Genèse, impact et suites de la résolution 40 de l’OMM
- Author(s):
- John W. Zillman

L’adoption de la résolution 40, «Politique et pratique adoptées par l’OMM pour l’échange de données et de produits météorologiques et connexes et principes directeurs applicables aux relations entre partenaires en matière de commercialisation des services météorologiques», par le Douzième Congrès météorologique mondial en 1995 (Bautista Pérez, 1996) demeure un tournant dans l’histoire de l’OMM. À certains égards, elle a marqué la fin de ce que l’on a appelé l’âge d’or de la coopération internationale en matière de météorologie. Cette période faste, qui a commencé au début du XIXe siècle (Daniel, 1973), a vu la naissance de l’Organisation météorologique internationale (1873) puis celle de l’OMM (1950), puis, des années 1960 jusqu’aux années 1980, par les réalisations remarquables du Programme de la Veille météorologique mondiale (VMM) de l’OMM et du Programme de recherches sur l’atmosphère globale (GARP) (Davies, 1990).
Vers le milieu des années 1980, la tradition centenaire de coopération internationale et de partage de données universels a commencé à être sérieusement mise à mal. Dans plusieurs régions du monde, les autorités gouvernementales ont mis en place des mécanismes de marché pour un grand nombre de services d’intérêt public qui relevaient auparavant du secteur public. L’application de cette nouvelle approche commerciale aux activités des services météorologiques nationaux (SMN) financés par l’État a rapidement engendré une situation de concurrence et des antagonismes entre les SMN, qui jusqu’alors travaillaient en étroite coopération, et créé des tensions entre les secteurs public, privé et universitaire, autrefois complémentaires. Le plus grave, du point de vue de la fourniture des services météorologiques à l’échelon national, est que cette situation a introduit divers types de restrictions au libre‑échange des données et produits d’observation entre les Membres de l’OMM. Aussi, au début des années 1990, la coopération internationale en matière de météorologie traversait une véritable crise et l’OMM était au bord d’une guerre internationale des données (Zillman, 1997).
Le Onzième Congrès de 1991 et le Conseil exécutif de l’OMM, lors de ses sessions du début des années 1990, ont tenté d’apporter des réponses en créant de nouveaux concepts tels que les services météorologiques «de base» et «spéciaux», mais des fractures profondes sont apparues au sein du Conseil exécutif. Certains Membres étaient favorables au maintien du libre‑échange, tandis que d’autres penchaient pour la marchandisation des données météorologiques et la commercialisation généralisée des services météorologiques – ou ne voyaient pas de moyen politiquement viable de les éviter. Un groupe de travail du Conseil exécutif a lutté pour obtenir un consensus suffisant sur la direction à suivre et pouvoir présenter au Congrès de 1995 un cadre d’action qui empêcherait la guerre mondiale des données tant redoutée. Ce plan envisageait plusieurs compromis possibles, mais aucun ne permettait de combler le fossé philosophique qui était en train de se creuser au sein de la communauté de l’OMM.
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Douzième Congrès météorologique mondial, 1995 (de gauche à droite): M. A. S. Zaitsev, Sous-Secrétaire général; M. J. W. Zillman, Premier Vice-Président; M. Zou Jingmeng, Président; M. G.O.P. Obasi, Secrétaire général; et M. M.J.P. Jarraud, Secrétaire général adjoint (OMM/Bianco). |
Lors de l’ouverture du Douzième Congrès le 30 mai 1995, la question de l’échange des données a été transmise presque immédiatement à un sous-groupe ouvert indépendant. Pendant les premières semaines du Congrès, ce groupe a travaillé jusque tard dans la nuit pour tenter d’échafauder un consensus sur les éléments essentiels d’une solution. Certains pays étaient extrêmement sensibles au choix des principes de base à inclure dans les éventuelles résolutions du Congrès et à l’énoncé précis de ces résolutions. La plupart des représentants permanents ont soupesé minutieusement les conséquences de chacune des propositions pour leurs propres SMN, à la lumière des conflits qui opposaient ces derniers aux SMN des pays voisins ou au secteur privé ou universitaire national sur la question de l’échange des données. À un certain stade, les participants se sont presque résignés à ce que les débats et les négociations n’aillent pas à leur terme par manque de temps, et à ce que le Douzième Congrès marque la fin de l’échange international libre et gratuit de données qui sous-tendait la coopération mondiale et la prestation des services météorologiques nationaux depuis plus d’un siècle.
Finalement, à mesure que le temps passait et que la lassitude commençait à gagner les délégations, le groupe a réuni un projet de résolution unique sur la politique et la pratique, assorti de quatre annexes, dans un document «rose» (resté dans la mémoire des personnes qui étaient présentes comme le document «Pink 64») qu’il a soumis à son Comité de travail de tutelle sans débat, pour examen direct en séance plénière. Lorsque le document Pink 64 a été présenté en séance plénière dans l’après-midi du 21 juin, sous la présidence de M. Zou Jingmeng, l’atmosphère était électrique. Au moment où le Président a donné la parole aux délégations, chacun a cherché du regard laquelle allait lever la main pour rompre le fragile consensus qui s’était créé autour du projet de résolution. Aucune ne s’est manifestée. Soudain, alors que le Président venait d’abattre son marteau pour déclarer la résolution adoptée et que les délégués se levaient pour applaudir, la Nouvelle-Zélande (M. Neil Gordon) a demandé la parole, mais c’était trop tard. Quand les applaudissements ont fini par se taire, M. Gordon a pris le micro, non pas pour contester la résolution ou doucher l’euphorie de l’assemblée suite à son adoption, mais pour annoncer, dans un élan fantasque, qu’il allait offrir des bouteilles de vin néo-zélandais à plusieurs des principaux protagonistes de ce débat qui, depuis plusieurs années, semait la discorde.
