Alertes précoces aux inondations côtières
- Author(s):
- Val Swail, Sarah Grimes, Paul Pilon, Ray Canterford, Curtis Barrett et Yuri Simonov

Les inondations côtières ont lieu le long des côtes exposées. L'effet combiné des ondes de tempête – généralement dues à des cyclones tropicaux ou à des tempêtes extratropicales – et des vagues, conjugué aux crues fluviales à différents niveaux de marées, entraîne régulièrement d'importantes pertes en vies humaines. Ces 200 dernières années, on estime que les inondations côtières dues aux ondes de tempête ont provoqué la noyade d'au moins 2,6 millions de personnes (Dilley et al., 2005). Pourtant, la plupart des pays à littoral vulnérable connaissent une augmentation des établissements humains ainsi que des niveaux de développement des infrastructures pour la pêche, le tourisme et d'autres activités dans les zones côtières, ce qui expose davantage de personnes au danger. Il en résulte une inquiétude grandissante au sujet des inondations côtières.
Des changements interviennent également dans les bassins versants par suite de l'empiètement sur les plaines inondables, des modes d'utilisation des terres et des modifications de l'écoulement qui en résultent et qui peuvent être amplifiées par les ondes de tempête d'origine océanique, les vagues extrêmes et autres phénomènes de ce genre. Les ondes de tempête s'accompagnent souvent de fortes pluies qui font déborder les cours d'eau, ce qui aggrave encore les inondations au niveau local. L'élévation du niveau de la mer à l'échelle mondiale contribue aussi à accroître la vulnérabilité.
Ces statistiques et d'autres encore mettent en évidence la menace croissante qui pèse sur les populations, en particulier dans les zones côtières, et soulignent la nécessité de mettre en place des systèmes d'alerte aux inondations côtières qui tiennent correctement compte des divers dangers et de leurs interactions. La Commission technique mixte OMM/COI d'océanographie et de météorologie maritime (CMOM) et la Commission d'hydrologie de l'OMM (CHy) ont décidé de collaborer pour parer cette menace. En 2009, elles ont donc lancé le projet de démonstration concernant la prévision des inondations côtières (CIFDP) en vue de relever le défi de la sécurité des populations côtières et de favoriser le renforcement de la résilience en améliorant les systèmes de prévision et d'alerte concernant ces phénomènes aux niveaux national et régional.
Projet de démonstration concernant la prévision des inondations côtières
Le projet de démonstration concernant la prévision des inondations côtières était unique en ce qu'il facilitait la conception et la mise au point d'un système complet d'avis et d'alertes concernant les inondations côtières dues à des causes multiples. Il mettait l'accent sur les systèmes d'alerte précoce dans les zones côtières et les bassins exposés aux cyclones tropicaux et aux ondes de tempête, à l'action des fortes vagues d'origine lointaine, aux effets des marées et aux épisodes d'inondation fluviale.
Cette initiative et ses sous-projets étaient destinés à améliorer la sécurité des populations menacées, ce qui est une priorité fondamentale de l'OMM. La CMOM et la CHy, en collaboration avec de nombreux experts et institutions apparentées, ont avant tout facilité la prévision exacte et en temps voulu des inondations côtières du point de vue de l'enveloppe totale du niveau d'eau et de ses interactions avec les milieux fluviaux et les populations vulnérables. Le cadre de modélisation illustrant les complexités indispensables pour rendre compte des dangers locaux et de leurs effets réciproques est décrit dans le Plan de mise en œuvre du CIFDP (OMM, 2017a).
Un nombre restreint seulement d'organismes nationaux exploitent simultanément des modèles relatifs aux ondes de tempête, aux vagues et aux paramètres hydrologiques et des systèmes couplés de prévision côtière, et il n'y en a pratiquement aucun dans les pays en développement. C'est pourquoi le CIFDP a été conçu afin d'aider les organismes nationaux à mettre au point et à utiliser des produits de prévision de manière opérationnelle et à créer des liens entre eux et les programmes de gestion des inondations côtières et les autres groupes d'utilisateurs concernés. Cela a nécessité une formation approfondie à l'utilisation de ces produits dans diverses conditions hydrométéorologiques et situations de risque.
