Pour des services météorologiques adaptés aux nouveaux milieux urbains

Évolution des milieux urbains et de la demande de services
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L’urbanisation s’accélère partout dans le monde. Aujourd’hui, 3,2 milliards de personnes vivent en ville, ce qui représente à peu près la moitié de la population du globe. Ce chiffre devrait atteindre 5 milliards en 2030, soit 61 % de la population totale. Le rythme est encore plus rapide dans les pays en développement. On estime qu’en Chine, le nombre de citadins passera de 170 millions en 1978 à 870 millions en 2017, une croissance de 500 % (État de la population mondiale 2007).
En 2010, la planète comptera 125 villes de plus d’un million d’habitants. Les grosses agglomérations émettent beaucoup de chaleur, de polluants atmosphériques et de déchets qui transforment l’environnement local et proche. Cet effet de «four» agit sur les processus dynamiques, thermodynamiques et chimiques, ainsi que sur les interactions de l’air, de l’eau et des sols (Xu et Tang, 2002). D’où la nécessité d’adapter les services météorologiques à l’évolution des milieux urbains.
Effets sur le temps et le climat
Dans les villes, le remplacement de la végétation par des bâtiments et des rues modifie la capacité d’absorber le rayonnement solaire, l’accumulation de chaleur et le taux d’évaporation. Les paramètres météorologiques en sont profondément changés, par exemple la température en surface, la turbulence locale et la configuration des vents. Il fait souvent un à cinq degrés de plus en milieu urbain qu’en zone rurale, selon la taille de la ville. C’est ce que l’on appelle l’effet d’îlot de chaleur.
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Figure 1 — L’effet d’îlot de chaleur (cliquer sur l'image pour agrandir) | |
Ce phénomène peut avoir un impact sur le temps et le climat locaux (figure 1). Orville et al. (2000) ont observé à Houston, Texas, une nette convergence des vents et un effet de brise de mer dans la zone urbaine. La convergence des vents favorise la formation de tempêtes, accentue l’activité convective et modifie la circulation atmosphérique (Semonin, 1981). Une forte activité convective, alliée à une teneur élevée en aérosols, provoque une hausse du nombre d’éclairs (Orville et al., 2000).
Les données transmises par les satellites montrent que les zones de forte teneur en aérosols sont souvent situées au-dessus des villes (Tie et al., 2006). Les concentrations élevées de particules forment une épaisse brume sèche dans certaines conditions. Si la couche limite planétaire est stable, les grandes villes polluées souffrent fréquemment d’une mauvaise visibilité quand les vents sont faibles. En Asie du Sud, les aérosols s’agglutinent en un panache épais communément appelé nuage brun asiatique.
Effets sur la chimie de l’atmosphère
La concentration de la population dans les villes s’accompagne d’une hausse de l’énergie consommée pour le chauffage, la climatisation et le transport. On dénombre à Mexico 3,5 millions de véhicules pour 20 millions d’habitants. La consommation énergétique rejette dans l’atmosphère de grands volumes de polluants (dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, monoxyde et dioxyde d’azote, composés organiques volatils), de particules et de gaz toxiques.
Les polluants agissent de différentes manières sur la chimie de l’atmosphère en milieu urbain. Les plus nocifs sont les aérosols, l’ozone et les gaz toxiques. Parmi ces derniers, le dioxyde de soufre est un important précurseur des particules de sulfate. L’émission de matières particulaires a un effet direct sur les teneurs en aérosols. Pour leur part, le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote et les composés organiques volatils (précurseurs de l’ozone) contribuent fortement à la formation d’ozone (Zhao et Tang, 2007).
En raison des fortes émissions d’oxydes d’azote et de composés organiques volatils à Mexico (Molina et Molina, 2002), les concentrations horaires moyennes d’ozone dépassent presque chaque jour la norme mexicaine de qualité de l’air, fixée à 110 parties par milliard, et atteignent souvent le double de ce seuil (Garfias et Gonzalez, 1992). Des gaz toxiques tels que le benzène sont rejetés par les automobiles ou lors d’accidents. La densité du cadre bâti réduit la vitesse des vents et l’écoulement d’air, ce qui tend à emprisonner l’atmosphère polluée dans les villes. Les matières toxiques sont donc plus nocives pour la santé, surtout lorsque la stratification est très stable.
Effets sur la santé humaine
Les conditions météorologiques et climatiques propres aux grandes villes et l’évolution du milieu urbain ont de graves répercussions sur la santé des habitants:
- Fortes concentrations d’ozone dans la couche limite planétaire
Les recherches menées depuis de longues années ont montré que l’ozone agit surtout sur l’appareil respiratoire. Selon une étude réalisée par le Santa Barbara County Air Pollution Control District, en Californie, un Américain sur trois risque de souffrir de problèmes médicaux dus à l’ozone;
- Particules d’aérosols
Elles provoquent une inflammation de la paroi pulmonaire qui peut entraîner des dommages irréversibles et réduit la qualité de vie des personnes atteintes (Parent et al., 2007). Le Norwegian Institute for Air Research a mis au point un système dont les différentes composantes permettent de surveiller la qualité de l’air et ses effets sur la santé en fonction du degré de pollution, de la durée d’exposition, etc.
