Les skippers du Vendée Globe se lancent dans l’observation des océans
Une nouvelle ère s’est ouverte pour la navigation au service de la science avec le soutien apporté par les skippers de l’International Monohull Open Class Association (IMOCA) au Système mondial d’observation de l’océan à l’occasion de la dernière édition du Vendée Globe. Leur participation s’inscrit dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021‑2030), et est chapeautée par OceanOPS.
- Author(s):
- Emanuela Rusciano, Mathieu Belbéoch, Emma Heslop et Albert Fischer

Faire le tour du monde le plus rapidement possible, en bravant les avaries et les tempêtes, ne leur suffisait pas: les intrépides skippers du Vendée Globe avaient besoin d’un défi supplémentaire. C’est pourquoi ils se sont décidés à effectuer des observations océanographiques essentielles, témoignant ainsi de leur engagement pour l’océan.
«Le Vendée Globe est une course que j’aimerais remporter, mais ce défi supplémentaire nous permettra de trouver des solutions au changement climatique», a expliqué Boris Herrmann, skipper de l’équipeTeam Malizia/IMOCA pendant la course. «On ne soulignera jamais assez l’importance des océans: sans eux, il n’y aurait pas de vie sur Terre. Acteurs majeurs de notre système climatique, ils stockent plus de 90 % de l’excès de chaleur dû au forçage radiatif et absorbent environ un quart des émissions anthropiques annuelles de CO2. C’est pourquoi nous poursuivons notre mission de recherche océanographique afin de protéger cette incroyable vie sauvage».
Malgré le poids supplémentaire des équipements d’observation embarqués et les responsabilités inhérentes à cette mission, le partenariat établi entre le Système mondial d’observation de l’océan (GOOS) et 10 skippers IMOCA engagés dans le Vendée Globe a été un grand succès. Ces observations proviennent de certaines des régions les moins visitées de l’océan mondial – c’est ce qui rend la course si passionnante et les données si précieuses.
«J’ai déployé un flotteur profilant quand je suis sorti du Pot-au-Noir, une route maritime généralement peu fréquentée», a déclaré Louis Burton, skipper de l’IMOCA Bureau Vallée 2. «Le flotteur pesait 20 kg et pour la course, il est crucial de limiter au minimum le poids supplémentaire embarqué. Mais le jeu en valait la chandelle. C’était ma décision. L’avenir de la planète est grandement menacé.»
Grâce à OceanOPS, le centre conjoint COI-UNESCO/OMM de soutien au GOOS, qui coordonne et surveille les composantes in situ permanentes du Système mondial d’observation de l’océan, les skippers de l’IMOCA ont déployé sept bouées météorologiques et trois flotteurs profilants, exploités respectivement par Météo-France et Argo France, en des points de l’océan Atlantique qui avaient été déterminés à l’avance. Par ailleurs, quatre skippers ont embarqué des équipements permettant de mesurer des variables océaniques essentielles – telles que la salinité de surface de la mer, la température, le CO2, la pression atmosphérique – et de mesurer la pollution de l’océan par les microplastiques. Les données recueillies pendant le Vendée Globe ont été placées en temps réel dans une base de données internationale open source.
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Les voiliers qui prennent part aux courses autour du monde traversent souvent des zones sous‑échantillonnées. Au cours de leur périple, ils peuvent recueillir des ensembles de données de grande valeur, notamment des paramètres météorologiques (pression atmosphérique, vent, etc.) et océanographiques (salinité, pCO2, etc.), qui apportent une valeur ajoutée aux applications de prévision en temps quasi réel. Une fois leur qualité contrôlée, ces jeux de données sont versés dans des archives telles que l’Atlas du CO2 dans l’océan de surface (SOCAT) en vue d’applications en climatologie. Les voiliers déploient également des instruments autonomes, tels que dériveurs et flotteurs, dans des régions où les passages de navires sont très limités. Ici: le parcours du SeaExplorer‑ Yacht Club de Monaco durant le Vendée Globe 2020. |
«L’océan est à la fois notre terrain de jeu et notre environnement de travail», a fait observer Kojiro Shiraish, skipper de l’IMOCA DMG Mori. «Au fil des années, j’ai vu l’océan changer à plusieurs égards. Quand j’étais enfant, à Kamakura, ma ville natale, l’océan était pollué par les huiles lourdes. Quand nous allions nous baigner, il nous arrivait d’en avoir partout sur le corps. Le problème était si grave que le gouvernement japonais a dû déployer d’énormes efforts pour nettoyer l’océan. Depuis, l’océan au Japon est devenu très propre, mais il y a maintenant un plus gros problème. Un problème que nous ne pouvons pas percevoir directement parce qu’il est très insidieux.
Ce problème a un nom: les microplastiques. En regardant l’eau, on a l’impression qu’elle est très propre, mais il se pourrait en fait qu’elle soit polluée. Ce problème est très grave et nous devons trouver de meilleures solutions pour en venir à bout. L’océan est le poumon de la planète Terre. Nous devons mieux en prendre soin pour pouvoir vivre une vie meilleure.»