Le CIFDP a facilité l'élaboration et la mise en place de services d'alerte aux inondations côtières dues à des phénomènes océanographiques et hydrologiques découlant d'aléas hydrométéorologiques extrêmes. L'objectif était d'exploiter et de maintenir un système de prévision fiable qui éclaire la prise de décision au niveau national en matière de gestion des inondations côtières en permettant de:
- Définir les besoins aux niveaux national et régional, en particulier ceux des utilisateurs finals;
- Favoriser la pleine participation de toutes les parties prenantes;
- Mettre en place des systèmes opérationnels de bout en bout de prévision et d'alerte concernant les inondations côtières;
- Instaurer une coopération transversale entre les différentes disciplines scientifiques et groupes d'utilisateurs concernés;
- Mettre en place des plates-formes de communication entre les chercheurs, les prévisionnistes et les responsables de la gestion des catastrophes qui participent à la gestion des inondations côtières;
- Procéder à un transfert de technologie vers les pays participants;
- Dispenser une formation spécialisée aux responsables de l'exploitation, aux prévisionnistes et aux responsables de la gestion des catastrophes.
Sous-projets du CIFDP
Quatre sous-projets distincts et différents ont été mis en œuvre au Bangladesh (sous‑projet achevé en 2017), dans les Caraïbes (achevé en 2018), en Indonésie (achevé en 2019) et aux Fidji (achèvement prévu fin 2019). Chacun des sous-projets comportait un ensemble particulier de mécanismes de forçage qui, conjugué aux divers degrés de capacité et de structure de gestion des situations d'urgence dans le pays, les rendait uniques en leur genre. La réussite de leur mise en œuvre a montré que les processus intégrés de prévision et d'alerte pour les inondations côtières pouvaient être améliorés et coordonnés par les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN). Les rapports finals des sous-projets donnent des précisions sur la mise en œuvre (OMM, 2017b, 2018, 2019).
Bangladesh
![]() |
Figure 1. Étendue prévue de l'inondation côtière provoquée par le cyclone Fani le 1er mai 2019, selon les indications du système de prévision des inondations côtières mis au point dans le cadre du CIFDP pour le Bangladesh. (Source: Avec l'aimable autorisation de Qamral Hassan (BMD) et de Bapon Fakhruddin (Tonkin Taylor)) |
La côte du Bangladesh est exposée à des ondes de tempête de grande ampleur, à des débordements des cours d'eau et aux effets des marées. Le long plateau continental, la faible profondeur des fonds marins, la morphologie complexe du littoral et la grande amplitude des marées entre les côtes est et ouest sont des caractéristiques connues pour engendrer des ondes de tempête intenses et de longue durée. En moyenne, cinq à six cyclones tropicaux se forment dans cette région chaque année.
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) considère le Bangladesh comme le pays du monde le plus exposé aux cyclones tropicaux et aux ondes de tempête qu'ils engendrent. De plus, ce pays est traversé par trois grands fleuves: le Brahmapoutre, le Gange et la Meghna. L'effet combiné du débit de ces grands réseaux fluviaux et de la hauteur des ondes de tempête, qui peut atteindre plus de 10 mètres au‑dessus du niveau moyen de la mer, peut donner lieu à des inondations côtières catastrophiques. C'est pourquoi le Bangladesh a été choisi en 2009 comme pays bénéficiaire du premier sous‑projet du CIFDP, en accord avec le Département météorologique du Bangladesh (BMD). Le financement a été assuré par l'Office of Foreign Disaster Assistance (OFDA) relevant de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).
Le modèle d'onde de tempête mis au point par le Service météorologique japonais (JMA) a été amélioré afin de pouvoir intégrer les données sur les vagues et les marées dans les prévisions relatives aux valeurs estimées du niveau d'eau total. Les données hydrologiques et hydrodynamiques concernant le débit des cours d'eau ont été paramétrées afin de pouvoir être prises en compte par le système de prévision. Des informations sur les cyclones ont été recueillies auprès du Centre météorologique régional spécialisé (CMRS), du Centre commun d'avis de typhons (JTWC) et du Système régional intégré d’alerte précoce multidanger pour l’Afrique et l’Asie (RIMES). On a utilisé la méthode d'intégration propre au système d'alerte précoce aux crues de Delft. Les données bathymétriques, qui constituaient un apport majeur au système d'alerte, provenaient de différentes sources et, en premier lieu, de la marine du Bangladesh. Les données de modèle altimétrique numérique sont essentielles pour la modélisation des inondations côtières, et celles fournies par l'Étude du Bangladesh ont servi à cette fin. Cela illustre certains des modes de collaboration nécessaires, depuis les données jusqu'à la modélisation et à la mise en place d'un système efficace de prévision des inondations côtières.
