Renforcer le soutien aux Nations Unies et aux partenaires du secteur humanitaire pour une action anticipée

21 mars 2022
  • Author(s):
  • Alicia Pache, Pamela Probst, Isabelle Bey, Thomas Röösli, David N. Bresch, Andrew Kruczkiewicz, Ege Seçkin, Ruth Hanau Santini, Kara Devonna Siahaan, Lydia Cumiskey, Gantsetseg Gantulga et Gavin Iley

L’Événement humanitaire de haut niveau sur l’action anticipée: un engagement à agir en amont des crises, qui s’est tenu à New York en septembre 2021, a réuni des hauts responsables des Nations Unies, des représentants d’organismes humanitaires et donateurs, ainsi que des responsables gouvernementaux. Il a exhorté tout le monde à «agir en amont des catastrophes», pour atténuer et réduire les impacts et ainsi sauver des vies et des moyens de subsistance. Tous les participants ont reconnu l’importance vitale de l’action anticipée.

L’éminent Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030 évoque clairement, dans l’objectif G, l’importance du socle que forment les systèmes d’alerte précoce pour améliorer nettement, d’ici à 2030, l’accès des populations aux dispositifs d’alerte précoce multidangers et aux informations et évaluations relatives aux risques de catastrophe. En 2015, le Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes (UNISDR, puis UNDRR) avait élaboré une première Liste de contrôle relative aux systèmes d’alerte précoce, qui énonçait les éléments clés nécessaires à l’élaboration de systèmes d’alerte précoce centrés sur les personnes. Cette liste de contrôle a été mise à jour en 2018, grâce aux efforts conjoints de l’UNDRR et de l’OMM.

On pourrait faire valoir que les notions d’alerte précoce et d’action anticipée sont connues depuis de nombreuses années, si ce n’est des milliers d’années. De tout temps, les communautés se sont tournées vers la nature pour savoir quel «temps» il allait faire et prendre des dispositions en conséquence. C’est encore le cas aujourd’hui: les agriculteurs ou les populations autochtones s’efforcent de mobiliser toutes les connaissances locales importantes pour prévoir le temps qu’il fera dans les jours ou les heures à venir. Une étude des archives a révélé que certaines des premières prévisions météorologiques ont été élaborées après une catastrophe particulière. Au Royaume-Uni, par exemple, le premier avis de tempête a été émis après le naufrage du Royal Charter, qui a fait plus de 400 victimes.

Aujourd’hui, la communauté hydrométéorologique continue d’améliorer et de renforcer ses services en tirant les leçons de chacune des situations dans lesquelles elle a été amenée à intervenir. Un exemple est particulièrement révélateur à cet égard: celui du cyclone dévastateur qui s’est abattu en 1991 sur le Bangladesh, causant plusieurs dizaines de milliers de morts. Même si elle avait prévu le cyclone, la communauté hydrométéorologique en a retiré une leçon importante: les prévisions doivent être suivies d’actions. Suite à la catastrophe, les processus de prévision ont été repensés et couplés à des actions, jetant les bases du programme de préparation aux cyclones, qui contribue aujourd’hui à protéger les communautés vulnérables et à sauver de nombreuses vies chaque année. (Haque, C.E., 1997: Atmospheric hazards preparedness in Bangladesh: a study of warning, adjustments and recovery from the April 1991 cyclone, dans Earthquake and Atmospheric Hazards (pp. 181-202), Springer, Dordrecht)

