Revues après action – Tirer des leçons de l’expérience pour améliorer les systèmes et les partenariats et établir des liens avec le financement
- Author(s):
- Tom Evans, Mussa Mustafa et Anne-Claire Fontan

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Le cyclone tropical Idai a été la tempête la plus coûteuse et la plus meurtrière enregistrée à ce jour dans le sud du bassin de l’océan Indien, et l’un des cyclones tropicaux les plus destructeurs jamais vus en Afrique et dans l’hémisphère Sud. Ce cyclone d’une durée particulièrement longue a touché terre à Beira, au Mozambique, le 14 mars 2019 (voir la figure 1). Les pluies abondantes et les vents violents qui l’ont accompagné ont provoqué des crues éclair et des destructions massives de biens et de récoltes, plongeant la région dans une crise humanitaire (voir la figure 2). Le cyclone a été surveillé 24 heures sur 24. Des prévisions de sa trajectoire et de son intensité ont été établies et des alertes précoces diffusées en temps opportun. Dans le cadre de l’évaluation des besoins après une catastrophe conduite au Mozambique, il a été estimé néanmoins que le cyclone avait fait 1 600 blessés et touché 1,8 million de personnes3 . En outre, les dégâts totaux ont été estimés à 1,4 milliard de dollars É.-U. et le coût du relèvement et de la reconstruction à 2,9 milliards de dollars É.-U. Comme c’est la pratique habituelle avec les systèmes d’alerte précoce, un examen s’imposait pour déterminer ce qu’il convenait d’améliorer.
En mai 2019, l’OMM a donc réalisé un examen a posteriori (AAR) du fonctionnement du système d’alerte précoce, dans le but de tirer des enseignements utiles d’Idai en prévision du prochain phénomène extrême susceptible de mettre des vies en danger. Cette revue s’est intéressée spécifiquement aux exigences et aux capacités du Service météorologique et hydrologique national (SMHN) ainsi qu’à leur coordination avec l’autorité nationale de gestion des catastrophes, dans l’optique de disposer d’un Système d’alerte précoce multidangers (MHEWS) de bout en bout dans le contexte de la gestion des catastrophes. L’AAR concernant Idai offre un bon exemple de cette pratique et nous aide à comprendre en quoi elle peut faciliter l’identification des carences structurelles et des manques de capacités, l’apprentissage par l’expérience, l’amélioration des partenariats et la détermination précise des besoins financiers.
L’AAR appliqué à un phénomène météorologique
D’une certaine manière, l’AAR est un exercice tourné vers la prochaine catastrophe. Lors de ce processus, les organismes, les partenaires, les parties prenantes et les utilisateurs finals se rassemblent pour discuter des actions entreprises (ou de l’absence d’action), de la réception des alertes, de l’application des connaissances locales et de la confiance de la population dans l’autorité qui a émis les alertes.
L’AAR passe en revue les objectifs spécifiques et les champs d’activité de toutes les personnes participant aux services d’urgence et les mesures prises en réponse à l’urgence, afin de pointer les meilleures pratiques, les lacunes, les leçons apprises et les domaines à améliorer. Elle offre une approche transsectorielle qui permet aux parties prenantes de réfléchir à leurs expériences et à la façon dont elles perçoivent les interventions, afin d’examiner et d’évaluer systématiquement et collectivement ce qui a et n’a pas fonctionné, d’identifier les raisons de ces succès et échecs et de trouver des solutions d’amélioration. Les avantages sont multiples. Pour les parties prenantes à l’approche transsectorielle des situations d’urgence, ils sont principalement au nombre de trois:
- L’AAR favorise l’apprentissage transsectoriel et renforce la confiance entre les parties prenantes.
- Il permet de dégager un consensus sur les suites à donner.
- Le rapport d’analyse peut être utilisé comme outil de plaidoyer pour obtenir un financement national ou un soutien financier ou technique de la part des partenaires.
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Les objectifs de l’AAR pour les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent être définis en fonction des quatre piliers décrits dans la publication «Les systèmes d’alerte précoce multidangers – liste de contrôle» (également en pdf):
- connaissance des risques de catastrophe
- détection, surveillance, analyse et prévision des aléas et de leurs conséquences possibles
- diffusion des alertes et communication
- capacités de préparation et d’intervention.
