Les observations hydrologiques: quels sont les problèmes?

01 janvier 2008

par Harry F. Lins*

Introduction

Le caractère particulier de l’eau en tant que ressource fondamentale limitante en fait un élément persistant du discours politique. Il n’est donc pas étonnant de voir fréquemment des campagnes de publicité traiter des questions de ressources en eau alors que des problèmes chroniques demeurent et que de nouvelles tendances préoccupantes se font jour. Depuis une dizaine d’années, un certain nombre de difficultés ont été mises en exergue par des organisations gouvernementales et non gouvernementales s’occupant des questions d’eau, par des organes consultatifs, des instances chargées de la gestion des ressources et par la communauté scientifique: comment garantir un approvisionnement sûr en eau (qu’il s’agisse d’eau potable, d’assainissement, d’agriculture irriguée, d’écosystèmes aquatiques ou de développement économique), comment mettre en place et entretenir une infrastructure pour la gestion des risques liés aux inondations, à la sécheresse et aux désastres sources de pollution et comment assurer une collaboration intersectorielle et transfrontière ainsi que la sensibilisation du public à la nature limitée de la ressource (Agarwal et al., 2000).

Curiously, however, what may be the most critical burgeoning challenge associated with water resources has received relatively minor attention, i.e. ensuring the adequacy, consistency and long-term maintenance of high-quality hydrological observations. Regardless of the specific water concern, effective and efficient monitoring of the quantity and quality of the resource (on the surface, in the ground, at an appropriate frequency and for a suitable time period) is a requisite. This article highlights some of the more notable concerns currently facing National Services that collect and manage hydrological data. For many National Services, these issues are particularly worrisome because of the unique role they play in the development and validation of new monitoring approaches, as well as in the management of monitoring networks within their respective nations.

figure   Nombre de stations de jaugeage ayant plus de 30 ans d’archives qui ont été perdues chaque année aux États-Unis d’Amérique entre 1980 et 2005

Déclin des réseaux

Le problème le plus largement discuté et objet de publications ces dernières années dans le domaine des observations hydrologiques a été la tendance persistante généralisée au déclin des réseaux. Il s’agit également d’une question qui entraîne d’autres difficultés décrites plus bas. Les contraintes budgétaires courantes au niveau national, associées à une instabilité politique et institutionnelle au plan national et régional, sont généralement désignées comme en étant la cause. Ce problème n’est cependant pas particulier aux pays pauvres ou en développement. En effet, il se pose de manière significative dans de nombreux pays développés. C’est ainsi qu’aux États-Unis, plus de 2 200 stations de jaugeage ont disparu entre 1980 et 2005, même si le nombre total de stations en service —autour de 7 000— est resté relativement constant (USGS, 2007). Dans ce cas, le problème ne tenait pas à une perte absolue de stations mais bien à une perte plus insidieuse de stations ayant au moins 30 ans d’archives. Or, il s’agit des stations dont on a le plus besoin pour effectuer des analyses sérieuses de la fréquence des crues et des étiages et pour évaluer les modèles et les tendances hydrologiques dans le contexte de la variabilité et du changement climatiques.

On trouve un autre exemple de déclin de réseaux qui entrave les recherches sur les tendances climatiques dans la région pan-Arctique où Shiklomanov et al. (2002) ont signalé que le nombre des stations hydrologiques a récemment été ramené à celui du début des années 60. En Ontario, au Canada, 67 % des limnimètres ont été fermés entre 1986 et 1999 tandis qu’en Sibérie extrême-orientale, 73 % l’étaient pendant la même période.

Il s’agit de tendances préoccupantes car, même si l’on peut rouvrir des stations ou les remplacer à un moment ou à un autre dans l’avenir, l’interruption des observations à long terme entrave notre capacité d’établir des statistiques solides car celles-ci dépendent de relevés réguliers effectués sur plusieurs décennies voire sur plus d’un siècle.

Manifestement, il faut élaborer et mettre en œuvre des stratégies qui permettent de conserver dans les zones présentant un intérêt national et international vital les stations hydrologiques dont les relevés remontent loin dans le temps et qui permettent aussi d’augmenter le nombre de stations dans les zones où la surveillance est à l’heure actuelle inexistante ou insuffisante.

Rassembler des données qui correspondent à l’usage qu’on veut en faire

On utilise les données hydrologiques à de nombreuses fins, allant des systèmes d’alerte à la prévision en matière d’approvisionnement en eau, en passant par le transport des contaminants et la recherche sur les habitats aquatiques. Bon nombre de ces données ont, dans l’état où elles sont rassemblées, une utilité intrinsèque pour de nombreuses applications. Par exemple, les mesures de la hauteur des rivières à des endroits particuliers en temps réel ou quasi réel conviennent parfaitement à la prévision opérationnelle des crues dans ces endroits ou à proximité.

On ne peut gérer que ce que l’on mesure.

