La climatologie au service des professionnels de l’eau - Perspectives

par Xavier Maitrerobert2
AquaFed, la Fédération internationale des opérateurs privés de services d’eau, est une organisation qui représente des sociétés privées de services d’eau et d’assainissement placées sous l’autorité des pouvoirs publics. Elle rassemble des sociétés locales et internationales de toutes tailles établies dans une quarantaine de pays. Les membres d’AquaFed desservent la majorité des personnes qui, dans le monde, sont approvisionnées en eau par des entreprises privées, mandatées et réglementées par l’État. Certains fournissent quotidiennement de l’eau et des services d’assainissement à quelques milliers de personnes, d’autres à des centaines de milliers, d’autres encore à des millions, voire des dizaines de millions.
Les membres d’AquaFed gèrent les services publics d’eau potable et d’assainissement qui leur ont été confiés sous contrat de partenariat public-privé ou sous licence. Ils agissent sur instructions des pouvoirs publics et sous leur contrôle. Dit plus simplement, les opérateurs privés sont les instruments de mise en oeuvre des politiques publiques dans le domaine de l’eau. Cette situation n’est pas exceptionnelle. Nombre de gouvernements et d’administrations régionales ou locales ont cherché à mettre en place des partenariats public-privé dans le secteur de la construction et/ou de la gestion de grands projets. Cette pratique est par exemple courante dans le secteur de l’énergie pour ce qui concerne la fourniture d’électricité aux populations.
Au niveau mondial, AquaFed a pour mission d’établir un lien entre les opérateurs privés de services d’eau, les institutions publiques internationales et les organisations représentant la société civile. À ces fins, AquaFed se conçoit comme une courroie de transmission entre les fournisseurs privés d’eau et de services de traitement des eaux usées et les acteurs internationaux et promeut l’échange d’expertise entre ces deux sphères. Son travail consiste en partie à expliquer aux autorités publiques les différentes formes de participation du secteur privé auxquelles elles peuvent avoir recours.
AquaFed a reçu l’agrément de la Commission européenne (Union européenne) et du Conseil économique et social de l’Organisation des Nations Unies.
Exploitation des services publics de l’eau
La participation du secteur privé à la fourniture de services publics d’eau et d’assainissement au niveau municipal concerne moins de 10 % de la population mondiale, si l’on s’en tient aux arrangements officiels. Toutefois, un important secteur d’activité informel a fleuri dans les pays en développement dépourvus de tous services publics dans ce domaine. Par exemple, il a été établi qu’en Afrique, jusqu’à 40 % de la population urbaine était alimentée en eau par de petits opérateurs privés.
Où qu’ils se trouvent, les prestataires publics et privés de services d’eau sont confrontés aux mêmes contraintes opérationnelles, techniques, économiques et financières. Il ne faut pas oublier que 10 % seulement de l’eau prélevée3 dans le monde est utilisée pour fournir des services publics d’eau et d’assainissement. La plus grande part va en fait à l’agriculture, avec 70 % du volume total.
Besoins en données météorologiques selon l’horizon considéré
Les opérateurs de services d’eau ainsi que les pouvoirs publics et les organes de réglementation doivent pouvoir disposer d’informations et de données météorologiques fiables pour remplir leur mission et proposer à la population des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement de bonne qualité. En la matière, les informations utiles diffèrent selon l’horizon envisagé.
À moyen ou court terme — c’est à dire à échéance d’une année, d’une saison, d’une semaine ou d’un jour, voire en temps réel —, les perspectives et les besoins correspondants en matière de données météorologiques diffèrent:
• Année et saison: les données météorologiques servent de base à l’établissement des budgets et, plus important encore, à l’analyse d’éventuelles fluctuations des recettes. On s’appuie également sur ce type de données pour prévoir le niveau des nappes phréatiques et des eaux souterraines et de surface et fournir des informations utiles pour la gestion saisonnière des réservoirs d’eau douce non traitée.
