La formation en météorologie à l'ère du numérique: ébauche d'un nouveau programme éducatif
- Author(s):
- Andrew Charlton-Perez, Sally Wolkowski, Nina Brooke, Helen Dacre, Paul Davies, R. Giles Harrison, Pete Inness, Doug Johnson, Elizabeth McCrum et Sean Milton

Le milieu du XXIe siècle sera déterminant pour les professions de la météorologie. Les effets de l'évolution du climat seront indéniables et progresseront dans la plupart des régions (Hawkins et Sutton, 2012). La hausse probable de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes (GIEC, 2012) donnera à la prévision du temps une importance inégalée. La météorologie apportera des bienfaits précieux à la société en offrant des produits toujours plus exacts (Bauer et al., 2015). L'essor du secteur des énergies renouvelables (Frei et al., 2013), par exemple, exigera des prévisions fiables à des échelles temporelles allant de quelques jours à plusieurs saisons.
Les ordinateurs ultrapuissants et les nouvelles technologies - calcul quantique (Debnath et al., 2016), création de denses réseaux de capteurs environnementaux en temps réel exploitant la connectivité Internet, etc. - contribueront à affiner la prévision et la compréhension de l'atmosphère. La capacité de profiter pleinement de ces possibilités et de lever les difficultés dépendra en partie de la qualité de la formation donnée aux générations futures.
La météorologie a élaboré d'excellentes pratiques novatrices, mais le temps est venu de réexaminer la nature du programme éducatif dans ce domaine.
Des principes communs
Quatorze principes fondamentaux devraient sous-tendre la formation des nouveaux venus en météorologie au cours des 10 prochaines années. Un programme éducatif basé sur ces principes aiderait à transmettre les compétences et les aptitudes dont auront besoin les météorologistes au début de leur vie professionnelle come au moment d'accéder à des postes de direction. Il est particulièrement tenu compte de la souplesse qu'exigeront les futures carrières et de la nécessité d'offrir une formation polyvalente, générique et facile à actualiser. (Nous ne pouvons exposer ici les discussions tenues en groupe sur les quatorze domaines retenus. Il est possible toutefois de consulter en ligne la version intégrale de cet article (DOI: 10.17864/1926.78851) qui présente le détail des délibérations.)
La formation devrait préparer le météorologiste à:
- Occuper alternativement, ou simultanément, les fonctions rattachées à la recherche-développement, à la prestation de services opérationnels et à la fourniture de conseils;
- Maîtriser et manier aisément les notions météorologiques et climatologiques à diverses échelles temporelles, allant de quelques jours à des décennies;
- Veiller à son propre perfectionnement continu et faciliter le développement personnel des collègues;
- S'adapter à l'évolution du monde du travail et des ressources et relever les nouveaux défis avec confiance;
- Faire preuve d'esprit critique lors de l'évaluation des textes scientifiques;
- Connaître les avantages et les possibilités qu'offre la libre diffusion du savoir scientifique, des logiciels et des données;
- Mettre au point des logiciels transparents, robustes et solidement étayés au profit de la science;
- Travailler au sein d'équipes qui élaborent des modèles scientifiques et des systèmes de modélisation en vue d'estimer les effets concrets de la variabilité du temps;
- Analyser et évaluer les informations que procurent les observations et les mesures;
- Maîtriser la conception d'outils statistiques et l'application d'un «raisonnement statistique» dans le domaine atmosphérique;
- Garantir le respect des règles de qualité et des normes de fonctionnement dans des systèmes toujours plus automatisés;
- Comprendre et communiquer avec efficacité les risques et les incertitudes;
- Expliquer avec clarté le fruit de son travail lorsque les prévisions ou les interprétations divergent;
- Interpréter le fruit de son travail à la lumière du changement climatique.
