Enseignements du Projet Climandes: comment élaborer des services climatologiques sur mesure
- Author(s):
- Andrea van der Elst et l'Équipe Climandes, MétéoSuisse

En 2016, les conditions météorologiques induites par le phénomène El Nino ont sensiblement aggravé l'insécurité alimentaire dans le monde. Plus de 60 millions de personnes ont été affectées. Une analyse a révélé qu'une bonne part de la population exposée n'était ni informée des fortes anomalies à venir ni préparée à y faire face. Dans son rapport de 2018 sur les risques qui menacent la planète, le Forum économique mondial classe les températures et les phénomènes météorologiques extrêmes parmi les défis les plus pressants en termes de probabilités et de conséquences. Un seul événement peut repousser les personnes vulnérables dans la pauvreté et détruire des progrès durement accomplis.
Une compréhension et une diffusion plus larges des informations météorologiques et climatologiques sont cruciales pour réduire les risques et accroître la résilience et la préparation de la société face à la variabilité et à l'évolution du climat. Même quand de bonnes prévisions existent, elles ne sont pas toujours utilisables, accessibles et compréhensibles par les principaux intéressés, en particulier les petits exploitants agricoles des zones rurales reculées (Carr et Onzere, 2017). Les informations sur le climat passé, présent et futur doivent être adaptées aux besoins des utilisateurs pour éclairer la prise de décisions. Soucieux de coordonner et de guider ces initiatives, les chefs d'État, les représentants gouvernementaux et les scientifiques ont décidé d'instaurer le Cadre mondial pour les services climatologiques (CMSC) en 2009, pendant la troisième Conférence mondiale sur le climat. Lorsque le Cadre a été lancé en 2012, la plate-forme d'interface utilisateur était l'une des composantes essentielles pour développer les services. Elle doit favoriser les échanges entre les utilisateurs et les fournisseurs de manière à adapter au mieux le contenu et la prestation des produits.
Les services climatologiques concourent à la mise en œuvre des grands programmes mondiaux adoptés récemment, tels le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030) (UNISDR, 2015), l'Accord de Paris de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC, 2015) et Transformer notre monde: le Programme de développement durable à l'horizon 2030 (ONU, 2015). Il est indispensable de disposer d'informations sur le temps et le climat à une diversité d'échelles spatiales et temporelles pour soutenir les plans nationaux d'adaptation, évaluer les risques climatiques et atteindre les objectifs de développement durable sensibles au climat. Ces informations alimentent les systèmes d'alerte précoce multidanger qui permettent de se préparer aux catastrophes, qui sauvent des vies et qui préservent les moyens de subsistance. Le projet Climandes au Pérou montre comment parvenir à offrir des services aussi vitaux.
Le projet Climandes: des services climatologiques dans les Andes
La Direction du développement et de la coopération de la Suisse a lancé en 2012 le projet Climandes (services climatologiques pour le développement) au titre de son Programme global Changement climatique et Environnement. Il s'agit de l'un des huit projets prioritaires de l'OMM pour mettre en œuvre le CMSC. Le partenariat entre le Service national de météorologie et d'hydrologie du Pérou (SENAMHI) et l'Office fédéral de météorologie et de climatologie de la Suisse (MétéoSuisse) visait à élaborer des services climatologiques destinés aux fermiers des hauts plateaux andins, au profit notamment de la sécurité alimentaire dans l'agriculture de subsistance. À l'issue de deux phases de trois années chacune, le projet a traduit le CMSC en solutions concrètes à l'échelon local qui augmentent la résilience des populations rurales dans les Andes péruviennes.
La région de Puno s'étend dans la partie occidentale des hauts plateaux, à quelque 4 000 mètres au-dessus du niveau de la mer; c'est l'un des quatre secteurs du Pérou qui souffrent le plus d'insécurité alimentaire (INEI, 2013) et l'une des deux régions visées par le projet pilote Climandes. Elle compte 1,4 million d'habitants, soit 5 % de la population nationale, dont 43 % travaillent dans le secteur agricole - principalement sur de petites exploitations de subsistance (INEI/MINAM, 2013). Les fermiers sont particulièrement exposés aux conséquences des phénomènes météorologiques et climatiques, vu la variabilité interannuelle prononcée du climat et les faibles capacités d'adaptation et de reconstruction dans la région.
