Des services météorologiques plus avantageux pour les agriculteurs

02 mars 2015

Par Stella Aura1, Nzioka John Muthama2,  Fredrick K. Karanja3,  Samuel Kahuha4, Bernard Chanzu5 and Stephen King’uyu6

Quelque 842 millions de personnes dans le monde n'ont pas les moyens de se nourrir convenablement et souffrent de faim chronique. L'insécurité alimentaire et la pauvreté sont clairement liées. Dans de nombreux pays, l'intégration des informations météorologiques et climatologiques dans la prise de décision en matière d’agriculture a permis d'optimiser la production agricole. Cependant, dans les pays en développement, où la plupart des petits exploitants agricoles dépendent de l'agriculture en sec, l’accès aux informations météorologiques et climatologiques pouvant faciliter la prise de décision est limitée. Les pouvoirs publics devraient considérer ces informations, essentielles aux agriculteurs, comme un moyen de lutter contre la pauvreté et la faim.

La situation actuelle persiste parce que les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN) des pays en développement, et notamment le Service météorologique du Kenya, ne bénéficient pas d’un financement suffisant pour couvrir le coût de tels services. Cette situation pourrait s'expliquer par un manque de sensibilisation des pouvoirs publics au rôle des services météorologiques dans le développement socio-économique national. Or, ce problème perdure alors même que les autorités sont confrontées à des défis et à des contraintes majeurs dans plusieurs secteurs tels que l'agriculture, la gestion des ressources en eau, la santé et la réduction des risques de catastrophes, sur lesquels le temps et le climat ont une énorme incidence. 

En dépit des épisodes de sécheresse, avec leur cortège de mauvaises récoltes et de famines occasionnelles, des inondations qui provoquent pertes en vies humaines et dommages matériels, et l’impact d'autres phénomènes naturels sur le développement socio-économique, les recherches qui permettraient de quantifier les avantages des informations et services météorologiques et climatologiques restent très limitées. Le Service météorologique du Kenya a entrepris de combler cette lacune en menant, entre 2008 et 2009, un projet pilote visant à définir les avantages socio-économiques tirés de l'utilisation des informations et des services météorologiques et climatologiques en agriculture, notamment pour la production de maïs. 

L'agriculture est essentielle au développement du Kenya; elle contribue directement ou indirectement à plus de 50 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. L'État consacre une part non négligeable de ses revenus à la promotion de la sécurité alimentaire, et porte donc une attention particulière à la mise en œuvre de politiques et de stratégies de développement national, notamment le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté et le plan de développement national, Vision 2030.
  

Mise en œuvre du projet

Le projet pilote prévoyait des ateliers de réflexion sur sa mise en œuvre; l’implication des parties prenantes dans la mise en œuvre et l’analyse des résultats de l'étude; une enquête de référence; la formation des agriculteurs; et enfin le suivi et l'évaluation des activités du projet sur les parcelles de démonstration (parcelles expérimentales et parcelles témoins). Des outils de saisie de données ont été élaborés dans le cadre d'un processus participatif multidisciplinaire, et ils ont fait l'objet de tests préalables afin d’en garantir la qualité. Le choix des sites obéissait aux critères suivants: 

  • Exploitations représentatives de la zone climatique générale;
  • Exploitations de taille moyenne ou pratiquant une agriculture de subsistance, par opposition aux exploitations agricoles commerciales de grande taille;
  • Distance séparant l'exploitation de la station météorologique la plus proche;
  • Distance séparant l'exploitation des bureaux du Ministère de l'agriculture et de l'Institut kényan de recherche agricole (KARI);
  • Distance séparant l'exploitation d'une route principale permettant d'y accéder facilement;
  • Agriculteur se consacrant essentiellement à la production agricole;
  • Agriculteur ayant au moins une formation de base. 

Les deux fermes-modèles retenues pour le projet pilote se trouvaient à Nakuru, dans une zone agroclimatique subhumide, et à Machakos, dans une zone semi-humide à semi-aride. Chacune possédait une parcelle témoin et une parcelle expérimentale d'une acre chacune. Dans les parcelles témoins, les agriculteurs utilisaient leurs méthodes habituelles sans se soucier des conditions météorologiques, tandis que dans les parcelles expérimentales, ils s'appuyaient sur les informations et les services du Service météorologique du Kenya pour prendre leurs décisions. Ils recevaient des bulletins de prévision météorologique et climatique hebdomadaires, mensuels ou saisonniers. 

