques anthropiques et jeter ainsi les bases des politiques à mettre en œuvre afin d’en contrer les effets».

Enfin, s’est tenue à Bali, Indonésie, en décembre 2007, la treizième session de la Conférence des Parties (COP) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). La COP a salué le quatrième rapport d’évaluation du GIEC en remerciant de leur excellent travail tous ceux qui avaient participé à son élaboration. Elle a reconnu que ce rapport constituait à ce jour l’évaluation la plus complète et la plus fiable qui soit du changement climatique, abordant dans une perspective d’ensemble les aspects scientifiques, techniques et socio-économiques. Elle a invité le GIEC à continuer d’informer les Parties à la Convention au sujet des derniers développements constatés sous ce triple point de vue, s’agissant notamment de l’atténuation des changements climatiques et de l’adaptation à ces changements. La COP a également adopté au titre de la CCNUCC les directives révisées pour l’établissement des rapports sur les systèmes mondiaux d’observation des changements climatiques.

Lors de la treizième session de la Conférence des Parties, l’OMM a souligné que bien des pays en développement parmi les plus vulnérables ont beaucoup de mal à maintenir leurs réseaux d’observation et qu’ils auront besoin d’un appui plus important pour renforcer leurs capacités d’action. En outre, elle a fait valoir que la recherche scientifique ainsi que la surveillance et la prévision du climat jouaient un rôle essentiel dans la protection des personnes et des biens, de sorte que les pays en question devraient avoir la possibilité d’utiliser au mieux les systèmes d’alerte précoce pour réduire les risques de catastrophes naturelles et contribuer ainsi au développement durable.

Une fois de plus, l’OMM s’est montrée à la hauteur des obligations que lui impose la nécessité d’œuvrer pour le développement durable, de réduire les pertes en vies humaines et les dommages causés par les catastrophes naturelles et autres phénomènes extrêmes liés au temps, au climat et à l’eau et aussi de protéger l’environnement et le climat mondial dans l’intérêt des générations présentes et futures. De fait, le nouveau préambule de la Convention de l’OMM—qui a été adopté par le Quinzième Congrès météorologique mondial—reconnaît ce rôle, de même qu’il met en relief l’importance d’un système international intégré d’observation, de collecte et de traitement des données, et de diffusion de données et produits météorologiques, hydrologiques et connexes.

Pour conclure, je tiens donc à féliciter tous les Membres de l’OMM à l’occasion de la Journée météorologique mondiale de 2008.


    Partager :