Il serait irréaliste de penser que chaque compétence peut faire l'objet d'un enseignement aussi poussé à chaque étape de la formation en météorologie, faute de temps et d'expertise. D'où la nécessité de reconnaître que l'apprentissage se fait par divers moyens et sous différentes formes et l'importance de définir une série de principes auxquels adhèrent tous les enseignants et formateurs. L'accréditation professionnelle décernée par les sociétés météorologiques peut et doit jouer un rôle majeur dans cette approche intégrée. L'ébauche de programme ne s'attarde pas sur les matières essentielles des sciences de l'atmosphère que sont la météorologie, les mathématiques et la physique. Il en est amplement question, par exemple, dans le Guide sur l'application de normes d'enseignement et de formation professionnelle en météorologie et en hydrologie (OMM, 2015) et dans des ouvrages similaires de la Société américaine de météorologie et de la Société royale de météorologie.
Concrétiser les principes
Nous pensons possible d'élaborer des programmes éducatifs en météorologie compatibles avec ces principes qui plairont et profiteront aux étudiants comme aux enseignants de toutes les institutions, après quelques aménagements pédagogiques. Le recours à l'apprentissage par l'investigation permettrait de conjuguer l'enseignement des aptitudes de base sous- jacentes aux principes et l'enseignement des matières fondamentales de la météorologie. Allier ces approches avec des cours théoriques et des travaux pratiques offrirait sans doute une efficacité optimale dans la plupart des contextes.
Pourquoi privilégier l'apprentissage par l'investigation?
Dans cette méthode pédagogique, l'étudiant apprend en réalisant sa propre analyse d'une question. Le rôle de l'enseignant est crucial et le cadre d'intervention doit correspondre aux objectifs d'apprentissage. Une certaine souplesse est toutefois nécessaire pour atteindre des buts plus larges, tels la responsabilité personnelle, l'intérêt et la prise en main d'un problème.
L'expérience montre qu'il est particulièrement important de proposer aux étudiants des problèmes qui ont un sens véritable. Diverses méthodes d'évaluation plus ou moins formelles devraient être prévues et les activités devraient amener les étudiants à passer tour à tour du rôle d'utilisateur à celui de créateur d'informations.
L'apprentissage actif par l'investigation est un bon moyen d'acquérir des connaissances spécialisées, mais aussi les compétences plus larges décrites dans l'ébauche de programme éducatif (Hmelo-Silver et al., 2007; Deslauriers et al., 2011).
À l'Université de Reading, par exemple, l'approche par investigation sert à étudier la cellule de Hadley. Les étudiants sont invités à utiliser le modèle de Held et Hou (1980) pour réaliser des expériences qui leur permettront de comprendre le rôle du cycle saisonnier dans la détermination de la largeur de la cellule. Tandis qu'ils approfondissent leurs connaissances dans le domaine de la dynamique de l'atmosphère, ils font preuve d'esprit critique lorsqu'ils analysent l'article scientifique initial (principe 5), élaborent un logiciel robuste et transparent (principe 7) et facilitent le développement personnel des collègues (principe 3) par l'échange d'observations et de commentaires.
L'apprentissage par l'investigation n'est pas sans difficulté en météorologie (Edelson et al., 1999): motivation personnelle, accès aux techniques d'investigation, connaissances de base dans le groupe d'étudiants, prise en main d'activités de longue haleine et restrictions matérielles et logistiques. Il a été démontré que l'appui offert par un tuteur, un mentor ou le chef de service était crucial et permettait de dépasser ces obstacles.
Les perspectives
Cet article voulait ouvrir le débat sur la meilleure façon de préparer les futurs météorologistes à l'ère du numérique et nous serions heureux qu'il suscite des échanges. En tant que département d'université et établissement de formation, nous avons esquissé un programme éducatif pour l'enseignement universitaire et pour la formation professionnelle dans le domaine des sciences de l'atmosphère; nous espérons qu'il alimentera la réflexion au sein d'autres organismes. Par rapport à cette ébauche, nos propres programmes doivent être aménagés afin de répondre à nos aspirations et aux besoins des étudiants. En continuant de travailler ensemble, nous comptons affiner et harmoniser plus avant nos différents programmes. Nous accueillons toujours avec plaisir les possibilités d'apprendre de nos collègues dans le monde entier et de collaborer avec eux, grâce aux initiatives de l'OMM telles que le Colloque sur l'enseignement et la formation professionnelle organisé en octobre 2017 à Bridgetown, Barbade.
