Le jour idéal pour étendre le linge ou une probabilité de précipitations de 10 %?

23 mars 2017

L'historien Alexander Hall est directeur associé au Centre For Science, Knowledge and Belief in Society de l'Université Newman de Birmingham (Royaume-Uni). Il s'est récemment vu décerner le prix Marc-Auguste Pictet 2016 d'histoire des sciences de la Société de physique et d’histoire naturelle de Genève pour sa thèse, qu'il a soutenue en 2012, intitulée «Risk, Blame and Expertise: The Meteorological Office and extreme weather in post-war Britain (Risque, responsabilité et compétences: le Service météorologique du Royaume-Uni et les phénomènes météorologiques extrêmes dans le Royaume-Uni d'après-guerre)».

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  • Alexander Hall, lauréat du prix Pictet

Notre entrée dans l’ère de la «post-vérité» proclamée depuis quelque temps par les médias et les réseaux sociaux inquiète certains scientifiques. Toutefois, accorder trop de crédit à cette proclamation nous amènerait à adopter une perspective simpliste et historiquement inexacte. L’année 2016 nous a certes apporté quelques surprises, mais les problèmes liés à la communication de certains faits et de certains chiffres à des spécialistes ou au grand public ne devraient pas nous choquer.

Les météorologues et les climatologues ont une longue expérience de la tâche périlleuse qui consiste à effectuer des mesures empiriques, prévoir mille et un scénarios dynamiques de l’atmosphère, puis communiquer ces données complexes au public. L’avenir semblant bien nous réserver une augmentation de l’intensité et de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, la capacité de présenter au public des prévisions et des avertissements exacts, succincts et convaincants sera encore plus importante. L’article qui suit revient sur quelques annonces de prévisionnistes au Royaume-Uni pour illustrer les tensions entre experts scientifiques et grand public.

La faute au présentateur météo ! 

L’une des bévues les plus notoires de l’histoire des prévisions météorologiques est celle que commit le présentateur météo Michael Fish, de la BBC, par le commentaire qu’il fit à l’antenne, peu avant la tempête de 1987. Météorologue au Service météorologique du Royaume-Uni, il commença ses prévisions du 15 octobre 1987 en disant: «Une femme nous a semble-t-il appelés plus tôt dans la journée pour nous signaler qu’un ouragan se dirigeait vers notre pays. Eh bien, si vous m’entendez, ne vous inquiétez pas: il n’y en a pas.» Le lendemain matin, le pays s’éveillait devant des scènes apocalyptiques. Avec des rafales enregistrées à plus de 160 km/h et un vent soutenu de plus de 130 km/h, le cyclone extratropical qui déferla sur le sud-est du Royaume-Uni pendant la nuit du 15 au 16 octobre 1987 fut la plus puissante tempête à frapper la région depuis 1703. Rien qu’au Royaume-Uni, la tempête fit 19 morts, détruisit environ 15 millions d’arbres, entraîna d’importantes coupures d’électricité et causa des dommages d’un montant de 1,4 milliard de livres (alors 2,3 milliards de dollars), soit le record planétaire à l’époque.

Les suites de la violente tempête de 1987 à Londres.
Photo: David Wright 

Toutefois, la tempête n’est pas uniquement restée dans les mémoires pour son caractère dévastateur. On se rappelle bien la prévision malencontreuse de Michael Fish et l’absence d’avertissement clair du Service météorologique du Royaume-Uni. La tempête, ses suites et les souvenirs qu’elle a laissés offrent un instantané des attentes des Britanniques à la fin du
XXe siècle en cas de conditions météorologiques extrêmes et de leurs relations avec l’organisation scientifique chargée de les informer de ce type de risques, le Service météorologique du Royaume-Uni.