- Effet d’îlot de chaleur
Comme on l’a vu, la température est beaucoup plus élevée en ville qu’à la campagne. Quand l’été est particulièrement chaud, les vagues de chaleur envahissent les grandes villes et gênent énormément les habitants. La canicule qui s’est abattue sur l’Europe en 2003 a fait 34 071 décès en Italie et 10 000 en France. À Shanghai, on dénombre chaque année 22 jours où la température dépasse 35 °C, soit 13 jours de plus qu’il y a 30 ans.
Effets sur les écosystèmes
On sait depuis une trentaine d’années que l’ozone est susceptible de nuire à la végétation (Fuhrer et Achermann, 1994). Une étude réalisée par le cinquième programme-cadre de l’Union européenne, au titre du programme Énergie, environnement et développement durable, a révélé que cette substance peut modifier la surface des feuilles. On a observé ses effets corrosifs sur la cuticule (membrane cireuse) d’arbres qui avaient été vaporisés d’ozone. Une multitude d’écosystèmes urbains et de zones agricoles subissent les effets d’une exposition à de fortes concentrations, en particulier la culture du riz, du blé et du coton.
Selon des recherches menées au titre du projet CHINA-MAP sur le delta du Yang Tsé, les teneurs élevées en ozone influent de manière notable sur la production de riz dans la région, qui abrite une quinzaine de grandes villes (Zhou et al., 2004).
Élaboration de nouveaux services
Il est nécessaire de poursuivre les recherches sur toute la gamme des effets potentiels et de dispenser de nouveaux services météorologiques. L’OMM a lancé depuis 1999 plusieurs projets sur la météorologie et l’environnement en milieu urbain dans le but de résoudre les problèmes causés par l’aggravation de la pollution atmosphérique dans les villes (figure 2).
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Figure 2 — Activités prévues dans le projet GURME pour la période 2008-2015 | |
Le Projet de recherche sur la météorologie et l’environnement en milieu urbain (GURME) relevant de la Veille de l’atmosphère globale (GAV) fait partie de telles initiatives. On a étudié dans ce cadre les interactions de la pollution de l’air, de l’eau et des sols à Beijing et installé un réseau intégré de surveillance en exploitation dans la métropole. Le projet GURME tente également d’améliorer les observations de la qualité de l’air au moyen d’échantillonneurs passifs et d’affiner les prévisions de la qualité de l’air à Moscou, Mexico et Sao Paulo. L’Université technique de Madrid a élaboré un système robuste d’aide à la prise de décision qui, en fonction des prévisions de la qualité de l’air à échéance de 72 heures, permet de déclencher des mesures destinées à réduire les émissions. À Shanghai, un système d’alerte d’ozone a été mis en place et l’expérience MARAGE a été réalisée dans le cadre d’un projet pilote GURME. Plusieurs solutions ont été envisagées, en se basant sur l’expérience acquise et les enseignements tirés, comme on le verra ci-après.
Création d’un réseau dense, tridimensionnel et intégré de surveillance du milieu urbain
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Figure 3 — Stations d’observation de Shanghai | |
L’amélioration des services météo rologiques en milieu urbain exige de procéder à un plus grand nombre de mesures essentielles (temps et substances chimiques). L’OMM a publié en 2006 un document intitulé Initial guidance to obtain representative meteorological observations at urban sites (rapport No. 81 de la série consacrée aux instruments et aux méthodes d’observation). Le Bureau météo-rologique de Shanghai s’en est inspiré pour mettre en place 106 stations météorologiques automatiques, 89 stations pluviométriques, deux radars météorologiques, trois profileurs du vent, deux tours d’observation de la couche limite planétaire et deux stations de sondage (figure 3). On a également procédé à certains relevés de la composition chimique de l’atmosphère avec l’autorisation des autorités locales. Les points de mesure ont été choisis de manière à représenter les différents types de surface. Les sites servant à analyser l’atmosphère sont répartis dans différents secteurs:
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Une ceinture verte urbaine, qui indique l’état de l’écosystème urbain;
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Une ceinture verte rurale, qui indique l’état de l’écosystème rural;
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Une zone urbaine centrale, qui correspond à une forte densité de population et de transport;
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Une zone rurale distante, qui représente les conditions de fond;
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Une zone industrielle, qui indique les émissions de particules et de substances chimiques.
Le but est de composer un réseau dense, tridimensionnel et intégré de surveillance du milieu urbain afin d’obtenir des données sur les conditions météorologiques et sur la chimie de l’atmosphère. Les mesures intensives permettent de déterminer plus précisément la distribution des facteurs dynamiques et chimiques à petite échelle. Elles aideront à mieux comprendre le milieu urbain et à améliorer les services météorologiques dispensés à Shanghai.