L’un des éléments primordiaux est l’évaluation des accords institutionnels au niveau national. L’évolution des politiques, de la législation et des cadres juridiques nationaux en matière de réduction des risques de catastrophe est propice à une meilleure reconnaissance du SMHN de la part du gouvernement et des parties prenantes, qui peut ouvrir la voie à des partenariats renforcés et donner accès à des ressources et des possibilités supplémentaires pour la fourniture de produits et de services.
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Renforcer la confiance des parties prenantes
Les ARR apportent des éléments de grande valeur dans les réunions avec les partenaires, les parties prenantes et les communautés locales. Au Mozambique, la mission de l’OMM a rencontré toute une série de partenaires aux niveaux régional et national – fournisseurs de prévisions et d’alertes, décideurs et utilisateurs finals – ainsi que des donateurs internationaux et des banques.
Les interactions avec les communautés vulnérables – les survivants à la catastrophe dans le cas présent – contribuent à renforcer la confiance, la compréhension et les connaissances. Les ARR font également apparaître des ressources jusqu’alors insoupçonnées, qui peuvent faciliter la préparation, la réaction et le rétablissement des communautés locales. Elles améliorent la compréhension de la situation locale et peuvent mettre au jour de nouvelles capacités de surveillance, par exemple des scientifiques amateurs qui sont perçus comme des observateurs de confiance dans la région. Ces scientifiques amateurs, également désignés par les termes d’observateurs du temps ou de surveillants des cours d’eau, peuvent communiquer avec les SMHN pour leur fournir des informations sur les conditions en temps réel et, ce faisant, améliorer les fonctions de détection, de vérification et de réaction rapide des systèmes d’alerte précoce.
Ces interactions avec les communautés locales renforcent la confiance: il n’y a rien de plus gratifiant que de réussir à créer un lien avec les gens. Ces liens peuvent aider à mieux comprendre comment les personnes en danger reçoivent les alertes axées sur les impacts et y réagissent. Les autorités gouvernementales acquièrent ainsi une idée plus précise de ce dont les communautés locales ont besoin pour réagir de façon appropriée. Elles peuvent mieux comprendre les impacts locaux possibles et adapter en conséquence leurs alertes à la communauté. Dans le cas d’Idai, la communauté a tardé à réagir, car les zones touchées n’avaient pas connu d’activité cyclonique depuis 2000 et la magnitude du cyclone dépassait largement celle de tous les cyclones antérieurs.
En outre, les relations réciproques avec les parties prenantes des organisations nationales et provinciales de gestion des catastrophes, les réseaux humanitaires et autres entités permettent d’apporter aux personnes vulnérables des réponses et une aide plus efficaces et plus rapides. L’objectif est d’améliorer la méthode de collecte des données sur les personnes et les sites qui pourraient être touchés par un phénomène météorologique extrême tel qu’un cyclone tropical. D’après les estimations du plan annuel de secours, document officiel du Gouvernement du Mozambique qui sert à guider le processus de coordination, d’intervention et de gestion des phénomènes extrêmes, 136 382 personnes pourraient être touchées par un phénomène météorologique extrême. La PDNA du Mozambique et l’ARR effectué par l’OMM ont montré que ce nombre avait été sous-estimé d’un facteur de près de 1/10, le rapport annuel sur la mise en œuvre du plan de secours indiquant que 1 459 941 personnes avaient été touchées dans tout juste quatre provinces – Sofala, Zambezia, Manica et Tete.
Une expérience d’apprentissage
L’ARR peut aider à dessiner une ambition collective d’amélioration des services et d’atténuation des risques de catastrophe futurs, pour peu que les leçons apprises soient incorporées dans les procédures normalisées d’exploitation et la pratique. Pour produire des résultats en profondeur, les procédures normalisées d’exploitation et la pratique (exercices) doivent être inclusives. Oublier un partenaire, une partie prenante et/ou un groupe d’utilisateurs finals, c’est courir le risque de laisser un trou dans la cuirasse et d’apporter des réponses inappropriées aux catastrophes à venir.