Un modèle de participation des utilisateurs
Les activités à entreprendre pour créer une plate-forme d'interface utilisateur n'ont toujours pas été définies avec précision ou spécifiées de façon concrète. En fait, un examen récent du CMSC a révélé que nombre de producteurs et d'utilisateurs des services climatologiques ne saisissaient pas bien l'objet et le fonctionnement d'une telle plate-forme (Mid-term Review of the Global Framework for Climate Services, OMM, 2017, www.wmo. int/gfcs//ibcs-5). Le projet Climandes a donc élaboré un prototype de plate-forme d'interface utilisateur pour permettre une large participation des principaux intéressés: fournisseurs d'informations, utilisateurs intermédiaires (experts ou représentants sectoriels, etc.), villageois, petits agriculteurs.
Une démarche en deux temps pour étayer l'action
Le SENAMHI et MétéoSuisse ont créé la plate-forme pilote en suivant une démarche en deux temps, de sorte que les services climatologiques soient élaborés en collaboration et qu'ils correspondent aux besoins d'utilisateurs et de groupes précis.
La première phase a fourni les renseignements nécessaires pour planifier l'action. On a dressé la liste de toutes les parties prenantes, rassemblé les connaissances sectorielles et créé des alliances stratégiques. Le SEN- AMHI et MétéoSuisse ont aussi étudié la vulnérabilité à l'égard du climat au sein d'un groupe représentatif de 726 ménages de petits exploitants dans quinze districts de la région de Puno.
L'étude a mis en lumière les principaux problèmes agricoles imputables au climat, a analysé les processus décisionnels et a aidé à préciser les informations météorologiques et climatologiques à fournir. Il est apparu que les fermiers perdaient souvent une part importante de la récolte à cause du gel, de la sécheresse et d'autres conditions adverses. Ces pertes se traduisent directement par une insécurité alimentaire car les possibilités de relèvement sont limitées. L'emploi des informations météorologiques et climatologiques pouvait être considérablement étendu; toutefois, quatre facteurs risquaient de freiner l'usage de celles-ci au moment de prendre les décisions: l'accessibilité, la compréhension, l'exactitude et, surtout, la confiance dans le fournisseur et ses produits.
À partir des données recueillies, un modèle économique a estimé qu'un plus large accès aux avis de gel accroîtrait de 10 % la récolte de quinoa, soit un gain de 2,7 millions de dollars É.-U. par an dans la région de Puno. La communication de tels avantages socio-économiques pourrait sensibiliser les hauts responsables et, espérait-on, augmenter le financement public des services climatologiques.
La deuxième phase a consisté à fournir les services climatologiques, en mettant à profit les renseignements rassemblés. On s'est particulièrement attaché à élaborer des produits sur mesure en associant les utilisateurs de deux villages ruraux. Chaque mois, le SENAMHI et MétéoSuisse organisaient des ateliers sur le terrain afin de poursuivre les échanges. Les ateliers avaient pour but de sensibiliser les exploitants, de lever les obstacles à l'utilisation de l'information climatologique et d'évaluer l'incidence et l'intérêt des services offerts. Les résultats ont montré que l'élaboration concertée des services climatologiques au sein du projet Climandes avait sensiblement amélioré la confiance des utilisateurs dans le SENAMHI et accru l'emploi de l'information pour prendre des décisions et profiter pleinement de ses avantages socio-économiques. Les fermiers ont également signalé que l'information qu'ils recevaient correspondait à la réalité - elle était donc exacte.
Le SENAMHI a opté pour deux modes de communication de l'information, selon les préférences indiquées par les agriculteurs, de façon à mieux atteindre la population cible - élargissement de l'accessibilité. Son bureau régional de Puno communique maintenant par SMS les prévisions et alertes précoces de gel et de sécheresse. En outre, deux postes de radio diffusent chaque jour les prévisions du temps dans les langues locales (quechua et aymara) et en espagnol. Cependant, la compréhension des informations météorologiques et climatologiques a peu progressé pendant le projet - ce qui reste un point crucial.