Immédiatement après la tempête, les médias n’ont pas tardé à mettre en cause le Service météorologique. Les journaux nationaux publièrent des titres tels que «Les météorologues ne prévoient pas la pire tempête de l’histoire» et «Pourquoi ne nous ont-ils pas avertis?» De nombreuses critiques, notamment parce que le public n’avait été averti que très tard, provenaient d’une méconnaissance des procédures du Service météorologique du Royaume-Uni. Celui-ci avait en fait bel et bien annoncé quatre jours auparavant qu’un phénomène extrême surviendrait les 15-16 octobre.

Un avis officiel de coup de vent sur la Manche avait été lancé le 15 octobre, tôt dans la journée, et toutes les émissions de télévision et de radio publique avaient annoncé ce jour-là des vents violents. Toutefois, parce que les deux modèles informatiques différents utilisés par le Service météorologique du Royaume-Uni produisaient des prévisions équivoques, aucun avis n’a été émis pour ces coups de vent dans le pays. Le Service météorologique du Royaume-Uni a envoyé des avertissements particuliers à des organismes civils tels que les chemins de fer et les pompiers de Londres le 15 octobre en fin de journée, et un avis d’urgence au public par la radio à 1 h 20 le matin du 16 octobre. Cherchant à désamorcer les critiques sur l’heure tardive de l’avertissement du public, le professeur John Houghton, alors directeur général du Service météorologique du Royaume-Uni, fit valoir que, selon le système d’alerte d’urgence en vigueur, le grand public ne devait pas être alerté plus de trois heures avant qu’un phénomène extrême ne se produise et l’avertissement ne pouvait être émis que lorsque le phénomène était devenu presque certain.

À la suite d’une enquête interne sur les événements, il fut demandé que le contenu et le style des présentations télévisées soient revus, et que le Service météorologique du Royaume-Uni révise totalement son mode de communication avec la presse et les autres médias. Toutefois, l’emploi par Michael Fish du terme «ouragan» fut simplement considéré comme «malheureux», étant donné qu’il n’avait fait là que «respecter la manière traditionnelle de communiquer les prévisions», pour les rendre plus intéressantes et éviter toute répétition trop fade des faits». Ce style conversationnel était depuis longtemps une caractéristique des prévisions au Royaume-Uni.

Ce n’était pas la première fois qu’un présentateur météo se voyait reprocher des prévisions erronées ou son style de présentation. D’autres cas remontent au tout début des prévisions télévisées.

Le visage des prévisions météo à la BBC

Michael Fish, le jour de son commentaire tristement célèbre, le 15 octobre 1987.

Les toutes premières prévisions présentées à l’écran par un météorologue au Royaume-Uni furent diffusées par le Service météorologique du Royaume-Uni en partenariat avec la BBC en janvier 1954. Cette présentation personnalisée émanait de la volonté d’améliorer l’esthétique visuelle des prévisions télévisées et d’instruire le public en matière de météorologie.

La réaction des téléspectateurs fut toutefois inattendue. Presque aussitôt, la BBC reçut des lettres reprochant au présentateur l’inexactitude des prévisions. Les critiques en soi n’étaient certes pas nouvelles, mais le ton, la rapidité et le volume des plaintes adressées au présentateur étaient sans précédent. Cela tenait partiellement au fait que la personne apparaissant à l’écran n’était pas un présentateur habituel, mais un expert météorologue.

Le Directeur du Service météorologique du Royaume-Uni répondait personnellement à la plupart des lettres. Dans l’une de ses réponses, il écrivit: «Je pense qu’il conviendrait de voir le météorologue comme un conseiller et non comme un prophète […]. La difficulté est cependant de trouver le juste équilibre entre la carte synoptique, avec ses innombrables hiéroglyphes, et la version très simplifiée accessible au téléspectateur moyen.»

Les présentateurs se heurtaient à ce que les théoriciens en communication allaient par la suite définir comme une faiblesse fondamentale de l’approche dichotomique inhérente au «modèle du déficit», opposant les savants aux ignorants, approche qui compromettait le succès de toute communication à un public composé de personnes de niveaux d’instruction inégaux. Adoptant un nouveau type de présentation, la BBC encouragea le Service météorologique du Royaume-Uni à employer une langue plus attrayante et à éviter les ternes termes scientifiques propres aux professionnels. Ainsi, les nouveaux présentateurs entreprirent de s’adresser directement au public. Dans sa première émission, le météorologue George Cowling informa les ménagères que le vent qui allait souffler serait idéal pour faire sécher le linge. Outre que la formule était préférable à «il y a une haute probabilité de vent aujourd’hui», elle donnait une idée plus claire de la probabilité et créait un lien personnel.

