Améliorer la prévision: Collaboration public-privé et intérêt des indications météorologiques tirées des données
- Author(s):
- Mary Glackin, vice-présidente de la recherche scientifique et de la prévision et directrice des partenariats public-privé, The Weather Company (IBM), présidente élue de la Société météorologique américaine

On ne peut pas changer le temps, même si on aimerait souvent pouvoir le faire.
Les phénomènes météorologiques à fort impact sont à l’origine de la plupart des catastrophes qui affectent des millions de personnes et provoquent des milliards de dollars É.‑U. de dégâts matériels chaque année dans le monde. En 2018, le nombre de décès causés par les catastrophes naturelles – 10 000 environ – était nettement inférieur à la moyenne annuelle du siècle, soit quelque 70 000, selon le courtier d’assurance Aon. Cette année-là toutefois, 39 catastrophes météorologiques au moins ont infligé chacune des dommages s’élevant à 1 milliard de dollars et plus. Trois autres années seulement (2010, 2011 et 2013) avaient subi un plus grand nombre de catastrophes aussi destructrices, compte dûment tenu de l’inflation, imputables au mauvais temps.
L’année 2018 a été marquée par de graves inondations au Japon, en Inde et dans le nord de la Chine, une chaleur extrême et des incendies catastrophiques en Californie et dix cyclones tropicaux de catégorie 5 (total dépassé une seule fois auparavant). Des millions de personnes ont souffert des températures les plus élevées jamais relevées dans des villes de l’hémisphère Nord – dont Glasgow, Montréal et Séoul – qui ont fait des dizaines de morts et mis à rude épreuve les réseaux électriques.
Ces événements rappellent avec force l’importance pour la société et l’économie de détenir en temps opportun des informations exactes sur le temps et le climat. Les changements climatiques nous exposeront à davantage de conditions extrêmes. Bien que ces événements ne touchent généralement qu’un emplacement précis ou une région, ils ont souvent des répercussions socio-économiques dans le monde entier, par exemple le déplacement de populations ou la perturbation de chaînes d’approvisionnement.
Beaucoup de membres de la communauté météorologique ressentent le besoin d’aider. Nous ne pouvons pas arrêter les phénomènes les plus destructeurs qui secouent la planète; mais nous pouvons contribuer à mieux anticiper l’incidence probable du temps sur les personnes et sur les entreprises, et les aider à mieux s’y préparer et y réagir.
Il est indispensable, face aux défis à venir, que les autorités, les entreprises et les populations reçoivent les meilleurs services météorologiques et climatologiques qui soient. Pour cela, nous devons nous considérer comme des partenaires, non comme des concurrents, et unir nos forces.
L’incidence du temps sur les entreprises
Aucune entreprise de la planète n’est épargnée par le temps. Une étude récente (IBM Institute for Business Value) montre que la totalité des dirigeants d’entreprise estiment que le temps a une incidence sur au moins un élément de coût et un élément de revenu dans leur société.
Les cadres interrogés reconnaissaient également l’intérêt qu’il y aurait à mieux connaître le temps: 99 % pensaient qu’il en résulterait une baisse des frais d’exploitation annuels et 93% une progression accrue du chiffre d’affaires. À noter que 62 % croyaient que les indications météorologiques se traduiraient par une croissance supplémentaire de 20 millions par tranche de 1 milliard de chiffre d’affaires annuel – soit une hausse de 2 % par milliard. En outre, 68 % estimaient que des indications offertes sous forme de services seraient plus utiles que des données brutes. De tels chiffres justifient les efforts que déploie l’OMM pour stimuler la mise au point de services axés sur les impacts.
La société The Weather Company, filiale d’IBM, offre aux consommateurs et aux entreprises une série de solutions fondées sur les données qui sont transmises par le Web et par les plates-formes de téléphonie mobile. Il peut en résulter une hausse des revenus, une participation plus large des consommateurs, une baisse des coûts et une efficacité de fonctionnement accrue, ainsi que le renforcement de la résilience des entreprises dans le monde.
L’importance de la collaboration
L’intérêt des approches fondées sur/régies/mues par les données qui font appel aux nouvelles technologies pourrait aller bien au-delà d’une hausse des bénéfices. Ce genre de services permettrait de faire face à certains problèmes cruciaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, telle la capacité de nourrir une population qui augmente rapidement ou l’atténuation des dégâts croissants causés par les aléas naturels – temps, climat et eau.
Il faudra, pour atteindre des buts aussi ambitieux, que le secteur public et le secteur privé entretiennent des relations stratégiques, chacun apportant ses forces à un dispositif bénéfique pour tous. Ainsi, le secteur privé est souvent prompt à adopter et intégrer les nouvelles technologies. Le secteur public, quant à lui, bénéficie d’un degré de confiance et d’une image de transparence qui sont essentiels pour aider les gens à prendre de bonnes décisions.