Auteur anonyme

Toutefois, pour diverses applications, on est contraint d’utiliser des données qui ne conviennent pas de manière optimale à la fin à laquelle on les destine. Un exemple courant des plus fâcheux est celui de l’utilisation du débit moyen journalier et du débit mensuel interannuel dans des stations qui analysent depuis moins de 30 ou 40 ans les tendances à long terme susceptibles d’être liées au changement climatique. Il est évident que, pour être vraiment utile, l’évaluation de ces tendances doit reposer sur des relevés remontant au moins à 100 ans, compte tenu notamment de l’apparition généralisée d’une persistance à long terme dans les relevés d’écoulement fluvial (Cohn et Lins, 2005; Koutsoyiannis, 2003). Malheureusement, il existe très peu de stations dans le monde qui disposent de telles archives. Il en va de même des analyses des changements survenus dans la fréquence et la sévérité des inondations et des sécheresses qui exigent des informations particulières sur les valeurs extrêmes des précipitations et des débits, obtenues grâce à une surveillance systématique et régulière sur de longues périodes dans un large éventail de contextes hydroclimatiques.

D’autres problèmes tels que la pollution diffuse des cours d’eau due au ruissellement chargé de nitrates, de pesticides et de sédiments peuvent exiger des données horaires car cette pollution est étroitement liée au moment où se produisent les orages et le ruissellement qui s’ensuit. Les questions de ce genre sont par ailleurs compliquées par le besoin de disposer en outre de données correspondant à diverses échelles spatiales dans la mesure où l’utilisation des terres et les pratiques agricoles influent notablement sur la variabilité locale de la charge en contaminants.

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Prélèvement d’un échantillon d’eau
 

À l’heure actuelle, les éléments constitutifs de la qualité de l’eau ne sont que faiblement surveillés dans le temps et dans l’espace, car ce type de suivi coûte généralement beaucoup plus cher que le jaugeage du fait que les échantillons doivent faire l’objet d’une analyse chimique dans des laboratoires. De toute évidence, rassembler des données qui correspondent au problème à régler exige des systèmes d’observations fonctionnant de manière régulière et fiable à des échelles de temps très longues et très courtes et à des échelles spatiales aussi bien étendues que restreintes: autant dire qu’il s’agit là d’une perspective coûteuse et décourageante.

Surveillance hydrochimique et hydrologique accrue

Au fur et à mesure que l’on a mieux compris au cours des 40 dernières années les interactions des processus physiques, chimiques et biologiques propres à l’eau, la surveillance de ces processus a gagné en complexité. Avant le début des années 60, la surveillance hydrologique portait essentiellement sur l’écoulement, le transport de sédiments et les niveaux piézométriques alors qu’aujourd’hui l’accent est plutôt mis sur la qualité de l’eau dans la mesure où les problèmes liés à la pollution sont devenus plus évidents. Cette évolution a fait considérablement augmenter le nombre de variables observées, particulièrement celles concernant la présence dans l’eau et les sédiments de composés dus à l’activité humaine ainsi que celles concernant les organismes aquatiques.

Les services nationaux hydrologiques et les services connexes s’occupant de l’environnement sont de plus en plus chargés de fournir des données d’observation sur lesquelles puissent s’appuyer la réglementation nationale en matière de qualité de l’eau, la restauration des écosystèmes aquatiques ayant souffert de l’activité agricole et la promotion de la durabilité des ressources en eau (Conseil national de la recherche, 2004). Procéder au type d’observations chimiques et biologiques plus exactes nécessaires pour répondre à ces demandes reste un défi. Sans compter qu’il faut faire appel à des techniques nouvelles adaptées à une utilisation dans des bassins hydrographiques à l’échelle sous-continentale; or, malheureusement, de telles stratégies de surveillance à grande échelle n’en sont pas encore à un stade qui permette de répondre aux nombreux problèmes actuels et encore moins à des problèmes nouveaux.

Stockage et diffusion des données

Le volume croissant et les types de plus en plus nombreux d’informations hydrologiques qui sont transmises aux centres de données et qui y sont stockées, et ce de plus en plus en temps réel ou quasi réel, crée de sérieux problèmes de stockage et de diffusion. Dans presque tous les pays, les données hydrologiques sont rassemblées par plusieurs entités et souvent à différents niveaux de l’administration depuis le niveau national jusqu’au niveau provincial voire local. En règle générale, ces mécanismes ont une longue histoire qui fait que leur capacité à répondre aux besoins des utilisateurs varie énormément et qu’ils suivent des règles différentes de divulgation des données.

Les chercheurs et les autres utilisateurs rencontrent systématiquement des difficultés pour trouver et obtenir des données cohérentes et comparables, même à l’intérieur d’un même pays. Étant donné qu’il y a peu de chance que cette situation connaisse à court terme un changement notable, il serait particulièrement utile que les services hydrologiques nationaux mettent en place des portails en ligne permettant d’accéder à leurs diverses bases de données hydrologiques.