Les références bibliographiques
Bauer, P., A. Thorpe and G. Brunet, 2015: The quiet revolution of numerical weather prediction. Nature, 525:47–55, doi:10.1038/nature14956.
Debnath, S., N.M. Linke, C. Figgatt, K.A. Landsman, K. Wright and C. Monroe, 2016: Demonstration of a small programmable quantum computer with atomic qubits. Nature, 536:63–66, doi:10.1038/nature18648.
Deslauriers, L., E. Schelew and C. Wieman, 2011: Improved learning in a large-enrollment physics class. Science, 332:862–864, doi:10.1126/science.1201783.
Edelson, D.C., D.N. Gordin and R.D. Pea, 1999: Addressing the challenges of inquiry-based learning through technology and curriculum design. Journal of Learning Sciences, 8:391–450, doi:10.1080/10508406.1999.9672075.
Frei, C., R. Whitney, H.-W. Schiffer, K. Rose, D.A. Rieser, A. Al-Qahtani and P. Thomas, 2013: World Energy Scenarios: Composing Energy Futures to 2050. World Energy Council.
Hawkins, E. and R. Sutton, 2012: Time of emergence of climate signals. Geophysics Research Letters, 39: L01702, doi:10.1029/2011GL050087.
Held, I.M. and A.Y. Hou, 1980: Nonlinear axially symmetric circulations in a nearly inviscid atmosphere. Journal of Atmospheric Sciences, 37(3):515–533, doi:10.1175/1520-0469(1980)037<0515:NASCIA>2.0.CO;2.
Hmelo-Silver, C.E., R.G. Duncan and C.A. Chinn, 2007: Scaffolding and achievement in problem-based and inquiry learning: a response to Kirschner, Sweller, and Clark (2006). Educational Psychology, 42:99–107, doi:10.1080/00461520701263368.
Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), 2012: Managing the Risks of Extreme Events and Disasters to Advance Climate Change Adaptation. Special Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (Field, C.B., V. Barros, T.F. Stocker, Q. Dahe, D.J. Dokken, K.L. Ebi, M.D. Mastrandrea, K.J. Mach, G.-K. Plattner, S.K. Allen, M. Tignor and P.M. Midegley, eds.). Cambridge, Cambridge University Press.
World Meteorological Organization, 2015: Guide to the Implementation of Education and Training Standards in Meteorology and Hydrology (WMO-No. 1083). Geneva.
Auteurs
Andrew Charlton-Perez, Department of Meteorology, University of Reading, Reading, Berks, (Royaume-Uni); Auteur principal, a [dot] j [dot] charlton-perezreading [dot] ac [dot] uk (a[dot]j[dot]charlton-perez[at]reading[dot]ac[dot]uk), Lyle Building, Department of Meteorology, Whiteknights, Reading, RG6 6BB, (Royaume-Uni)
Sally Wolkowski, Met Office College, Met Office, FitzRoy Road, Exeter, Devon, (Royaume-Uni)
Nina Brooke, Center for Quality Support and Development, University of Reading, Reading, Berks, (Royaume-Uni)
Helen Dacre, Department of Meteorology, University of Reading, Reading, Berks, (Royaume-Uni)
Paul Davies, Met Office, FitzRoy Road, Exeter, Devon, (Royaume-Uni)
R. Giles Harrison, Department of Meteorology, University of Reading, Reading, Berks, (Royaume-Uni)
Pete Inness, Department of Meteorology, University of Reading, Reading, Berks, (Royaume-Uni)
Doug Johnson, Applied Science and Scientific Consultancy, Met Office, FitzRoy Road, Exeter, Devon, (Royaume-Uni).
Elizabeth McCrum, Vice Chancellor’s Office and Institute of Education, University of Reading, Reading, Berks, (Royaume-Uni).
Sean Milton, Met Office, FitzRoy Road, Exeter, Devon, (Royaume-Uni)