Il a fallu prendre en compte une série d'exigences en matière d'intégration et d'exploitation avant de se mettre d'accord sur la conception d'un système d'alerte précoce de bout en bout axé sur les impacts. Cela a notamment consisté à adopter une modélisation simplifiée dans certains cas (par exemple pour la modélisation des débits fluviaux), afin de maintenir la durée d'exécution des programmes informatiques à un niveau raisonnable, de manière à pouvoir fournir des prévisions à une échéance permettant d'intervenir de manière efficace, avec une alerte diffusée au moins 12 à 24 heures à l'avance. Le but n'était pas de changer les procédures de gestion des catastrophes dans le pays ni de modifier les mandats, mais plutôt d'améliorer et de faciliter le processus décisionnel pour les procédures déjà en vigueur. Il s'agissait de mettre en place un système qui réponde mieux aux besoins du Bangladesh et des parties prenantes locales.
Depuis la mise en place du système, les pertes en vies humaines ont diminué – 26 en 2016 et 2 en 2017 – par rapport aux milliers de victimes enregistrées lors des épisodes de 1998 et de 2007. L'amélioration des systèmes d'alerte précoce a contribué à éclairer le processus décisionnel au niveau local, concourant ainsi à la réussite globale du Bangladesh dans le domaine de la prévention des catastrophes dues aux inondations côtières. Même si le pays pourrait être encore submergé lors d'épisodes futurs, il est extrêmement positif de constater que ce sous-projet du CIFDP a été un succès. Le BMD a déjà utilisé le système, par exemple à l'occasion du cyclone Fani en mai 2019 (voir la figure 1).
Indonésie
![]() |
Inondation côtière à Semarang (Indonésie), provoquant des perturbations de la circulation et l'inondation des bâtiments de la ville |
S'agissant des inondations côtières, l'Indonésie se distingue par la vulnérabilité de ses populations côtières. Cet archipel compte près de 100 000 kilomètres de littoral exposés aux inondations catastrophiques dues à divers phénomènes dangereux survenant seuls ou en parallèle. Parmi ces dangers figurent les fortes marées, les fortes pluies, les crues des cours d'eau, les anomalies d'élévation du niveau de la mer et les vagues océaniques. Même des variations minimes de la pression et du vent peuvent causer des houles de 0,5 mètre, susceptibles d'avoir une incidence sur les basses terres. S'agissant des inondations côtières, un autre facteur aggravant propre à l'Indonésie est l'affaissement de grande ampleur observé dans les zones urbaines – qui atteint souvent plus de 25 centimètres par an –, associé à l'aménagement toujours croissant des zones littorales. De tels problèmes peuvent, à la longue, augmenter les vulnérabilités.
De nombreux organismes ont collaboré à la mise en place d'un système efficace de prévision des inondations côtières en Indonésie. L'accord relatif au sous-projet pour l'Indonésie signé en 2017 concernait cinq ministères ou institutions: le Centre de météorologie maritime relevant du Service indonésien de météorologie, climatologie et géophysique (BMKG), le Centre de recherche et la Mise en valeur des ressources en eau relevant du Ministère des travaux publics et du logement social (PUPERA), la Direction de l'utilisation des zones côtières et des petites îles relevant du Ministère des affaires maritimes et des pêches (KKP), le Centre de contrôle géodésique et géodynamique relevant de l'Agence nationale d'information géospatiale (BIG) et la Direction de la préparation relevant de l'Agence nationale de lutte contre les catastrophes naturelles (BNPB).
Les résultats fournis par les divers systèmes de prévision côtière ont été intégrés dans le cadre du système d'alerte précoce aux crues de Delft, y compris le modèle (hydrodynamique) tridimensionnel de Delft pour les ondes de tempête, le modèle de vagues WAVEWATCH III© de l'Administration américaine pour les océans et l'atmosphère (NOAA), appliqué par le BMKG aux eaux côtières indonésiennes, et plusieurs autres modèles nationaux et internationaux, dont les prévisions opérationnelles du Bureau météorologique australien fournies par les modèles des anomalies de l'élévation de la surface libre de la mer et des marées à l'échelle du globe.