Le cyclone tropical Idai a fait l’objet d’une surveillance continue: l’ARR indique que, «l’incertitude des prévisions de trajectoire s’était amoindrie et se situait bien en deçà des normes habituelles, et les prévisions montraient clairement qu’Idai allait frapper la région de Beira.» Cependant, l’équipe de l’ARR a découvert plusieurs «trous dans la cuirasse», touchant à la diffusion dans les temps, à la réception et à la compréhension du comportement adéquat à adopter. Une application inclusive des suggestions formulées par le rapport, renforcée par les relations qui ont été nouées avec les communautés touchées par Idai, affermira la détermination de la population à réagir correctement aux alertes axées sur les impacts que leur adresseront les autorités en temps voulu.
La plupart des rapports de l’ARR concernant des phénomènes météorologiques mettent en évidence deux domaines d’action immédiate: la communication/collaboration et la détermination des possibilités de financement des améliorations. Ces deux domaines peuvent être intégrés dans les procédures normalisées d’exploitation et les exercices, et concernent généralement les entités gouvernementales, les partenaires et les utilisateurs finals,
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Actions de suivi – l’utilité des partenariats
En collaborant avec les parties prenantes, l’ARR crée un consensus autour des mesures à adopter immédiatement, à moyen et à long terme pour atténuer les impacts et améliorer les réponses qui seront apportées lors du prochain phénomène extrême. La collaboration engendre un sentiment d’appropriation qui contribue à garantir le passage de l’intention à l’action – certaines mesures ne pouvant être pleinement mises en œuvre que s’il existe une relation de confiance étroite entre les partenaires.
Les ARR effectués après un phénomène météorologique sont nombreux à souligner la nécessité d’établir des partenariats pour renforcer les capacités des «services de prévision et d’alerte axées sur les impacts», qui recouvrent la prévision, l’évaluation des risques associés, la diffusion des alertes et l’acheminement des messages. En général, ces actions nécessitent une collaboration étroite avec les organismes d’intervention en cas de catastrophe et de protection civile pour être dûment exécutées. Ces partenariats peuvent s’appuyer sur les procédures normalisées d’exploitation susmentionnées, qui définissent précisément les rôles et les mécanismes de coordination et, ce qui est tout aussi important, sur des exercices réguliers. Des partenariats peut également être noués avec le monde universitaire, pour fixer le cadre technique et scientifique de base nécessaire aux prévisionnistes en météorologie. Un jumelage peut être établi avec un SMHN plus avancé, pour bénéficier de formations sur l’utilisation opérationnelle des outils, des orientations et des produits. Dans l’ARR post-Idai, les actions de suivi et le budget à allouer en conséquence à l’Institut national de la météorologie (NIM) et à la Direction nationale de la gestion des ressources en eau (DNGRH) ont été définis en fonction du périmètre préalablement déterminé pour l’évaluation des capacités dans un environnement de MHEWS de bout en bout, comme le montre la figure 7.
L’équipe de l’ARR post-Idai a calculé que 27 millions de dollars É.-U. seraient nécessaires pour combler les lacunes en matière d’observation du système Terre et les déficits de capacités recensés. Ces financements seraient affectés à des formations, à la mise à niveau des équipements et des systèmes, à l’installation de systèmes de détection supplémentaires, à des travaux de planification et à la mise en place d’infrastructures solides pour les autorités chargées du logement. Le rapport de l’OMM souligne la nécessité de se préparer et de réagir de façon appropriée aux impacts anticipés des aléas naturels, afin d’atténuer les risques de catastrophe.
Établir des liens avec le financement
Lorsqu’un gouvernement décide de lancer un ARR, les moyens financiers sont l’un des tout premiers paramètres à prendre en considération. De nombreux pays ont les capacités voulues pour financer des ARR et veiller à ce que leurs recommandations soient appliquées dans le cadre des plans de redressement et des processus de planification nationale existants. C’est particulièrement le cas dans les pays où la conduite systématique de ARR est reconnue comme une nécessité dans les plans météorologiques et hydrologiques nationaux et les procédures opérationnelles connexes. Dans un certain nombre de pays en développement, l’aide financière des partenaires pour le développement sera indispensable pour pouvoir conduire des ARR – à plus forte raison lorsqu’ils nécessitent de faire appel à des experts internationaux.
Le deuxième paramètre à prendre en compte est l’amélioration de la préparation financière aux catastrophes, qui nécessite d’améliorer la disponibilité, la prévisibilité et l’efficacité des ressources ex ante pour la préparation et la réponse aux catastrophes.