Bangladesh1-USAF.jpegVillages et champs inondés, le lendemain du cyclone qui s’est abattu sur le Bangladesh en 1991. (Source: Sergent-chef Val Gempis/USAF.) Bangladesh2-USAF.jpegUn village dévasté entouré de champs inondés, près de trois semaines après le passage du cyclone. (Source: Aviatrice de 1re classe Cheryl Sanzi/USAF.)
Le cyclone de 1991 au Bangladesh a provoqué une onde de tempête de 6,1 mètres (20 pieds) qui a inondé le littoral. On estime qu’il a fait 138 866 morts et causé environ 1,7 milliard de dollars É.-U. (dollars É.-U. de 1991) de dégâts. Avant que le cyclone n’atteigne le rivage, entre 2 millions et 3 millions de personnes avaient été évacuées des côtes bangladaises selon les estimations. Selon une enquête menée par les centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) aux États-Unis d’Amérique, la principale raison pour laquelle davantage de personnes n’ont pas été évacuées est que la gravité du cyclone a été sous-estimée

Maintenant qu’elle a assimilé les principes de l’action anticipée et élaboré un ensemble d’outils pour les systèmes d’alerte précoce, où et comment la communauté hydrométéorologique soutient-elle les efforts des Nations Unies ainsi que ceux du secteur humanitaire actuellement? Comment les compétences des Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN) peuvent-elles être mises à profit pour stimuler les progrès en matière d’action anticipée? Enfin, comment les actions et décisions liées aux conditions climatiques et météorologiques dans le secteur humanitaire peuvent-elles contribuer à façonner les priorités futures de la communauté hydrométéorologique?

L’action anticipée – À l’échelle mondiale

Le Comité permanent interorganisations de l’ONU (CPI) est le forum de coordination humanitaire le plus ancien et de plus haut niveau du système des Nations Unies; il chapeaute la formulation des politiques, la détermination des priorités et la coordination des interventions en cas de crise. L’un des nombreux volets d’activité du mécanisme de prise de décision du CPI est le groupe «Risque, alerte précoce et préparation», composé de divers experts techniques de l’ensemble du système des Nations Unies et d’autres organisations humanitaires, qui évaluent les risques humanitaires potentiels ou en cours d’aggravation. En appui au CPI, l’OMM exploite les analyses des SMHN et les intègre aux discussions menées avec les météorologues de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui évaluent les risques hydrométéorologiques potentiels. Ces analyses sont ensuite combinées avec celles réalisées par d’autres secteurs pour guider les actions anticipées, la préparation, les opérations de plaidoyer ou des interventions spécifiques. Une fois achevées, ces évaluations multisectorielles sont communiquées aux hauts responsables du CPI et, par leur intermédiaire, aux coordonnateurs résidents et coordonnateurs de l’action humanitaire des Nations Unies dans les pays.

Le pouvoir de mobilisation du CPI prend également toute sa valeur en cas de menaces liées à La Niña ou El Niño: des procédures détaillées d’analyse et de participation des parties prenantes axées sur les impacts sont lancées dès que les prévisions de l’OMM et de l’Institut international de recherche sur le climat et la société (IRI) atteignent un seuil déterminé. Pour s’assurer que les décideurs chargés de déclencher une action anticipée s’il y a lieu reçoivent bien les informations dont ils ont besoin, des activités de sensibilisation sont menées en coordination avec les partenaires régionaux, y compris les experts des Forums régionaux sur l’évolution probable du climat de l’OMM.

L’OMM cherche désormais à renforcer et élargir ce soutien aux institutions du systèmes des Nations Unies et autres organismes humanitaires. Le mécanisme de coordination de l’OMM mettra à profit les importantes contributions des Membres de l’OMM pour offrir un soutien accru à l’action humanitaire. Une partie de ce travail bénéficie d’une aide généreuse de la Suisse, via MétéoSuisse. Dans la dernière partie de cet article, nous verrons comment MétéoSuisse collabore avec l’École polytechnique fédérale de Zurich pour mettre au point un prototype du mécanisme de coordination de l’OMM.