Les ateliers et les visites effectuées sur place par les membres de l'équipe du projet de recherche ont permis d'améliorer l'aptitude des agriculteurs à interpréter et à utiliser les informations météorologiques pour la production de maïs. Les agriculteurs étaient invités à consigner les dates de plantation et de désherbage, les stades de reproduction des plantes et les rendements des récoltes. Divers formulaires et registres leur étaient remis à cet effet.
  

Résultats de l'étude pilote

L'étude pilote a servi à quantifier les avantages socio-économiques que procurent les informations et services météorologiques aux producteurs de maïs en utilisant une technique fondée sur les rapports coûts-avantages. 

Cette analyse a démontré que le projet affichait un bénéfice global de 39 % dans le comté de Machakos, et de 110 % dans le comté de Nakuru. 

Au niveau des parcelles, les valeurs du rapport coûts-avantages, traduisant les avantages de l'utilisation des informations et services météorologiques, étaient de 1,64 dans le comté de Machakos et de 2,38 dans le comté de Nakuru. En d'autres termes, dans les zones visées par l’étude, pour chaque shilling (Sh) investi, un retour sur investissement de 1,6 à 2,4 shillings pouvait être réalisé dans la culture du maïs, ce qui semble bien démontrer l’intérêt de l’utilisation des données météorologiques pour les agriculteurs participant au projet. Des études menées dans d'autres pays ont montré que le rapport coûts-avantages d'un service national de météorologie pouvait varier de 1:4 à 1:6 environ.

Ces résultats indiquent clairement que le recours aux informations et services météorologiques dans le secteur agricole kényan présente des avantages socio-économiques.

Retombées du projet

Depuis qu'il a pris fin, en 2009, ce projet a engendré de nombreuses retombées. Le secteur agricole reste pleinement impliqué dans les activités organisées par la suite. Il convient par ailleurs de souligner le dialogue permanent et le climat de coopération instauré entre le secteur agricole et le Service météorologique national. Ceci contribue à renforcer la confiance du secteur agricole kényan à l’égard de l’utilisation des informations météorologiques, tant pour l’exploitation que pour la planification agricole.

Les agriculteurs qui ont participé au projet sont devenus des «ambassadeurs» des services d'informations météorologiques au sein de leurs collectivités locales de producteurs. Grâce à leurs réseaux informels, ils exercent une influence sur les autres agriculteurs et les encouragent à utiliser régulièrement les informations et les services météorologiques comme outil d’aide à la décision.

Au cours des cinq dernières années, l'équipe du projet a partagé son expérience et ses résultats dans le cadre de conférences et s’est attachée à favoriser la mise en œuvre de projets semblables dans d'autres pays. Le projet a renforcé les connaissances en matière de recherche opérationnelle et les compétences en matière d'évaluation quantitative des avantages au sein du Service météorologique du Kenya.

A la suite de ce projet, un réseau permanent de collaboration entre experts, utilisateurs et établissements concernés a été mis sur pied pour promouvoir la bonne utilisation des informations météorologiques au Kenya.

Des études plus approfondies sont requises

Les résultats du projet laissent penser que les services météorologiques et climatologiques peuvent accroître sensiblement la production agricole, améliorer la sécurité alimentaire et augmenter le PIB des pays en développement. Ceci correspond aux objectifs du Cadre mondial pour les services climatologiques (CMSC). Cependant, il convient de se pencher de façon plus approfondie sur la nature quantitative des processus de prévision du temps. Une étude plus poussée permettrait de confirmer les avantages socio-économiques des produits et services météorologiques et climatologiques pour le processus structuré de prise de décisions par les agriculteurs. Il importe d'adopter des technologies qui prennent en compte les informations sur le climat pour renforcer la gestion opérationnelle des risques que font peser les conditions climatiques sur le secteur agricole et sur d'autres secteurs économiques, et c'est justement ce que le CMSC permet de faire.