Étendre les capacités de prestation et d'utilisation
Selon les études du CMSC, l'élaboration conjointe des services climatologiques manque de moyens sur le plan institutionnel, surtout dans les pays en développement et les pays émergents. Le jumelage a été privilégié dans le projet Climandes car il permet de développer les capacités dans tous les domaines du CMSC par la formation entre collègues, la fourniture d'un appui constant et le tutorat au sein des prestataires comme des utilisateurs finals.
Le projet a aussi fait appel à de nouveaux modes d'enseignement et de formation. Le SENAMHI a offert pour la première fois des cours à distance et gère aujourd'hui sa propre plate-forme Moodle d'apprentissage en ligne. Il a également dispensé un enseignement en classe. Cet assortiment de méthodes a été très efficace pour étudier divers sujets touchant les services climatologiques, dont la qualité des données, les prévisions saisonnières et l'évaluation des retombées socio-économiques des services. Les cours ont été suivis par des participants d'autres pays et ont favorisé la mise en commun d'informations par les météorologistes de la région, par exemple lors des séances mensuelles d'information en ligne consacrées aux prévisions saisonnières. L'échange d'étudiants au sein de la région et entre la Suisse et le Pérou a favorisé l'acquisition de compétences. Le projet a soutenu les activités du Centre régional de formation professionnelle (CRFP) du Pérou et du Programme d'enseignement et de formation professionnelle de l'OMM. Au vu de ces activités, l'Organisation a décidé en juin 2018 que le SENAMHI serait la deuxième composante du CRFP du Pérou, rejoignant l'Université nationale d'agronomie La Molina.
Combler les lacunes sur le plan des services
La participation des utilisateurs au début de la démarche a permis de connaître les besoins en matière de services climatologiques. Le SENAMHI a pu préciser les produits à fournir et cerner les capacités scientifiques, techniques et opérationnelles à détenir pour cela. Le faible volume d'observations de qualité, condition indispensable à la prestation de services climatologiques, a posé de graves difficultés. Pour y remédier, le SENAMHI a procédé à l'homogénéisation (élimination des influences non climatiques) des séries chronologiques, a introduit un contrôle de la qualité et a constitué des jeux de données quotidiens aux points de grille (alliant les observations de stations et les données de satellites). Il pouvait ensuite suivre l'évolution des indices pertinents à partir de ces données de température et de précipitation. Les indices ont été définis sur la base de l'étude réalisée auprès des utilisateurs, puis affinés par une série d'analyses poussées des données météorologiques et agronomiques. On a aussi procédé à une analyse climatologique d'indices tels que le nombre de jours consécutifs où la température était inférieure au seuil fixé pour certaines plantes pendant la saison de croissance, ainsi que des indices de sécheresse pour les besoins en eau. Ces informations intéressent directement divers groupes d'utilisateurs du monde agricole et affermissent la fonction consultative du SENAMHI en matière, notamment, de suivi et d'alerte de sécheresse et de gel.
Une autre amélioration notable est la vérification systématique des prévisions saisonnières émanant du SENAMHI, dont ont découlé des produits expérimentaux qui donnent des indications sur la qualité de la prévision, en plus de l'incertitude. Ces prototypes sont à l'essai auprès d'un certain nombre d'utilisateurs afin d'éviter tout problème de crédibilité. Dans le cadre du projet, les prévisions statistiques saisonnières des moyennes de la température et des précipitations établies par le SENAMHI étaient complétées par les prévisions dynamiques saisonnières du Centre européen des prévisions météorologiques à moyen terme, qui renferment maintenant des indices pour l'agriculture.
Grâce à ses nouvelles capacités scientifiques, techniques et opérationnelles, le SENAMHI a pu organiser le premier Atelier sur la gestion des données en Amérique du Sud, qui a réuni 150 personnes de 15 pays. L'événement, excellent moyen d'étendre le projet Climandes, a favorisé l'échange d'informations entre les prestataires de services météorologiques et les professionnels de la région.