Il pourrait être très fructueux de mettre la souplesse technologique du secteur privé au service des travaux du secteur public. Par exemple, The Weather Company collabore avec le Service météorologique national pour transmettre les avis de conditions dangereuses – crues éclair, ouragans, etc. – à des millions d’Américains par le biais d’applications mobiles. La source des avis est dûment mentionnée et aucune modification n’est apportée au texte original. Les capacités techniques d’un organisme privé étendent ainsi la portée d’une entité publique de confiance. Grâce à ce mode de communication, le contenu des alertes est clair et la population ne reçoit pas de messages contradictoires.
Créer les prévisions les plus exactes au monde
La plupart des fournisseurs de prévisions puisent dans les sources de données du secteur public, qui présentent essentiellement une résolution d’échelle synoptique. Cela présente parfois certaines limites, car les microclimats et les anomalies géographiques créent des écarts marqués entre deux secteurs. D’où les efforts constants déployés par The Weather Company pour améliorer l’exactitude des prévisions grâce à de meilleures données.
L’entreprise fonde ses prévisions sur les données les plus riches, les plus fines et les plus détaillées que l’on puisse obtenir. Chaque jour, nous combinons les prévisions issues des grands centres mondiaux aux données de dizaines de milliers de stations météorologiques privées et aux observations transmises en temps réel par les aéronefs. On peut produire ainsi des téraoctets de données météorologiques quotidiennes, qui généreront des dizaines de téraoctets d’informations historiques à archiver en vue de l’analyse des tendances.
Une fois les données réunies, nous appliquons des algorithmes perfectionnés d’apprentissage automatique afin d’optimiser chaque élément de la prévision – la température, les précipitations, la direction et la vitesse du vent, l’humidité et la pression – en fonction de la géographie, de l’heure, du type de temps et de l’exactitude récente. Notre équipe de météorologistes confirmés suit sans cesse les prévisions et les ajuste au besoin.
Le résultat? Pouvoir prévoir le temps à 2,2 milliards d’emplacements, avec une précision globale de 500 mètres et une actualisation toutes les quinze minutes. Nous pouvons aussi établir des prévisions à échéance de quatre mois pour aider les entreprises et les consommateurs à planifier leurs activités.
Notre détermination à innover ne fléchit pas. En collaboration avec le Centre national de recherche atmosphérique (NCAR), The Weather Company lance aujourd’hui le système de prévision atmosphérique mondiale à haute résolution (GRAF) d’IBM, basé sur le modèle de prévision multi-échelles du NCAR. À la différence de la plupart des modèles mondiaux, le GRAF offrira une résolution de trois kilomètres et une actualisation horaire, produisant des prévisions fiables pour la journée. Il pourra exploiter des données inutilisées comme celles provenant des capteurs d’aéronefs ou des baromètres que renferment les téléphones intelligents.
Le nouveau système de prévision atmosphérique mondiale à haute résolution d’IBM offrira le premier service commercial à actualisation horaire capable d’anticiper des phénomènes aussi petits que les orages sur l’ensemble de la planète. Sa résolution atteindra 3 kilomètres sur les terres émergées (en bas), contrairement aux modèles mondiaux classiques qui se situent entre 13 et 15 kilomètres (en haut). Images: IBM
Une plus large utilisation des données d’un type nouveau compenserait le manque d’équipement météorologique spécialisé dans de nombreuses régions du monde. Ce système de prévision numérique du temps alimentera notre système de prévision en temps réel décrit plus haut. Il optimisera les processeurs graphiques tout comme les unités centrales. Il bénéficiera de la technologie POWER9 d’IBM et GPU de nVidia, qu’exploitent les deux superordinateurs les plus puissants au monde, Summit et Sierra, du Ministère américain de l’énergie.
Antonio Busalacchi préside la Corporation universitaire pour la recherche atmosphérique qui gère le NCAR pour le compte de la Fondation nationale des sciences; il a déclaré à propos du système GRAF d’IBM que c’était un parfait exemple de la manière dont les recherches à long terme financées par le gouvernement fédéral pouvaient avoir des débouchés commerciaux qui génèrent des bénéfices et protègent les personnes et les biens. Selon lui, le chemin qui mène de la recherche à l’application, dans les sciences du système terrestre, permet de mieux comprendre l’environnement et de prendre de meilleures décisions.
Des décisions plus avisées et plus rapides en fonction du temps
Une collaboration stratégique ne se limite pas à l’échange de prévisions. De fait, The Weather Company n’est pas vraiment dans le domaine de la météorologie, plutôt dans le secteur de l’aide à la décision. Une fois les prévisions établies, il faut analyser et cerner les répercussions probables du temps – l’incidence que les conditions attendues pourraient avoir sur les clients, les comportements, l’équipement, l’exploitation et bien plus.
Les modèles que nous avons mis au point pour aider les utilisateurs à prendre des décisions éclairées sont simples. À partir de prévisions météorologiques de grande qualité et d’informations historiques sur le temps, on recourt à l’intelligence artificielle et à l’analyse prédictive afin de déterminer les impacts potentiels. Nos clients peuvent ensuite prendre des décisions plus avisées sur la base des indications données. Par exemple, une compagnie aérienne peut modifier sa stratégie d’avitaillement si du mauvais temps est prévu, un commerçant peut ajuster ses stocks si la livraison risque d’être retardée par des conditions difficiles. Notre service d’appui permet de s’adapter à ce genre d’événements.