La FICR, figure de proue de l’action anticipée

La FICR est à l’avant-garde de l’action anticipée. Elle a derrière elle une longue histoire de mise en valeur des connaissances des sociétés civiles, des gouvernements et d’autres acteurs, utilisées pour construire des systèmes d’action anticipée hautement efficaces et efficients qui permettent de préparer et protéger les personnes exposées au risque. Gantsetseg Gantulga (FICR), Andrew Kruczkiewicz (FICR et IRI) et Lydia Cuminskey (Hub d’anticipation) décrivent ci-après un certain nombre d’initiatives d’action anticipée qui ont été couronnées de succès.

Dans la pratique, les actions anticipées sont conçues et mises en œuvre par les acteurs locaux. Pour le réseau de la Croix-Rouge et du CroissantRouge (CRCR), le personnel et les volontaires des Sociétés nationales travaillent au plus près des communautés qu’ils couvrent, voire font partie intégrante de ces communautés. À ce titre, ils ont à leur disposition des connaissances et des pratiques locales à l’avant-garde des interventions en cas de catastrophe et de crise. Depuis 2018, la FICR a établi un mécanisme de financement, l’«action basée sur les prévisions par le Fonds d’urgence pour les secours en cas de catastrophe (DREF)», pour permettre aux Sociétés nationales disposant de plans de travail préalablement approuvés, connus sous le nom de protocoles d’action précoce (PAP), d’entreprendre des actions anticipées.

Tout d’abord, les informations météorologiques précises, disponibles et accessibles fournies par les Membres de l’OMM et d’autres spécialistes dans les domaines considérés permettent de planifier les premières actions. Au Viet Nam, par exemple, l’Institut de météorologie, d’hydrologie et de changement climatique a réalisé une étude de laquelle il ressortait que la fréquence et la durée des vagues de chaleur avaient augmenté au cours des cinquante-huit dernières années et que cette hausse devrait se poursuivre. Dans le prolongement de cette étude, la Croix-Rouge vietnamienne a engagé un projet de financement fondé sur les prévisions qui a pour objet les vagues de chaleur à Hanoi et qui comporte un déclencheur à deux composantes fondé sur la valeur de l’indice de chaleur, avec un seuil fixé à 37 °C. Les premières actions ont consisté à établir des centres de refroidissement communautaires offrant un espace climatisé aux personnes vulnérables qui travaillent à l’extérieur et proposant de l’eau, du thé froid et des serviettes fraîches aux visiteurs.

En 2019, la Croix-Rouge équatorienne a obtenu l’approbation de son PAP pour les cendres volcaniques, lui donnant droit à un financement au titre de l’«action basée sur les prévisions par le DREF». Ce protocole vise à réduire les effets sur la santé des populations vulnérables et les dommages causés aux cultures et au bétail par l’exposition aux cendres volcaniques. Les volontaires locaux de la CRCR collaborent avec les habitants – notamment au travers d’activités de formation et de sensibilisation – pour que le PAP soit mis en œuvre jusqu’à sept jours avant une éruption potentielle; combinée au prépositionnement des fournitures essentielles, cette démarche permet aux communautés de prendre rapidement des mesures si les circonstances l’exigent. Le 21 septembre 2020, la Croix-Rouge équatorienne a activé son PAP pour les cendres volcaniques en réaction à l’augmentation significative du niveau d’activité éruptive du volcan Sangay. Quelques jours plus tard, la Société nationale est parvenue à intervenir en temps voulu auprès de 1 000 familles réparties dans sept communautés différentes, leur fournissant des kits de soin et de moyens de subsistance et une assistance en espèces, dans le respect des protocoles de protection contre le COVID-19.

https://wcr.ethz.ch/research/climada.htmlExercice d’entraînement en cas de cyclone tropical au Bangladesh. (Source: FICR.)