Fin 1953, le Directeur du Service météorologique du Royaume-Uni avait déjà proposé de nommer un responsable de la communication avec le public, qui aurait pour fonction de conseiller le Directeur adjoint des prévisions sur la nature, le contenu et la formulation de toute information communiquée au public. Le Service météorologique du Royaume-Uni avait néanmoins du mal à user d’une langue suffisamment attrayante pour plaire à tous les types de téléspectateurs tout en les sensibilisant aux notions d’incertitude et de probabilité, ainsi qu’aux motifs d’erreurs.

Au sein du Service météorologique du Royaume-Uni, ceux qui voyaient dans le nouveau type de présentation une occasion de diffuser les prévisions et d’instruire le public furent surpris d’entendre des reproches qui leur semblaient totalement infondés. Ils s’imaginaient instinctivement que, si le grand public était davantage informé sur les systèmes météorologiques et les procédés de prévision, il comprendrait mieux que les prévisions soient faillibles. La relation complexe entre la perception du risque et les reproches émis leur échappait ici: ils ne prenaient pas en compte le fait qu’exprimer un risque complique tout transfert d’informations.

Visualiser des données synoptiques complexes

La technologie dont disposait la télévision permit aux responsables de la BBC de faire des tests pour déterminer non seulement qui devait présenter la météo, mais aussi comment procéder. La présence d’un présentateur permettait-elle d’utiliser des cartes plus complexes? Quels éléments fallait-il imprimer et lesquels fallait-il dessiner en direct? Au cours d’essais menés en 1953, tant le Service météorologique du Royaume-Uni que la BBC consacrèrent beaucoup de temps et d’énergie à établir la présentation optimale de prévisions complexes pour que le grand public puisse les visualiser et les comprendre.

Les employés du Service météorologique du Royaume-Uni avaient déjà dû gérer la difficile tâche de simplifier les cartes synoptiques lorsqu’ils produisaient des prévisions pour les journaux. Les limites techniques des caméras de télévision avaient aussi forcé les prévisionnistes à créer des cartes encore plus simples. Avec l’apport d’un élément mobile sous la forme du météorologue faisant des dessins en direct à l’antenne, le défi était encore plus grand. Pour expliquer la possibilité d’erreurs, afin de prévenir les critiques et de garder la confiance des téléspectateurs, le prévisionniste pouvait mettre l’accent sur l’évolution de la représentation synoptique en consacrant autant de temps à la carte de la veille et du jour qu’à celle du lendemain. Toutefois, tandis que les employés du Service météorologique du Royaume-Uni se démenaient pour trouver le juste équilibre entre une explication approfondie de toutes les évolutions possibles et un bilan succinct et cohérent des conditions météo, ils continuaient de se voir reprocher le manque d’exactitude des prévisions.

Les participants au projet d’optimisation des bulletins télévisés pensaient bien que la langue, le visage et l’apparence générale des prévisionnistes avaient leur importance, mais ils ne se doutaient pas que présenter des prévisions probabilistes dans une langue déterministe, évocatrice pour les téléspectateurs, aurait un impact important sur l’évolution de leur perception des risques et sur leurs attentes en matière de prévisions météo.

Les prévisions actuelles 

George Cowling présente les prévisions à la BBC selon la nouvelle formule.