• Semaine et jour: Le temps (pluie et température) a un impact immédiat sur la demande d’eau. Les prévisions concernant les épisodes de très fortes pluies sont essentielles pour planifier les éventuelles conséquences sur les réseaux d’égouts en ville et évaluer le risque d’inondation au niveau local. Les prévisions de gel et de dégel sont exploitées pour mettre en alerte les équipes d’intervention sur le terrain qui seront amenées à gérer les ruptures de canalisations que de telles conditions météorologiques peuvent causer. Cette information est indispensable si l’on veut anticiper les éventuels problèmes et mieux se préparer à y faire face.
• Temps réel: Les systèmes de type SCADA (Supervisory Control and Data Acquisition: système d’acquisition et de contrôle de données)4 sont de plus en plus souvent adoptés par les grands services urbains d’approvisionnement en eau et d’assainissement pour gérer les réseaux d’évacuation des eaux. Ces systèmes ont directement accès aux informations météorologiques fournies par les radars des bureaux météorologiques locaux pour suivre avec précision les fortes précipitations. Le système SCADA permet de mieux gérer les risques d’inondation et de pollution en émettant des signaux d’alerte précoce destinés à avertir la société civile des risques encourus. Il permet ainsi de gérer de manière optimale les réserves d’eau et de déclencher les interventions sur site. La plupart des systèmes SCADA s’appuient sur la modélisation hydraulique des réseaux d’évacuation.
Équilibrer l’offre et la demande à plus longue échéance
La prévoyance à long terme (aptitude à analyser des données et des prévisions dans des conditions d’incertitude) joue un rôle essentiel si l’on veut correctement planifier les investissements dans le domaine de l’eau, étant donné la durée de vie et les coûts initiaux des actifs en jeu.
À échéance supérieure à dix ans, il est du devoir des opérateurs de services d’eau et des autorités de s’assurer que la demande d’eau potable dans le secteur desservi peut être satisfaite par les infrastructures qu’ils gèrent (puits, stations de traitement des eaux et réseaux de distribution). Ce processus, connu sous le nom d’équilibre entre l’offre et la demande, s’applique également aux services d’assainissement. Cet équilibre, qui est atteint dans la plupart des pays développés, doit cependant être réévalué en permanence dans un monde en pleine évolution touché, entre autres, par les fluctuations économiques et les évolutions techniques du côté de la demande et par les changements environnementaux et écologiques du côté de l’offre.
Par exemple, la pollution de la nappe phréatique peut avoir une incidence sur le volume des ressources en eau disponibles pour alimenter la population en eau potable. Certaines pollutions peuvent être d’origine humaine, par exemple industrielle ou agricole. Il convient de les mettre sous surveillance dès lors qu’elles ont été détectées. D’autres peuvent être la conséquence du changement climatique, par exemple l’intrusion d’eau salée due à l’élévation du niveau de la mer ou l’épuisement d’une nappe aquifère locale en raison de prélèvements excessifs. Les modèles utilisés dans le processus de décision des services des eaux et des organismes de réglementation prennent en compte tous ces paramètres. Ces organismes peuvent alors fonder leurs décisions sur des prévisions scientifiques quant aux ressources en eau exploitables dans des conditions moyennes ou extrêmes, en tenant compte de tous les usages possibles.