Des pluviomètres et des récipients de mesure sont installés dans les parcelles de démonstration Formation à la tenue d'un registre des précipitations

L'année 2015 marque la date butoir pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Les États Membres des Nations Unies devraient adopter une feuille de route post-2015 pour le développement durable à l'occasion du Sommet spécial sur le développement durable qui se tiendra en septembre. Cette feuille de route abordera de nombreux enjeux, y compris l'élimination de la pauvreté et de la faim, l'amélioration de la santé et de l'éducation, la viabilité des milieux urbains, la lutte contre le changement climatique et la protection des océans et des forêts. Une meilleure quantification et compréhension de la valeur socio-économique des produits et services météorologiques contribuera à accroître l'utilisation de ces derniers pour mieux relever les défis de l'après-2015, et notamment pour trouver des moyens d'assurer la sécurité alimentaire des populations.

Remerciements

Le projet pilote a été parrainé par l'OMM, par l'intermédiaire du Fonds fiduciaire finlandais et du Gouvernement kényan, et son exécution a été assurée par le Service météorologique du Kenya, avec la collaboration, notamment, du Département de météorologie de l'Université de Nairobi, du Ministère de l'agriculture, du Ministère de la planification nationale, de l’Institut kényan de recherche agricole (KARI), du Centre de prévision et d’applications climatologiques (ICPAC) relevant de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et du Ministère de l'environnement et des ressources minérales. Nous remercions toutes ces organisations d'avoir contribué au succès de ce projet et de poursuivre leur aide et leur collaboration avec le Service météorologique du Kenya pour la poursuite des recherches opérationnelles. Merci également à toutes les personnes qui ont consacré temps et efforts à la réalisation du projet, notamment les membres du Comité directeur du projet, de l'équipe de recherche du projet et de l'équipe de rédaction du rapport. Nous tenons à remercier tout spécialement l'ensemble des assistants de recherche, les agriculteurs participants et les membres du public qui ont d'une façon ou d'une autre prêté assistance aux équipes de recherche. Nous sommes enfin reconnaissants à tous les membres du Service météorologique du Kenya qui, sans participer directement au projet, ont facilité de mille façons le travail des équipes du projet.

Nous tenons enfin à témoigner notre vive gratitude à M. Joseph Mukabana, ancien directeur du Service météorologique du Kenya, et à M. James Kongoti, son directeur actuel. Enfin, et surtout, merci à l'OMM qui a mobilisé les financements essentiels à la réalisation du projet.


References

Gunasekera D., 2004: Economic Issues Relating to Meteorological Provision. Bureau of Meteorology research centre: Melbourne, Australia.

Frei T. (2009) Economic and Social Benefits of Meteorology and Climatology in Switzerland. Meteorol. Appl. DOI: 10.1002/met.156.

ICPAC (2010). Project Report: Review of appropriate methodologies for quantitative evaluation of socio-economic benefits of meteorological information and a pilot study, September 2010.

KNBS, (2014) Economic survey 2014. Kenya National Bureau of Statistics. ISBN 9966-767-47-9.

Muthama, N. J ,W.B. Masieyi, R. E, Okoola and A. O. Opere, J. R. Mukabana, W Nyakwada, S. Aura and B. A. Chanzu, M.M. Manene; 2012. Survey on the Utilization of Weather Information and Products for Selected Districts in Kenya. J. Meteorol. Rel. Sci., 6, 51 –58 ( August 2012).

WMO Bulletin (2012), Weathering the risk of climate change. Vol. 61(2).

1 Directrice du Service météorologique du Kenya, IMTR/ WMO RTC, auraatmeteo [dot] go [dot] ke (aura[at]meteo[dot]go[dot]ke)
2 Département de météorologie de l'Université de Nairobi, jmuthamaatuonbi [dot] ac [dot] ke (jmuthama[at]uonbi[dot]ac[dot]ke)
3 Département de météorologie de l'Université de Nairobi, fkaranjaatuonbi [dot] ac [dot] ke (fkaranja[at]uonbi[dot]ac[dot]ke)
4 Directeur adjoint principal, Service météorologique du Kenya, Services d'aide aux entreprises, kahuhaatmeteo [dot] go [dot] ke (kahuha[at]meteo[dot]go[dot]ke)
5 Directeur adjoint, Service météorologique du Kenya, Services de prévisions, shanzuatmeteo [dot] go [dot] ke (shanzu[at]meteo[dot]go[dot]ke)
6 Coordonnateur du plan d'action national kéenyan sur le changement climatique, Secrétariat sur les changements climatiques, Ministère de l'environnement, de l'eau et des ressources naturelles, Stephen [dot] kinguyuatenvironment [dot] go [dot] ke (Stephen[dot]kinguyu[at]environment[dot]go[dot]ke)

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