Alimenter le monde en données et en analyses
La toute récente Plate-forme Watson d’aide à la décision en agriculture montre elle aussi tout l’intérêt d’exploiter les données météorologiques et l’analyse prédictive. Le monde agricole doit se transformer, les cultivateurs et les producteurs rivalisent pour répondre à la demande d’aliments de qualité issus de pratiques viables. Dans le même temps, ils doivent trouver de nouvelles façons de nourrir une population en croissance – hausse de 2,2 milliards d’habitants d’ici à 2050 – alors que toujours plus de terres arables sont affectées à d’autres usages.
Ce n’est pas la première fois que l’on tente d’introduire le numérique dans le secteur agricole. Les solutions précédentes, qui visaient à accroître les rendements en optimisant les données à l’échelle de la ferme, ont échoué car elles étaient fortement tributaires de l’accès à Internet et de l’introduction manuelle des données par les agriculteurs. Frustrés de ces contraintes, les cultivateurs sont revenus aux anciennes pratiques et des volumes considérables de données potentiellement intéressantes n’ont pas été utilisées.
La Plate-forme Watson d’aide à la décision en agriculture est différente. Elle recueille automatiquement les données pertinentes à partir d’un large éventail de sources: capteurs dans le sol ou sur la machinerie, informations transmises par d’autres cultivateurs, images haute définition, prévisions fournies par The Weather Company, etc.
Les données sont rassemblées dans un dossier électronique de terrain, sorte de dossier médical pour une exploitation agricole. Le système utilise l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique et l’analyse prédictive pour extraire des informations intéressantes de ces relevés et donner des indications qui aideront à prendre des décisions éclairées. Ces indications apparaissent sur un tableau de bord afin que les agriculteurs voient les données et les alertes concernant tous les éléments décisifs, dont la prévision du temps, l’état du sol, le taux d’évapotranspiration et le facteur de stress des cultures. Ils peuvent alors procéder à des ajustements qui accroîtront le rendement par hectare tout en améliorant la qualité et la viabilité.
Dans un autre exemple, l’outil d’intelligence artificielle Watson analyse les images d’un champ prises par un drone afin de déterminer la nature et la gravité des dommages causés par une maladie ou par des animaux nuisibles et prévenir automatiquement l’agriculteur. Ces renseignements aident à gagner du temps, à économiser de l’argent et à réduire les impacts sur la récolte en sachant mieux comment, où et quand traiter les cultures.
L’intérêt va au-delà des producteurs. L’agriculture est un écosystème dont les multiples composantes peuvent toutes bénéficier d’une meilleure connaissance des facteurs qui influent sur la production. La plate-forme automatise l’échange de données entre des acteurs qui occupent différentes fonctions, de sorte à créer un système plus relié et transparent. Les producteurs d’aliments peuvent entrevoir le moment de la récolte et anticiper les volumes. Les compagnies de prêt et d’assurance peuvent établir des taux plus précis. Les gouvernements peuvent réduire la dépendance alimentaire en fournissant des outils et des indicateurs communs à ses services et aux cultivateurs.
Viser un même but
Nous sommes nombreux dans le secteur privé à croire en une mission commune de sécurité publique, grâce à laquelle nous passons du rôle de fournisseurs de systèmes à celui de partenaires de services. Il existe de nombreux moyens d’aider les organismes publics à étendre leur action sans perdre leur identité, en utilisant par exemple nos plates-formes pour que les alertes officielles atteignent plus de monde.
Nous pourrions aller plus loin, sur le plan notamment de l’emploi des technologies. Quand les citoyens sont hors de portée d’un réseau Wi-Fi, par exemple, il serait possible de leur faire parvenir des messages importants en se servant du réseau maillé pour passer d’un téléphone portable à l’autre. Le secteur privé peut aussi aider à cerner ce qui motive à agir, information précieuse pour soutenir les objectifs de développement durable dans le monde.
Il importe que le secteur public et le secteur privé harmonisent davantage leur volet humanitaire. Par l’entremise de son partenariat avec TAHMO (https://tahmo.org/), The Weather Company installe des stations de mesure dans les écoles et les bureaux météorologiques locaux sur le continent africain dans le but de diffuser des données en temps réel sur des emplacements mal couverts. Cette initiative veut améliorer la gestion des réseaux d’irrigation et des ressources agricoles, mais aussi procurer des indications climatologiques utiles pour la circulation aérienne, la production d’énergie, l’assurance et d’autres secteurs de services.
Afin que ces efforts s’étendent à l’échelle planétaire, les organismes publics et privés devraient continuer de promouvoir l’échange libre et gratuit des données et l’adoption de protocoles d’alerte communs; ils devraient également encourager le recours aux nouvelles technologies et l’acquisition de matériel fiable.
Soucieux de rendre l’entreprise météorologique mondiale plus dynamique, capable et viable, nous espérons poursuivre ces échanges sur la collaboration entre le secteur public et privé – échanges cruciaux pour aller de l’avant dans la prestation de services à des milliards de personnes dans le monde.