Critique du livre Tree Story – The History of the World Written in Rings
- Author(s):
- Michael R. van der Valk, Hydrology.nl

En 2008, un article paru dans la revue Science1 soutenait que les planificateurs des ouvrages hydrologiques, et des ressources en eau en général, devaient tenir compte du changement climatique d’origine anthropique dans leurs investissements. Pour de nombreux concepteurs de barrages, de digues et de systèmes d’approvisionnement en eau, la prise en compte du changement climatique était un concept novateur. Dans son livre passionnant, Tree Story, Valerie Trouet montre qu’en fait, cela n’a rien de nouveau. En 1976 déjà, des dendrochronologues2 ont utilisé des cernes d’arbres pour reconstituer le ruissellement du fleuve Colorado depuis 1521. Ils ont constaté que le débit moyen à long terme était inférieur de plus de 20 % aux valeurs utilisées pour répartir et diviser les ressources en eau en 1922. Ils ont également remarqué que sur ces 450 ans, la plus longue période de débit élevé avait eu lieu au début du XXe siècle, de 1907 à 1930, à l’époque même de la rédaction de l’accord de 1922. Pour calculer la répartition des ressources en eau, les négociateurs s’étaient fondés sur les données des deux décennies dont ils disposaient alors, mais celles-ci n’étaient pas représentatives du ruissellement à long terme.
En dépit de son titre, Tree Story est entièrement consacré au changement climatique et à l’eau. Dans l’exemple susmentionné, ce sont les cernes des arbres qui ont servi à reconstituer le débit du fleuve. Ils réagissent aux mêmes facteurs hydroclimatiques que le ruissellement, tels que les chutes de neige et l’évapotranspiration.
Dans son livre très accessible, Mme Trouet nous explique comment la dendrochronologie est devenue un outil essentiel de l’étude des interactions entre les arbres, le climat, l’eau et les êtres humains. En général, les années humides, lorsqu’il tombe beaucoup de neige et de pluie, les arbres poussent beaucoup et forment de larges cernes. Les années sèches, ils souffrent et leurs cernes sont étroits. En comptant les cernes et en associant les informations ainsi obtenues avec d’autres données (indirectes), on a établi des relevés climatologiques (aussi appelés «chronologies des cernes des arbres») sur plus de 10 000 ans qui sont précis à l’année près. «Le plus long relevé continu de cernes d’arbres, la chronologie allemande des chênes et des pins, couvre les 12 650 dernières années sans qu’il en manque une seule», nous révèle Mme Trouet.
L’auteure retrace sa carrière, du travail de terrain en Afrique aux institutions de recherche en Suisse et aux États-Unis. Elle emmène le lecteur dans un voyage à travers les déserts, où les arbres sont rares mais souvent vieux, le long de rivières en crue et de cours d’eau aux régimes changeants, sans oublier les méga sécheresses qui ont fait disparaître des cultures anciennes et jusqu’aux bateaux pirates qui ont bénéficié de conditions climatologiques optimales. Son livre ne se limite pas au «comptage des cernes», mais traite aussi des interactions entre les arbres, y compris le bois archéologique et historique, du climat des millénaires passés ainsi que des répercussions des tremblements de terre, des taches solaires et des volcans. Mme Trouet met en lumière l’impact des changements climatiques sur les sociétés du monde entier, notamment les empires romain, mongol et khmer, et nous explique le rôle joué par la dendrochronologie, l’hydrologie et les téléconnexions climatiques dans cette découverte. Elle nous entraîne d’échelle en échelle, depuis les cellules de bois inférieures au diamètre d’un cheveu humain jusqu’aux vents que déclenche l’oscillation nord-atlantique. Au passage, nous abordons l’histoire de l’utilisation du bois et de la déforestation, mais aussi celle des grands incendies de forêt, et nous apprenons d’où viennent les vieux violons.
Tree Story est un excellent livre, très actuel, écrit par une scientifique de premier plan. Alors que ses messages forts sont fondés sur des connaissances scientifiques très pointues, il reste très distrayant et est parfois agrémenté de notes d’humour. Mme Trouet nous rappelle également l’importance des avancées en sciences naturelles pour faire de notre planète un endroit vivable. Tree Story sera certainement le meilleur livre que vous lirez cette année.
Footnotes
1 Milly, P.C.D., J. Betancourt, M. Falkenmark, R.M. Hirsch, Z.W. Kundzewicz, D.P. Lettenmaier, R.J. Stouffer, 2008: Stationarity Is Dead: Whither Water Management?, Science, Vol. 319, Issue 5863, p. 573-574, doi: 10.1126/science.1151915.
2 Stockton, C. W. et G.C. Jacoby, 1976: Long-term surface water supply and streamflow trends in the Upper Colorado River basin, Lake Powell Research Project Bulletin No. 18, Arlington, National Science Foundation.
Références
Trouet, V. 2020. Tree Story – The History of the World Written in Rings, Baltimore, Johns Hopkins University Press.