Mise en place de systèmes de prévision et d’alerte précoce
Des systèmes de prévision et d’alerte précoce doivent être établis en milieu urbain si l’on veut répondre aux besoins actuels. Ils doivent mesurer différents paramètres, recourir à diverses méthodes, tels les statistiques et le diagnostic, et exploiter plusieurs modèles, dont un modèle météorologique d’échelle réduite et un modèle chimique (aérosols et ozone). Le Bureau météorologique de Shanghai a adapté un modèle de prévision météorologique régional et un modèle dynamique et chimique afin de procurer de nouveaux services. Par ailleurs, un modèle hautement interactif, comprenant la simulation des émissions et la simulation des impacts sur l’environnement, est en train d’être élaboré grâce à la collaboration établie entre l’Administration météorologique chinoise et le National Center for Atmospheric Research des États-Unis d’Amérique.
Il est possible, en combinant plusieurs méthodes de mesure et de prévision, y compris les modèles, d’obtenir de nouveaux produits de prévision et d’alerte de phénomènes violents en milieu urbain. Parmi ces événements figurent l’élévation de la teneur en ozone, la présence d’une épaisse brume sèche due aux aérosols, l’intensité anormale du rayonnement ultraviolet, la formation de vagues de chaleur et le rejet de gaz toxiques nécessitant une intervention rapide, la vérification de l’état de l’écosystème urbain et le déclenchement d’une alerte.
Diffusion des produits
L’amélioration progressive des réseaux tridimensionnels de surveillance et la mise en place de systèmes de prévision et d’alerte précoce permettront de fournir des prévisions et d’autres services météorologiques classiques, mais aussi divers avis et alertes. Ces messages seront communiqués aux organismes d’intervention d’urgence et aux autorités de gestion des catastrophes, dont les décideurs gouvernementaux (ville et district). Ils seront diffusés dans le grand public, les villages, les écoles, les hôpitaux et les entreprises des secteurs vulnérables. Les alertes et avis destinés au public seront transmis par la télévision, la radio, les téléphones portables, les journaux, Internet, etc.
Illustration des nouveaux services
Prenons l’exemple de l’ozone. Le système de prévision et d’alerte qui a été installé par le Bureau météorologique de Shanghai comprend trois éléments: un système d’information, un système physico-chimique et un système de prévision.
Le premier fournit des prévisions à grande échelle sur les facteurs dynamiques présents, un inventaire des émissions de substances chimiques et des renseignements sur la surface terrestre. Le deuxième exploite un modèle dynamique-chimique récemment mis au point, qui établit des prévisions météorologiques à petite échelle avec une résolution adaptée aux besoins. Les conditions météorologiques prévues sont introduites dans le modèle chimique pour anticiper la composition de l’atmosphère et les concentrations d’aérosols le jour suivant. On procède ensuite à l’analyse des effets de ces deux paramètres. Si les concentrations d’ozone attendues sont supérieures aux normes nationales, un message est transmis à différents paliers de l’administration municipale et au public.
Selon la politique adoptée par plusieurs institutions, le Bureau météorologique de Shanghai utilise des couleurs (jaune ou orange) pour indiquer au public la gravité de la menace. L’organisme chargé du contrôle de la circulation prend alors des mesures propres à réduire les émissions dans certains quartiers de la ville. L’information qu’il transmet à son tour est très utile pour estimer la baisse potentielle des concentrations d’ozone. Les responsables de la santé et les hôpitaux se préparent, pour leur part, à une hausse exceptionnelle du nombre de personnes souffrant de problèmes respiratoires (figure 4).
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Figure 4 — Système d’alerte d’ozone à Shangai |
Résumé
Le rythme accéléré de l’urbanisation pose divers problèmes et exige de fournir de nouveaux produits dans les grandes villes. Les effets de ce phénomène ont été largement étudiés: conditions météorologiques et climatiques, chimie de l’atmosphère, santé de la population et écosystèmes locaux. Les conclusions de ces travaux peuvent servir à élaborer des services plus adaptés.
L’OMM a formulé des directives et lancé des projets dans le but d’aider les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN) à améliorer les produits qu’ils dispensent. Grâce aux expériences concrètes qui ont été menées et aux enseignements qui en ont été tirés, plusieurs façons d’intervenir ont été envisagées, par la surveillance et la détection rapide, la prévision et l’alerte précoce, la diffusion des avis et la création de partenariats.
Les nouveaux défis sont l’occasion d’améliorer nos services et d’explorer de nouveaux domaines. La grande majorité des SMHN porte une grande attention aux services destinés aux milieux urbains. Il est essentiel de partager les idées, les données d’expérience, les technologies et les enseignements dans ce domaine. Nous adapterons progressivement nos produits afin d’améliorer la qualité de l’environnement urbain et des services météorologiques en général.
Bibliographie
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Garfias, J. et R. Gonzalez, 1992: Air quality in Mexico City. In: The Science of Global Change: The Impact of Human Activities on the Environment, Am. Chem. Soc., Washington, D.C, 149-161.
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* Centre météorologique régional de Shanghai, Administration météorologique chinoise, 200030 Shanghai, Chine