Alexia Barrier, the 4myplanet/IMOCA skipper who deployed an Argo float near the Kerguelen Islands, related, “We are several Vendée Globe sailors to have boats equipped with sensors and to collect oceanic data that transmit daily to scientists. Considering the number of days we spend on the water and the remote places we travel through on a round-the-world trip, we provide a legitimate source of information.”
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© Boris Herrmann / Seaexplorer – Yacht Club de Monaco |
Alexia Barrier, skipper de l’IMOCA 4myplanet qui a déployé un flotteur Argo au large des îles Kerguelen, a tenu ces propos: «Nous sommes plusieurs, sur le Vendée Globe, à avoir un bateau équipé de capteurs et à collecter des données océaniques qui sont transmises quotidiennement aux scientifiques. Compte tenu du nombre de jours que nous passons sur l’eau et des zones reculées que nous traversons lors d’un tour du monde, nous sommes une source d’information légitime.»
Alexia, Boris et Luis participent également à des programmes éducatifs visant à sensibiliser les enfants à la situation des océans. En amont de la course, Emanuela Rusciano, spécialiste de l’océanographie physique et coordinatrice Science et Communication à OceanOPS, s’est rendue dans trois classes à Brest et Plouzané, en France, à l’occasion d’un projet spécial sur l’observation de l’océan. Les élèves ont été initiés au fonctionnement d’un flotteur Argo et appris comment cet instrument aide les scientifiques à étudier le réchauffement climatique et à recueillir des données qui sont hors de portée des satellites, cela jusque dans les profondeurs de l’océan. Après le déploiement de l’instrument, les formateurs et les élèves suivront la trajectoire du flotteur, qu’ils ont signé, et accéderont aux ressources relatives aux données acquises sur le portail du dispositif «adopt a float».
Le déploiement d’instruments d’observation en mer est fondamental pour la mesure continue des paramètres océanographiques et atmosphériques de l’océan. Il faut disposer d’observations pour fournir des services de météorologie maritime et d’océanographie à même d’assurer la sécurité de la vie et des biens en mer, le commerce maritime et le bien-être des populations côtières. Les observations permettent également de mieux comprendre le système météorologique et climatique mondial et les effets du changement climatique à long terme, ainsi que d’obtenir des informations sur les pressions croissantes qu’exercent les activités humaines sur l’océan.
«Les observations réalisées à partir de bateaux de course, en particulier celles acquises dans les régions reculées des océans, seront cruciales pour acquérir des connaissances plus complètes sur l’océan et l’atmosphère qui le recouvre, et pour prévoir avec davantage de certitude les évolutions que pourraient connaître les océans dans les années à venir», a commenté Albert Fischer, Directeur du Bureau des projets du GOOS à la COI-UNESCO.
«Cela fait maintenant 10 ans, a encore déclaré Alexia, que je suis engagée pour la durabilité et la protection des océans et que j’essaie d’aider les scientifiques à mieux comprendre l’océan. J’ai pris conscience que, grâce au temps considérable que j’ai passé en mer à sillonner des régions océaniques très reculées qui ne sont visitées que par quelques navires, je peux être très utile pour l’étude et la préservation des océans. Les données océanographiques que j’ai acquises pendant ce Vendée Globe sont extrêmement rares et d’une grande valeur pour les scientifiques.»
«Le Système mondial d’observation de l’océan est soumis à des pressions croissantes face à la demande de services et de produits de prévision météorologique et océanographique, de systèmes d’alerte précoce multidangers et d’applications relatives au climat et à la santé des océans», a souligné le Directeur du Département des infrastructures à l’OMM, Anthony Rea. «Plusieurs systèmes d’observation des océans et opérations de surveillance des océans ont été touchés par la pandémie mondiale de COVID-19. C’est pourquoi l’OMM adresse ses remerciements et ses félicitations aux skippers du Vendée Globe pour leur précieuse contribution aux observations météorologiques et océanographiques.»
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@IMOCA, modifié par OceanOPS |
Martin Kramp, coordonnateur pour les navires à OceanOPS, a félicité les skippers du Vendée Globe pour leur importante contribution à la prévision du temps et à la compréhension de la santé de l’océan. Il a expliqué ce qui suit: «Ces instruments nous sont utiles dans les secteurs où les possibilités de recueillir des données océano-météorologiques sont très réduites. Des observations telles que les données sur la pression atmosphérique acquises par les bouées dérivantes et transmises en temps réel aux centres opérationnels contribuent à améliorer la prévision du temps et à protéger les vies en mer, tandis que les données de grande qualité sur la température recueillies par les flotteurs profilants permettront aux scientifiques, dans le monde entier, d’améliorer considérablement les estimations du stockage de chaleur dans les océans.»
Pour Long Jiang, Coordinateur technique d’OceanOps pour le Groupe de coopération pour les programmes de bouées de mesure, «le déploiement de bouées dérivantes de surface équipées de baromètres est essentiel pour la prévision numérique du temps, car la pression atmosphérique ne peut pas être mesurée directement par satellite».