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Mesure du débit
 

Il n’est pas moins difficile de diffuser librement et sans restriction les données et les informations hydrologiques. Les politiques nationales en matière de communication des données restreignent souvent la communication de ces données aux centres régionaux ou internationaux et, dans de nombreux cas, exigent du centre de données concerné qu’il obtienne l’approbation nécessaire avant de transmettre des données aux parties qui en font la demande. L’échange de données hydrologiques est encore compliqué par le fait que les formats et les protocoles d’échange ne sont pas normalisés et par l’incompatibilité des normes et des modes d’accès utilisés pour les bases de données. Dans le souci de supprimer les obstacles qui entravent l’échange de données, le Treizième Congrès météorologique mondial (1999) a adopté une résolution sur l’échange de données et de produits hydrologiques qui constitue une référence internationale pour la définition et la mise en œuvre des politiques régissant les échanges de données et d’informations. Même ainsi, l’accès aux données hydrologiques est très variable et très fragmenté malgré les prestations encourageantes fournies par des organisations et des programmes tels que le Centre mondial de données sur l’écoulement et le Réseau terrestre mondial.

Prise en compte des incertitudes propres aux méthodes et aux réseaux

Quantifier l’incertitude propre aux prévisions hydrologiques et prendre en compte cette incertitude dans les décisions adoptées ultérieurement sont des aspects essentiels de la modélisation et de la recherche opérationnelles. Cette incertitude dans l’établissement de modèles tient essentiellement aux données, plus exactement à leur fidélité spatiale et temporelle et à leur représentativité et au système de modélisation proprement dit. Il est donc d’une importance critique de prendre en compte les incertitudes liées aux méthodes et aux réseaux de surveillance si l’on veut réduire les doutes liés aux prévisions.

La prévision hydrologique dépendant étroitement des mesures des multiples variables hydrologiques faites sur de longues périodes de temps, la réduction —en taille et densité— des réseaux de surveillance (comme signalé plus haut) aggravera nécessairement le caractère incertain des prévisions. D’où le besoin manifeste de procédures de sauvetage et d’extension des données. Il faudra également de plus en plus mettre au point des méthodes permettant de valider et d’évaluer l’incertitude liée aux données recueillies par télédétection, car ce sont des éléments qui interviennent de plus en plus dans les analyses hydrologiques.

Conclusion

Les observations hydrologiques sont inséparables des utilisations auxquelles elles sont destinées. Elles sont essentielles si l’on veut résoudre les problèmes de ressources en eau liés aux inondations et à la sécheresse, à la durabilité agricole et au changement climatique à l’échelle mondiale. Les difficultés rencontrées en matière d’observations hydrologiques sont redoutables: diminution des stations de surveillance, particulièrement des stations disposant d’archives anciennes; discordances fréquentes entre les types de données rassemblées et les utilisations auxquelles elles sont destinées; augmentation notable du nombre de variables spatiales et temporelles et de la complexité des problèmes à résoudre, notamment dans le domaine biologique; difficultés rencontrées pour mettre rapidement et efficacement à disposition des quantités de plus en plus considérables de données; et besoin incontournable de réduire l’incertitude des prévisions en prenant en compte les incertitudes propres aux méthodes et aux réseaux d’observations.

Références

Agarwal, A., M.S. de los Angeles, R. Bhatia, I. Cheret, S. Davila-Poblete, M. Falkenmark, F.G. Villarreal, T. Jonch-Clausen, M.A. Kadi, J. Kindler, J. Rees, P. Roberts, P. Rogers, M. Solanes et A. Wright, 2000: Integrated water resources management, document de travail N° 4 du Comité technique consultatif, Stockholm (Suède), Partenariat mondial pour l’eau.

Cohn, T.A. et H.F. Lins, 2005: Nature’s style: naturally trendy, Geophysical Research Letters, v. 32, no. 23, doi 10.1029/2005GL024476.

Koutsoyiannis, D., 2003: Climate change, the Hurst phenomenon, and hydrologic statistics, Hydrological Sciences Journal, v. 48, no. 1, p. 3-24.

National Research Council, 2004: Confronting the Nation’s Water Problems: The Role of Research, Washington, DC, The National Academies Press.

Shiklomanov A.I., R.B. Lammers et C.J. Vörösmarty, 2002: Widespread decline in hydrological monitoring threatens Pan-Arctic Research, EOS Transactions, American Geophysical Union, v. 83, no. 2, pages 13,16,17.

US Geological Survey, 2007: Trends in the size of the USGS streamgaging network, National Streamflow Information Program (NSIP) Site Web:

(http://water.usgs.gov/nsip/streamgaging_note.html).


* Hydrologue, Office of Surface Water, US Geological Survey, Reston, Virginia, États-Unis d’Amérique

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