Il est important de noter que le BMKG dispose d'une solide capacité de prévision, ainsi que d'un personnel dûment qualifié et de procédures appropriées. Cela a permis de poursuivre l'amélioration du système et de mieux assurer sa viabilité à long terme. Le financement du projet a également été assuré en grande partie par le BMKG, dont les aptitudes et la capacité se sont considérablement renforcées grâce au CIFDP. Le sous‑projet s'est achevé en janvier 2019, et un nouveau programme national opérationnel de prévision des inondations côtières en Indonésie a été lancé en avril 2019.
Caraïbes
Chaque année, les cyclones tropicaux font peser une menace sur l'Île d'Hispaniola – que se partagent deux pays: la République dominicaine et Haïti – pendant la saison des ouragans qui dure du 1er juin au 30 novembre. Depuis 1851, plus de 150 cyclones tropicaux se sont approchés à moins de 300 km de l'île, engendrant des vents forts, des ondes de tempête de grande ampleur, de grandes vagues, de fortes pluies et des crues fluviales. Avant la mise en œuvre de ce sous-projet du CIFDP, la République dominicaine et Haïti ne disposaient pas de produits de planification et de préparation concernant les ondes de tempête et les inondations côtières pour les aider à gérer les situations d'urgence. Il en va de même pour nombre d'autres pays des Caraïbes.
S'agissant de la conception et de la mise en œuvre du projet, le Centre météorologique régional de l'OMM spécialisé dans les cyclones tropicaux et le Centre national des ouragans (NHC) de la NOAA ont apporté les principales contributions techniques en collaboration avec le groupe directeur du CIFDP et d'autres partenaires. Le financement a été assuré par l'USAID. L'équipe nationale de coordination comprenaient des experts, des prévisionnistes et des responsables de la gestion des catastrophes de divers organismes de la République dominicaine. Haïti a participé à l'action engagée et à diverses réunions, de sorte que ses experts puissent aussi utiliser en connaissance de cause les produits disponibles pour diffuser des alertes et orienter au mieux les interventions d'urgence.
Dans le cadre du sous-projet du CIFDP pour les Caraïbes, on a utilisé une méthode de modélisation côtière différente de celle employée pour les autres sous-projets. En effet, plutôt qu'un modèle d'onde de tempête complet en temps réel couplé à un modèle de vagues qui nécessitait un long temps de calcul, on a choisi la méthode utilisée par le NHC à Miami, pour laquelle un ordinateur de bureau ordinaire suffit. Il s'agissait d'appliquer le modèle SLOSH (Sea, Lake, and Overland Surges from Hurricanes) aux diverses catégories d'ouragans et aux différentes trajectoires susceptibles d'atteindre les côtes d'Hispaniola. Tous les scénarios possibles d'intensité, de vitesse et de trajectoire, totalisant quelque 10 000 possibilités, ont été simulés à l'aide d'un supercalculateur. Un modèle de vagues a été exécuté après superposition aux résultats du modèle d'onde de tempête pour tenir compte de l'action des vagues et de l'élévation du niveau d'eau atteint.
Ces simulations du modèle SLOSH ont permis d'obtenir une série d'enveloppes maximales des eaux (EMDE) et un maximum de valeurs estimées de l'EMDE. Un élément déterminant a été l'utilisation d'un modèle numérique de terrain (MNT) fourni par un satellite allemand (TanDEM-X) à une résolution de grille de 12 m. Cette résolution fine était nécessaire? car seules des données de grille à résolution médiocre étaient autrement disponibles et se seraient révélées inutilisables dans les simulations du modèle d'onde de tempête. Les données bathymétriques étaient des données à faisceau unique utilisées pour les modèles de tsunami.
Les prévisions qui en résultent sont disponibles presque instantanément, ce qui laisse plus de temps pour l'élaboration des alertes et la communication avec les intervenants en cas d'urgence. Ce système réactif permet également d'actualiser les directives à suivre et les messages d'alerte en cas de modification des paramètres de l'épisode de tempête considéré.
Le projet de démonstration s'est achevé en décembre 2018 et était donc opérationnel pendant la saison des ouragans 2019 dans l'Atlantique. Après la phase de démonstration, les travaux se poursuivent pour établir des liens entre les prévisions relatives aux ondes de tempête et les prévisions relatives aux crues fluviales, lesquelles seront produites par l'Institut national des ressources hydrologiques. À cet égard, il sera également tenu compte de l'effet des ondes de tempête faisant l'objet de prévisions sur les conditions propres aux crues fluviales, qui peuvent être soumises à l'influence prédominante des fortes pluies qui vont de pair avec les tempêtes tropicales.