Une enquête menée en 2012 par Comité de la science et de la technologie de la Chambre des communes a fait ressortir que le Service météorologique du Royaume-Uni était aux yeux du public une instance prééminente financée par le gouvernement, qui avait la mission difficile de diffuser des informations scientifiques en restant objectif et scientifique. Le rapport synthétique de l’enquête indique que:

Des prévisions exactes sont de peu d’utilité si elles ne sont pas bien communiquées et restent incomprises du public. Le Service météorologique du Royaume-Uni devrait collaborer avec des professionnels de la télévision pour améliorer sa stratégie de communication. L’incertitude inhérente aux prévisions à long terme devrait en particulier être clairement expliquée au public et nous sommes impatients de voir les présentateurs user davantage des informations probabilistes dans leurs prévisions.

Ainsi, même si bien des choses ont changé depuis les premiers bulletins météo du Service météorologique du Royaume-Uni et de la BBC, le rapport entre prévisions probabilistes et langue déterministe demeure complexe. Malgré l’évolution des technologies de prévision et l’instauration de nouvelles chaînes d’information numériques, la manière dont le public reçoit, interprète et prend en compte les prévisions du temps et les avertissements n’a guère évolué. Pour pouvoir réellement anticiper la réaction du public face à une prévision, il faut analyser plus finement la manière dont elle lui est présentée et communiquée. De plus, les activités scientifiques nécessaires à l’élaboration de chaque prévision météorologique, avis de phénomène météorologique extrême ou scénario climatique devraient être mieux expliquées au public. L’histoire de la météorologie regorge d’épisodes édifiants et les documents d’archive susceptibles de présenter ces activités scientifiques au public ne manquent pas. Que ce soit par les musées, les médias, l’enseignement ou des sites Web, il importe d’exposer clairement au public ce qu’est l’incertitude.

Références

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Anon, 1987: «Met men fail to predict ‘worst recorded storm’», The Telegraph, 17 octobre 1987, p.1; et Anon, 1987a: «Why didn’t they warn us?», The Daily Mirror, 17 octobre 1987, p. 1.

Anon, 2009: Notice nécrologique de George Cowling, The Telegraph Online, 27 décembre 2009.

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Houghton, J. T., 1988: «The Storm, the Media, and the Enquiry», Weather, 43, 67-70; Gadd, A. J. et R.M. Morris, 1988: «Guidance available at Bracknell for the storm of 15/16 October 1987, and the forecasters’ conclusions at the time», Meteorological Magazine, 117, 110-118; Flood, C. R. et R.D. Hunt, 1988: «Public forecasts and warnings of the storm of 15/16 October 1987», Meteorological Magazine, 117, 131‑136; et LeVay, S., 2008: When Science Goes Wrong: Twelve Tales from the Dark Side of Discovery, Londres, Penguin Books, chapitre 2.

House of Commons Debate, 21 octobre 1987: vol. 120 cc729-42; et Houghton, D. M., F.R. Hayes et B.N. Parker, 1988: «Media reaction to the storm of 15/16 October 1987», Meteorological Magazine, 117, 136-140.

Michael Fish, prévisions météorologiques télévisées de la BBC, 15 octobre 1987.

Rawes, 1957: «Letter from Rawes (BBC TV Presentation Editor) to Sutton», 23 janvier 1957, T16/245/4, archives écrites de la BBC, Reading, Royaume-Uni.

RMS, 2007: The Great Storm of 1987: 20 Year Retrospective, Risk Management Solutions Inc. Special Report. Pour en savoir plus sur la grande tempête de 1703, voir RMS, 2003: December 1703 Windstorm: A 300 Year Retrospective, Risk Management Solutions Inc. Pour en savoir plus sur celle de 1987, voir les fiches d’information correspondantes du Met Office.

Sarewitz, D., R.A. Pielke et R. Byerly. 2000: Prediction: Science, Decision Making, and the Future of Nature, Washington, Island Press.

Sutton, O.G. 1953: «Summary of project progress sent from Sutton to Sandford (DUS ‑ Air Ministry)», 24 novembre 1953, AIR 2/10881, The National Archives, Londres, Royaume‑Uni.

Sutton, O.G. 1954: «Letter from Sutton to Denham», 2 mars 1954, AIR 2/12924, The National Archives, Londres, Royaume-Uni.

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