Au Bangladesh, un PAP pour les cyclones couvrant 13  districts côtiers faisant face à la mer a été approuvé en 2018. En mai 2020, lorsque le cyclone Amphan a franchi le seuil prédéfini d’impact à 30 heures, cet événement a déclenché un ensemble de protocoles d’information, de communication et d’alerte. Le franchissement de ce seuil signifiait que l’on disposait d’une fenêtre d’environ 30 heures pour atteindre les populations concernées et faire en sorte qu’elles puissent évacuer avant l’impact. Des actions précoces ont été mises en œuvre dans 10 districts et la Société nationale est parvenue àatteindre 36 000 personnes, à qui elle a fourni une aide à l’évacuation, de la nourriture, de l’eau et des services de premiers secours dans les centres d’évacuation. Il s’agit là d’un succès notable, puisque le plan initial prévoyait d’atteindre et de secourir 20 000 personnes.

Il est tout aussi important de renforcer les capacités des systèmes, politiques et stratégies de gestion des risques de catastrophe des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge locales pour rendre l’action anticipée possible. Nous pouvons citer à cet égard l’exemple du programme de financement fondé sur les prévisions mené au Maroc avec l’aide de la Croix-Rouge allemande.

Après avoir établi les prévisions pour l’action précoce, il était essentiel d’évaluer et de développer un plan d’action visant à renforcer l’état de préparation institutionnel global du Croissant-Rouge marocain. Pour cela, il a fallu élaborer une stratégie globale de gestion des risques de catastrophe dans laquelle les actions anticipées occupent une place à part entière, établir des systèmes d’approvisionnement au siège et dans les antennes, et former des volontaires des antennes aux systèmes communautaires d’alerte précoce pour une action précoce.

Pour que le modèle continue d’évoluer d’une approche fondée sur la réaction en cas d’urgence vers une action anticipée et proactive, une collaboration intersectorielle et pluridisciplinaire solide doit exister entre les secteurs universitaire, humanitaire et du développement. Comme l’indiquent ces exemples, il est essentiel que les institutions hydrométéorologiques nationales, les organismes de gestion des risques de catastrophe, les universités nationales et les Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge exercent un leadership au niveau national pour obtenir que l’action anticipée devienne la nouvelle norme et qu’elle soit déployée à plus grande échelle pour atteindre davantage de personnes exposées. Dans le cas où l’intégration de l’action anticipée dans les procédures opérationnelles habituelles des organisations est une étape cruciale qui doit être réalisée sans attendre, le renforcement des capacités au niveau national doit également poursuivre une ambition à plus long terme, pour faire émerger à l’avenir de nouvelles générations de personnel spécialiste de l’action anticipée – dans les domaines de la science, de la politique et de l’action sur le terrain. Pour ce faire, il faut s’engager plus directement auprès des universités nationales et d’autres institutions académiques pour concevoir des programmes, des diplômes et des spécialisations axés sur l’élaboration, la diffusion et la traduction de données météorologiques d’une qualité éprouvée. Les programmes doivent également aborder les actions anticipées et leurs sous-composantes, telles que les déclencheurs pour l’activation, l’identification des actions précoces les plus efficaces face à des dangers spécifiques, l’élaboration de mécanismes de suivi et d’évaluation, la mise en œuvre des accords de gouvernance et la définition des mandats pour la production et l’utilisation des données de prévision. La Mongolie offre un exemple de partenariat réussi entre la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge, un SMHN et des universités nationales: la Croix-Rouge mongole a en effet élaboré un PAP pour les hivers extrêmes, connus localement sous le nom de dzud, en collaboration avec l’Université des sciences de la vie de Mongolie, qui fournit des services analytiques vitaux. Cet exemple illustre une forme de collaboration possible, et devrait nourrir une réflexion sur la conception à plus haut niveau des programmes universitaires se rapportant aux sciences climatologiques et météorologiques appliquées de façon plus large.