Fidji
![]() |
Inondation d'un lieu de villégiature sur la «Coral Coast» de Viti Levu (Fidji), causée par des vagues de la houle venant du sud |
Les Fidji se composent de plus de 330 îles du Pacifique, dont seulement 110 sont habitées d'une façon permanente. Les deux principales îles, Viti Levu et Vanua Levu, accueillent 87 % de la population de près de 850 000 habitants. Environ 75 % des habitants des Fidji vivent sur les côtes de Viti Levu.
Du fait de leur situation géographique, les Fidji sont exposées aux cyclones tropicaux. Ceux-ci peuvent provoquer des ondes de tempête dangereuses et dévastatrices dans les parties du littoral aux eaux peu profondes (plateaux), en particulier la côte nord‑ouest de Viti Levu, qui contribue à engendrer des ondes de tempête dans les villes de Nadi et de Lautoka. La côte sud de Viti Levu ne comporte pas un tel plateau et n'est donc pas exposée aux ondes de tempête dues à l'action du vent, mais subit les effets de la houle venant d'aussi loin au sud que l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Les cyclones tropicaux peuvent donner lieu à des périodes prolongées de fortes pluies aux Fidji, causant des inondations sous la forme de crues éclair ou de crues fluviales. Lorsque de telles crues fluviales se produisent en même temps que des ondes de tempête, les inondations qui en résultent peuvent être beaucoup plus graves qu'elles ne l'auraient été si ces phénomènes s'étaient produits séparément. Cela souligne l'importance d'une modélisation simultanée des ondes de tempête et des crues fluviales. C'est par exemple le cas de Nadi, qui est une ville côtière où peuvent se produire des inondations de grande ampleur dévastatrices, entraînant des pertes en vies humaines.
Ce sous-projet du CIFDP concernait avant tout l'île principale de Viti Levu, et notamment deux grandes zones de concentration de la population et d'activité économique: la «Coral Coast» sur le littoral sud de l'île et la côte nord-ouest proche de Nadi. Son financement était assuré par l'Agence coréenne de coopération internationale (KOICA) et par l'Administration météorologique coréenne (KMA). Le sous-projet mis en œuvre aux Fidji est un système de systèmes, qui comporte trois composantes distinctes:
- La côte sud exposée aux inondations dues à des vagues de la houle d'origine lointaine;
- Les côtes nord-ouest et nord-est principalement exposées aux ondes de tempête (notamment dues à des cyclones tropicaux);
- Les crues fluviales, initialement centrées sur le bassin fluvial de Nadi.
La houle venant du sud et arrivant aux Fidji, associée à de fortes marées, peut causer des inondations importantes et dévastatrices. S'agissant de leurs incidences, il faut mentionner la présence d'un axe routier majeur et d'hôtels de tourisme sur la côte de corail. Plutôt que d'exécuter un modèle de vagues complexe à haute résolution en temps réel, le système de prévision utilise les résultats de centaines de scénarios possibles concernant la hauteur, la période et la direction de la houle. Ce système permet d'obtenir rapidement des résultats avec un ordinateur de bureau ordinaire. Les alertes sont diffusées 48 heures à l'avance, et les avis sont donnés à 24 heures d'échéance. La phase préopérationnelle a permis de fournir des avis précoces et exhaustifs pour la côte sud à l'occasion de quelques événements majeurs.
Pour prendre en compte des ondes de tempête sur les versants côtiers des parties nord‑ouest et nord-est de Viti Levu, le JMA a mis en place un modèle d'onde de tempête portant plus particulièrement sur cette île, mais englobant aussi l'ensemble des îles fidjiennes. Ce modèle a fonctionné à titre expérimental depuis 2018 et devrait être pleinement opérationnel dès la saison cyclonique 2019/20.
Le fleuve Nadi peut déborder assez rapidement, dans les 2 à 4 heures qui suivent l'arrivée des fortes pluies qui peuvent accompagner les cyclones tropicaux et les tempêtes. Pour mieux répondre au besoin d'annonces précoces des crues fluviales, le sous-projet a mis en place un système d'alerte en cas d'inondation de la plaine inondable de Nadi. Le système recourt à une logique d'arbre de décision sur la base des informations concernant les pluies observées et prévues, les niveaux des ondes de tempête et les conditions hydrologiques en amont, fondées sur des connaissances spécialisées, pour donner des indications aux prévisionnistes. Une fois mis en place, ce système permet de diffuser des alertes et des avis d'éventuelles inondations dans un environnement complexe associant ondes de tempête et crues fluviales.