À l’avenir, «nous souhaiterions que l’embarquement d’instruments météorologiques et de mesure de l’eau de mer devienne la règle pour les bateaux de classe IMOCA participant à des courses en mer, afin que chaque skipper, qu’il vise ou non le podium, participe à l’observation et à la préservation des océans», a ajouté M. Kramp.
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© Manuel Cousin / Groupe SETIN |
«En tant que skipper, je suis pleinement conscient de l’importance de la protection de l’environnement, notamment des océans. La France est, selon moi, investie d’une responsabilité particulière car elle possède le deuxième espace maritime mondial, avec les zones maritimes de ses collectivités d’outre- mer. Les initiatives de la classe IMOCA à l’appui du développement durable nous ont permis de nous approprier des actions ciblées et de devenir de véritables ambassadeurs du programme», a indiqué Manu Cousin, skipper de l’IMOCA Groupe SETIN.
L’initiative scientifique menée pendant le Vendée Globe soutient le GOOS et ses milliers de bouées, flotteurs profilants, robots sous-marins, capteurs embarqués et mammifères marins équipés de capteurs océanographiques.Tous ces instruments fournissent déjà aux scientifiques et aux spécialistes des prévisions maritimes et météorologiques des données cruciales sur les conditions en mer, qui servent aux études sur le climat, à la prévision du temps et aux alertes précoces, ainsi qu’à la surveillance de la santé des océans.
Ces nouvelles formes de coopération et de collaboration avec les marins sont essentielles pour aider les scientifiques à combler les lacunes géographiques du GOOS et pour préserver la sécurité des personnes et l’avenir de notre planète.
«Chaque année, il faut déployer de l’ordre de 2 000 instruments autonomes (flotteurs profilants et bouées dérivantes notamment) pour soutenir les opérations du GOOS. Par le biais d’un projet spécifique de la Décennie de l’Océan des Nations Unies, nous appelons aujourd’hui la société civile à soutenir la mise en œuvre du GOOS. Nous voulons libérer les potentialités du grand public, des organisations non gouvernementales, du secteur privé et des navigateurs de classe mondiale, qui sont parmi les meilleurs ambassadeurs de l’océan», a déclaré Mathieu Belbéoch, Directeur d’OceanOPS.
La Décennie de l’Océan des Nations Unies nous offre une occasion unique de changer notre façon d’appréhender l’océan et d’apporter un soutien efficace aux sciences océaniques et à l’océanographie à l’appui de la protection et du développement durable des océans. Elle nous donne, à nous tous, une chance de contribuer activement à la mise en place d’un système d’observation de l’océan plus durable et plus complet, qui fournisse en temps utile des données et des informations accessibles à tous les utilisateurs sur l’état de l’ensemble des bassins océaniques.
La participation des skippers de l’IMOCA à ce projet scientifique s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre l’UNESCO et l’IMOCA signé en janvier 2020, qui a pour but de soutenir les sciences océaniques et de protéger l’océan. Pendant deux ans, les deux organisations mèneront divers projets conjoints, notamment des observations océano-météorologiques.
Le projet scientifique Vendée Globe/IMOCA contribue à sensibiliser la communauté des navigateurs à la nécessité d’agir pour préserver l’océan. Il résulte des efforts déployés depuis plusieurs années par OceanOPS pour faire équipe avec des «voiliers d’observation occasionnels» en vue de recueillir des données météorologiques et de déployer des instruments océanographiques en mer. Ce projet s’inscrit en droite ligne d’initiatives analogues menées par des navigateurs et coordonnées par OceanOPS, qui ont eu lieu lors de la Volvo Ocean Race (opération qui sera renouvelée sur la Ocean Race 2022-2023), la Barcelona World Race, la Clipper Race, les rallyes organisés par Jimmy Cornell et la récente course Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne organisée par l’IMOCA.
«Nos skippers bénéficient d’une expérience unique. Ils parcourent les régions les plus isolées du globe et sont les premiers témoins de l’impact de l’activité humaine sur les océans. La classe IMOCA est consciente du besoin urgent de protéger et de préserver nos mers, ce qui rend son partenariat avec OceanOPS et la COI de l’UNESCO encore plus précieux. Lors du prochain cycle IMOCA (2021-2024), nous voudrions aller plus loin en associant davantage d’équipes au processus de contribution scientifique», a déclaré Antoine Mermod, Président de l’IMOCA.
«Au nom du secteur de l’observation des océans, je tiens à féliciter et remercier tous les skippers de l’IMOCA pour leur engagement en faveur de la protection de l’océan et leur contribution inestimable aux observations météorologiques et océaniques», a conclu M. Belbéoch.
Pour de plus amples renseignements sur les possibilités de participer au projet d’observation de la Décennie de l’Océan des Nations Unies, veuillez contacter Emanuela Rusciano, eruscianoocean-ops [dot] org (erusciano[at]ocean-ops[dot]org).
Auteurs
Emanuela Rusciano, WMO-IOC OceanOPS
Mathieu Belbéoch, WMO-IOC OceanOPS
Emma Heslop, IOC-UNESCO/GOOS
Albert Fischer, IOC-UNESCO/GOOS