Conclusions
Validation du concept - La démarche en deux temps a grandement contribué à la réussite du projet. Climandes a montré que les services climatologiques doivent être élaborés conjointement par une diversité de parties prenantes - petits agriculteurs, institutions privées et publiques partenaires, services gouvernementaux - pour être adaptés aux conditions locales. Les sciences naturelles, économiques et sociales, tout comme le savoir traditionnel, sont très utiles pour comprendre le processus décisionnel. La mise au point de la plateforme en deux phases a comporté plusieurs éléments généraux qui peuvent être reproduits dans d'autres secteurs, avec des utilisateurs aux profils différents. Le projet confirme l'utilité de la plate-forme d'interface utilisateur prévue par le CMSC ainsi que la possibilité de l'étendre dans l'espace et de l'appliquer à d'autres contextes ou secteurs.
Participation précoce des utilisateurs - Le fait d'associer très tôt les utilisateurs a été crucial pour lancer les services climatologiques et en voir les bienfaits. Grâce à cette approche, le projet est parvenu à abaisser sensiblement les quatre grands obstacles à l'emploi de l'information météorologique et climatologique (accessibilité, compréhension, exactitude et confiance insuffisantes). Le bureau régional du SENAMHI a joué un rôle important par sa connaissance concrète des risques et sa capacité d'atteindre et de tisser des liens avec la population locale. Le bon fonctionnement d'une plate-forme d'interface utilisateur exige des ressources décentralisées pour la prestation des services climatologiques dans le pays.
Le jumelage - Le SENAMHI et MétéoSuisse ont trouvé le jumelage efficace. On a mis à profit les nombreux moyens de développer les capacités plutôt que d'investir dans l'infrastructure. Les bureaux régionaux et nationaux du SENAMHI et de MétéoSuisse ont participé à la conception de toutes les activités, tels les échanges entre collègues, la formation en cours d'emploi et la création de réseaux professionnels. Le SENAMHI s'en est trouvé renforcé sur le plan technique et institutionnel, ce qui lui permet aujourd'hui d'offrir dans la région des services climatologiques sur mesure de grande qualité.
Des services climatologiques pour tous - Le projet a démontré que l'accès des populations vulnérables à l'information météorologique et climatologique augmentait notablement la préparation aux catastrophes et la protection des moyens de subsistance. On a tout mis en œuvre pour que les segments les plus fragiles de la société, en particulier les pauvres, les personnes peu éduquées et les femmes, aient un accès libre et illimité aux services. Le projet Climandes contribue au CMSC et aux programmes d'action mondiaux en élargissant les capacités d'adaptation dans les communautés agricoles des Andes péruviennes. Les retombées socioéconomiques d'un plus large usage de l'information météorologique et climatologique excèdent sans doute les coûts de la mise en place et de la fourniture continue d'un tel service.
Le nouveau rapport rédigé par MétéoSuisse et par le SENAMHI se trouve à l'adresse: www.meteoswiss.admin.ch/content/dam/meteoswiss/de/Forschung-und-Zusammenarbeit/Internationale-Zusammenarbeit/doc/UIP_Publication. pdf.
Pour en savoir plus, le lecteur peut consulter les sites Web publics sur le projet qu'ont créé MétéoSuisse (www. meteosuisse.admin.ch/home/recherche-et-collaboration/ collaboration-internationale/projets-internationaux/
climandes.html), le SENAMHI (www.senamhi.gob.pe) et l'OMM (public.wmo.int/en/projects/climandes).
Les références bibliographiques
Carr, E. R and Onzere, S. N., 2017. Really effective (for 15% of the men): Lessons in understanding and addressing user needs in climate service from Mali. Climate Risk Management.
Food and Agriculture Organization (FAO), International Fund for Agricultural Development (IFAD), United Nations International Children’s Emergency Fund (UNICEF), World Food Programme (WFP) and World Health Organization (WHO), 2017. The State of Food Security and Nutrition in the World 2017. Building resilience for peace and food security. Rome, Food and Agriculture Organization.
INEI/ MINAM, 2013. Resultados Definitivos: IV Censo Nacional Agropecuario – 2012. Instituto Nacional de Estadística e Informática / Ministerio del Ambiente. Lima, INEI / MINAM.
World Meteorological Organization, 2017 (2017). Mid-term Review of the global framework for climate services. Gerlak, A. K., Zack, G. Knudson, C.
World Economic Forum, 2018. The Global Risks Report. 13th edition, WEF, Geneva, 2018.