Toutes les composantes du sous-projet du CIFDP pour les Fidji ont été mises en œuvre en mode préopérationnel. La phase de démonstration, y compris le passage à la pleine capacité opérationnelle, devrait s'achever d'ici à la fin de l'année 2019.
Évolution récente
L'OMM a commandé une étude indépendante (Barrett et Canterford, 2018) du CIFDP, qui a fourni une évaluation approfondie de la notion novatrice de projet de démontration, étayée par un certain nombre de conclusions et de recommandations. L'étude a confirmé que les sous-projets avaient démontré qu'il était possible de diffuser des prévisions et des avis axés sur les impacts en cas d'inondation côtière lorsque les mécanismes de forçage donnent lieu à des combinaisons complexes. Elle a aussi montré qu'il serait opportun d'amplifier et d'améliorer la méthode du CIFDP, afin de l'appliquer dans d'autres pays en développement vulnérables.
Par exemple, le sous-projet pour les Fidji constitue un excellent modèle en vue d'une éventuelle application à d'autres environnements de petites îles dans le Pacifique Sud, alors que le sous-projet pour l'Hispaniola peut être facilement adapté aux fins d'application dans d'autres îles des Caraïbes. Le sous-projet pour le Bangladesh pourrait être mis en œuvre dans d'autres pays riverains du golfe du Bengale, et le sous-projet pour l'Indonésie, qui porte plus particulièrement sur les villes de Djakarta et Semarang, pourrait l'être ailleurs en Indonésie ou dans des pays voisins.
Le Dix-huitième Congrès météorologique mondial a souscrit aux principales constatations et recommandations de l'étude et a supprimé la mention «de démonstration» pour créer un nouveau programme: l'Initiative concernant la prévision des inondations côtières (CIFI). Cette initiative correspond à la notion de système d'alerte précoce multidanger (MHEWS) préconisée dans le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe. Elle cherchera donc, dans la mesure du possible, à créer des synergies, en particulier avec les systèmes d'alerte précoce aux tsunamis.
Le succès de la mise en œuvre du CIFDP a montré tout l'intérêt de la conception de systèmes d'alerte précoce suffisamment souples pour prendre en compte des inondations aux origines multiples. Ces dix dernières années, les efforts remarquables déployés par les Membres en concertation avec leurs partenaires au sein des pays participants ainsi qu'avec la CMOM, la CHy et nombre d'autres experts ont démontré le bien-fondé de la mise en place d'un système d'alerte précoce novateur et de l'instauration d'une collaboration interdisciplinaire à l'échelle internationale pour le plus grand bien de la sécurité publique.
Références
Barrett, C. et R. Canterford, 2018: Assessment Report, Coastal Inundation Forecasting Demonstration Project (CIFDP). Genève, Organisation météorologique mondiale.
Dilley, M., R. S. Chen, U. Deichmann, A. L. Lerner-Lam, M. Arnold, J. Agwe, P. Buys, O. Kjevstad, B. Lyon and G. Yetman, 2005: Natural Disaster Hotspots: A Global Risk Analysis. Disaster Risk Management Series No. 5. Washington, DC, World Bank.
Organisation météorologique mondiale, 2017a: Coastal Inundation Forecasting Demonstration Project Implementation Plan. Rapport technique n° 64 de la Commission technique mixte OMM/COI d'océanographie et de météorologie maritime, Genève.
———, 2017b: Final Report of the Coastal Inundation Forecasting Demonstration Project (CIFDP) for Bang- ladesh. Rapport technique n° 95 de la Commission technique mixte OMM/COI d'océanographie et de météorologie maritime, Genève.
———, 2018: Final Report of the Coastal Inundation Forecasting Demonstration Project (CIFDP) for Carib- bean. Rapport technique n° 96 de la Commission technique mixte OMM/COI d'océanographie et de météorologie maritime, Genève.
———, 2019: Final Report of the Coastal Inundation Forecasting Demonstration Project (CIFDP) for Indonesia. Rapport technique n° 97 de la Commission technique mixte OMM/COI d'océanographie et de météorologie maritime, Genève.
Auteurs
Val Swail, Environnement et Changement climatique Canada
Sarah Grimes, Secrétariat de l'OMM
Paul Pilon, Secrétariat de l'OMM
Ray Canterford, Spécialiste des dangers naturels, Australie
Curtis Barrett, Agence des États-Unis pour le développement international
Yuri Simonov, RosHydromet