Troisièmement, il est nécessaire que les mesures de suivi soient budgétisées, comme le montre la figure 7, et qu’un plan d’activité soit préparé, de manière à pouvoir obtenir plus facilement un appui financier de l’État ou des donateurs. Le plan d’activité doit permettre aux donateurs de comprendre les besoins et l’usage qui sera fait des fonds. Les donateurs voient d’un œil favorable les approches dans lesquelles plusieurs entités gouvernementales se réunissent pour formuler une proposition commune complète, car ils ont ainsi l’assurance qu’il n’y a pas de doublons dans les financements.
Dans le sillage d’Idai, le NIM, la DNGRH et l’Université Eduardo Mondlane (UEM) ont soumis au Fonds vert pour le climat (FVC), par l’intermédiaire de l’Autorité nationale désignée, une proposition conjointe visant à «établir un système intégré d’alertes hydrométéorologiques précoces pour renforcer la résilience climatique au Mozambique». Cette proposition souligne la vulnérabilité du pays aux phénomènes climatiques, ses difficultés économiques actuelles et l’absence de MHEWS efficaces. Elle reconnaît à sa juste valeur le soutien fourni par les donateurs dans les situations d’urgence, tout en faisant valoir que ces fonds sont affectés en majeure partie à la réponse et rarement à la préparation. Par conséquent, le financement sollicité auprès du FVC servira à établir des MHEWS améliorés, ce qui permettra de planifier et gérer correctement les risques de catastrophe, avec à la clé une réduction des dépenses publiques et un accroissement des capacités institutionnelles et humaines.
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À savoir – L’Équipe d’experts pour les orientations techniques des systèmes d’alerte précoce multidangers (ET-MTG) est en train d’élaborer des documents d’orientation complets à l’intention des SMHN. Ce guide sera utile aux personnes qui souhaitent établir ou améliorer les MHEWS et les activités de gestion des risques de catastrophe à l’échelon national. Il est conçu pour répondre aux exigences d’efficacité des MHEWS:
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Amélioration continue
L’examen a posteriori n’est qu’une des étapes importantes du cycle d’amélioration continue des MHEWS. Le fil conducteur de toutes ces étapes est la préparation et la collaboration. Plus la préparation est inclusive et étendue, plus les chances de succès sont grandes. L’AAR donne un aperçu de la composante «préparation» d’un MHEWS efficace et peut aider à renforcer les relations et les procédures normalisées d’exploitation. Il est essentiel de lier les améliorations au financement pour garantir la bonne mise en œuvre des recommandations. Et, surtout, il faut appliquer la méthode KISS «Keep It Simple for Success» (le secret de la réussite réside dans la simplicité).
Footnotes
1 Évaluation conduite par le gouvernement avec l’appui d’un partenariat mondial composé de la Banque mondiale, du système des Nations Unies et de l’Union européenne
Auteurs
Par Tom Evans, Directeur adjoint, région Pacifique, NOAA/National Weather Service, États-Unis d’Amérique, Mussa Mustafa, Directeur général adjoint, Service météorologique du Mozambique, et Anne-Claire Fontan, Secrétariat de l’OMM
References
WMO, 2019: Reducing vulnerability to extreme hydro-meteorological hazards in Mozambique after Cyclone Idai. Geneva.
GFDRR, 2019: Mozambique Cyclone Idai Post-Disaster Needs Assessment: Full Report. Geneva.
World Health Organization (WHO), 2019. Guidance for after action review (AAR). Geneva.
WHO, 2019:The global practice of after action review: a systematic review of literature. Geneva.
US National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), 2019: Reporting on the State of the Climate in 2019.
WMO, 2020: State of the Climate in Africa 2019. (WMO-No. 1253), Geneva.
World Bank, (Working Paper): Weathering the Change: How to Improve Hydromet Services in Developing Countries
WMO, 2019: Multi-hazard Early Warning Systems: A Checklist (Outcome of the first Multi-hazard Early Warning Conference)
WMO, 2015: WMO Guidelines on Multi-hazard Impact-based Forecast and Warning Services – Part I. (WMO-No. 1150), Geneva.
WMO, 2021: WMO Guidelines on Multi-hazard Impact-based Forecast and Warning Services – Part II. (WMO-No. 1150)