Le sentiment de soulagement dans l’assemblée réunie était immense. Sans réellement comprendre tous les tenants et aboutissants de la résolution qu’il avait adoptée, le Congrès reconnaissait que la communauté météorologique internationale était à nouveau unie et qu’elle avait rétabli «l’échange international libre et gratuit de données» en tant que principe politique fondamental de la coopération internationale établie par le biais de l’OMM. Lors des festivités organisées dans la soirée, chacun s’est accordé à reconnaître que l’OMM ne devait plus jamais se retrouver dans pareille situation, qui l’avait presque menée au désastre.
La résolution 40 était composée de deux pages de texte et trois pages d’annexes. Son idée force était la réaffirmation univoque de la prééminence de l’échange international libre et gratuit en tant que principe fondamental de l’OMM, couplée à une nouvelle distinction entre ce que l’on appellerait plus tard les données et produits «fondamentaux», d’une part, et «supplémentaires», d’autre part. L’énoncé de politique était le suivant: «L’Organisation météorologique mondiale, dont les compétences scientifiques et techniques sont de plus en plus sollicitées, s’engage à élargir et à renforcer l’échange international, libre et gratuit, des données et des produits météorologiques et connexes, faisant de cette volonté un principe fondamental de l’Organisation.»
Le texte d’accompagnement définissait le concept «libre et gratuit» et décrivait la distinction cruciale entre données fondamentales et données supplémentaires par le biais de trois courtes déclarations expliquant aux Membres comment ils devaient, en pratique, traiter différents types et catégories de données. Les annexes donnaient des lignes directrices importantes, quoique quelque peu ambiguës, sur différents aspects des relations commerciales entre les SMN et les relations entre les SMN et le secteur privé. Les délégations sont rentrées dans leur pays, fières d’avoir sauvé la coopération internationale établie par le biais de l’OMM. Cependant, il leur restait de redoutables défis à relever concernant l’interprétation et la mise en œuvre de la résolution 40.
Une grande partie de la décennie qui a suivi a été consacrée à clarifier et mettre en place la résolution, puis à étendre progressivement le concept fondamental d’échange libre et gratuit à l’échange des données hydrologiques et océanographiques connexes. La résolution a également trouvé sa place dans la conception du Système mondial d’observation du climat et de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, et a en partie inspiré la Déclaration de Genève du Treizième Congrès en 1999. Plus tard, elle a guidé l’élaboration des politiques en matière de données du Système mondial des systèmes d’observation de la Terre.
Malheureusement, bon nombre des intervenants qui avaient pris activement part aux travaux de 1995 ont renoncé à essayer de transposer l’essentiel de la résolution 40 dans la Convention de l’OMM, de crainte de rouvrir le débat sur la question clé de l’échange gratuit des données. Peu à peu, la coopération internationale revenant à une situation proche de la stabilité qui avait marqué son âge d’or (Zillman, 2018), la génération de la résolution 40 s’est effacée de la scène et les traumatismes des années 1990 sont largement tombés dans l’oubli.
Aujourd’hui, alors que de nouvelles tensions se font jour autour de l’échange international des données (Blum, 2019) et que la nouvelle Déclaration de Genève issue du Dix-huitième Congrès tenu en 2019 appelle à de nouvelles initiatives pour renforcer la communauté météorologique mondiale, le moment semble choisi pour revenir sur certaines questions abordées lors de «l’aventure» de la résolution 40 et sur les enseignements qui en ont été tirés.
Étant l’un de ceux qui ont survécu aux traumatismes de cette période, je persiste à croire que la philosophie de base de la résolution 40 demeure cruciale pour l’efficacité et la stabilité des partenariats en mutation entre le secteur public, le secteur privé, les milieux universitaires et les médias, partenariats déterminants pour le bon fonctionnement du système mondial intégré de prestation de services météorologiques et climatologiques dans chaque pays. Je suis également convaincu que, compte tenu du caractère de bien éminemment public de la plupart des services publics de prévision, d’alerte et d’information essentiels, la mise à disposition volontaire et fondée sur la coopération des infrastructures météorologiques mondiales nécessaires est une responsabilité primordiale des gouvernements nationaux, et que l’échange international, libre et gratuit des données et des produits demeurera un impératif mondial pour la météorologie au XXIe siècle.
Une brochure plus détaillée sur l’histoire de la résolution 40 sera publiée en 2020.
Références
Bautista Pérez, M., 1996: Résolution 40 (Cg-XII) – Politique et pratique adoptées par l’OMM pour l’échange de données et de produits météorologiques et connexes et principes directeurs applicables aux relations entre partenaires en matière de commercialisation des services météorologiques. Bulletin de l’OMM, 45(1):24–29.
Blum, A., 2019: Weather wars: is forecasting a common good or a commodity? Time, 8 juillet 2019, 22–26.
Daniel, H., 1973: Cent ans de coopération internationale en météorologie (1873-1973). Bulletin de l’OMM, XXII(3):172–219.
Davies, D.A., 1990: Forty Years of progress and Achievement: A Historical Review of WMO (OMM-N° 721). Genève, Organisation météorologique mondiale.
Zillman, J.W., 1997: Atmospheric science and public policy. Science, 276:1084–1087.
———, 2018: International cooperation in meteorology, part 2: the golden years and their legacy. Weather, 73(11):341–347.
Auteur
John Zillman, Représentant permanent de l’Australie auprès de l’OMM (1979–2004); Président de l’OMM (1995–2003)