Facteurs liés à l’offre ayant une incidence sur les services municipaux d’approvisionnement en eau • Politiques en matière d’infrastructures: barrages, transfert d’eau, ouvrages de stockage • Concurrence en termes d’exploitation: octroi de nouveaux permis de prélèvement au risque d’épuiser les nappes aquifères • Pollution des aquifères ou des sources: polluants d’origine humaine (industrielle ou agricole) • Régimes pluviométriques ayant une incidence sur les aquifères, les eaux souterraines ou de surface, la température, le changement climatique • L’intrusion d’eau salée provoquée par l’élévation du niveau de la mer et/ou l’épuisement des aquifères locaux en raison de prélèvements excessifs • Politiques urbaines et politiques d’aménagement: drainage des zones humides, amélioration de l’écoulement des eaux de pluie, recharge plus lente des nappes souterraines • Contraintes écologiques |
Facteurs liés à la demande ayant une incidence sur les services municipaux d’approvisionnement en eau • Consommation par habitant • Accès à l’eau (branchement sur le réseau municipal) • Fiabilité du réseau (fuites, état des installations, etc) et état des appareils et équipements pour l’eau • Questions plus abstraites telles que l’éducation, les comportements, l’impact des messages sur la rareté de l’eau dans les médias • Politiques urbaines: densité de population, tendances démographiques, urbanisation, réutilisation, récupération des eaux de pluie • Tarif ou prix de l’eau, notamment tarif des services d’assainissement souvent facturés avec l’eau • Température • Régimes pluviométriques (par exemple la demande liée à l’arrosage des jardins est plus forte par temps sec) |
L’expérience anglaise dans le secteur de l’eau, réglementé et bien documenté, démontre clairement que l’on a tout avantage à prendre en compte les facteurs ayant une incidence sur les courbes de l’offre et de la demande et à s’y adapter. Les autorités ont optimisé les investissements et minimisé les coûts en s’assurant que les deux courbes convergent étroitement. Les investissements sont prévus en fonction des options les moins coûteuses, tant du côté de l’offre que du côté de la demande.
En Angleterre et au pays de Galles, toutes les sociétés privées d’approvisionnement en eau doivent obligatoirement mettre en place des plans de gestion des ressources en eau et veiller à ce que l’équilibre entre l’offre et la demande soit respecté. Il s’agit d’une exigence tant de l’Agence pour l’environnement que de l’Autorité de réglementation des services des eaux, et les plans doivent être révisés au fur et à mesure à un horizon mobile de 25 ans, conformément au processus de révision périodique (tous les cinq ans) réglementaire et détaillée des tarifs de l’eau. Les méthodes claires et précises mises en oeuvre pour évaluer les deux éléments de l’équilibre peuvent s’adapter pour tenir compte de facteurs divers, tels que les marges de sécurité ou les coupures d’approvisionnement, conformément aux cadres établis par les professionnels du secteur en accord avec les organes de réglementation.
Le cadre méthodologique mis en place prend pleinement en compte l’ensemble des facteurs liés au changement climatique et donne des orientations en matière d’évaluation afin de pouvoir faire face aux phénomènes moyens et extrêmes et au risque de pénurie d’eau.
Conclusion
La gestion et l’exploitation des services d’approvisionnement en eau exigent la mise en place d’une collaboration étroite avec les fournisseurs d’informations météorologiques aux niveaux local, régional et mondial. AquaFed estime que l’OMM a un rôle important à jouer dans l’amélioration du niveau de service offert aux populations par les services publics d’approvisionnement en eau et d’assainissement à court et long terme.
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1 Article extrait de la communication présentée lors du forum OMM-secteur privé qui s’est tenu en 2012 à Genève lors de la Journée météorologique mondiale.
2 Xavier Maitrerobert est économiste et ingénieur, ancien conseiller principal au sein de l’équipe regroupant les professionnels de l’eau d’AquaFedAquaFed.
3 Captage d’eau, soutirage d’eau ou prélèvement d’eaux souterraines: processus visant à prélever de l’eau de manière temporaire ou permanente, quelle que soit la source.
4 Les membres d’AquaFed ont mis au point des outils de type SCADA: on peut citer le logiciel RAMSES développé par Suez Environnement et utilisé pour gérer le réseau d’égouts de Bordeaux, France, (voir: http://www.lyonnaise-des-eaux.fr/collectivites/enjeux-leau-et-lassainissement/optimiser-gerer-anticiper) et un outil similaire de contrôle en temps réel mis au point par Veolia Water – Kruger qui fait appel à un radar météorologique (see: web.sbe.hw.ac.uk/staffprofiles/bdgsa/temp/12th%20ICUD/PDF/PAP005239.pdf et web.sbe.hw.ac.uk/staffprofiles/bdgsa/temp/12th%20ICUD/PDF/PAP005541.pdf)