Il est également nécessaire de diffuser les connaissances et les enseignements, afin que les parties prenantes à l’action anticipée puissent s’inspirer des bonnes pratiques utilisées ailleurs. C’est précisément l’objectif du Hub d’anticipation récemment créé.

p-MNG0260_MongoliaRedCross_jpg.jpegRéponse de la FICR aux «dzud» en Mongolie. (Source: FICR.) NPR-Dzud.pngLa Mongolie s’attend à des dzud de plus en plus rudes et de plus en plus fréquents. (Source: Bureau national des statistiques de Mongolie/Nick Underwood/NPR.)

Le Hub d’anticipation

Les actions anticipées sont peu à peu intégrées au système humanitaire, en particulier aux programmes et plans du réseau de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, des institutions du système des Nations Unies, des Membres de l’OMM et des organisations non gouvernementales (ONG), qui travaillent en étroite collaboration avec les organismes gouvernementaux, les universités et les instituts de recherche, ainsi que d’autres parties prenantes. Depuis 2014, ces acteurs ont généré un vaste corpus de connaissances, d’enseignements et de compétences sur la conception, la mise en œuvre et l’examen des initiatives d’action anticipée. La mise en œuvre se révèle souvent fructueuse lorsque les déclencheurs basés sur les prévisions et les PAP sont conçus en concertation avec le SMHN et d’autres organismes gouvernementaux.

Les plates-formes mondiales et régionales de dialogue sur l’action humanitaire anticipée ont permis à cette communauté d’échanger les connaissances acquises et de collaborer en matière d’action anticipée. Le Hub d’anticipation a été lancé en 2020 pour enrichir encore cette communauté, en facilitant continuellement l’échange de connaissances, l’apprentissage, l’orientation et le plaidoyer autour de l’action anticipée, à la fois virtuellement et en personne. Le Hub d’anticipation est une initiative conjointe de la Croix-Rouge allemande, de la FICR et du Centre du changement climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui compte plus de 80 partenaires au sein du mouvement de la CRCR, des universités, des instituts de recherche, des ONG, des organismes du système des Nations Unies, des gouvernements, des SMHN, des donateurs et d’autres initiatives de réseau. Le Hub d’anticipation a vocation à s’engager auprès des acteurs de tous les secteurs, à s’inspirer de leur expérience et à les inspirer en retour, afin de jeter des passerelles entre les secteurs de l’humanitaire, du développement et de la climatologie et d’exploiter les synergies entre les investissements dans la gestion des risques de catastrophe, les systèmes d’alerte précoce et l’action anticipée.

Pour encourager la collaboration, l’innovation et la création collaborative autour de différentes thématiques, le Hub d’anticipation réunit sous sa houlette une série de groupes de travail mondiaux. Par exemple, le Groupe de travail sur l’observation de la Terre à l’appui de l’action anticipée réunit les producteurs et les utilisateurs de prévisions pour mieux comprendre les besoins des utilisateurs et créer des occasions de tester les idées générées par les projets. Par ailleurs, le Hub d’anticipation relie les leçons apprises et les expériences acquises par l’intermédiaire des groupes de travail techniques nationaux et régionaux pluridisciplinaires sur l’action anticipée, par exemple dans la région AsiePacifique. Ces groupes de travail sont essentiels pour faciliter la coordination multipartite entre les communautés humanitaire et hydrométéorologique. Ils peuvent par exemple élaborer conjointement des prévisions basées sur les impacts et harmoniser les déclencheurs d’action précoce, comme le recommandent les Directives de l’OMM sur les services de prévision et d’alerte multidanger axées sur les impacts (OMM-N° 1150), partie II, la CRCR et le Met Office (Royaume-Uni). Les Sociétés nationales, les ONG et d’autres acteurs locaux peuvent appuyer les efforts que mènent les gouvernements pour s’assurer que les alertes sont diffusées, bien comprises et suivies d’une action rapide. Le Hub d’anticipation peut renforcer l’accès des acteurs locaux aux connaissances, aux conseils et aux compétences, par exemple par le biais d’articles de blog, de matériels didactiques et de bases de données sur l’action précoce et les déclencheurs.

Les partenariats de recherche soutiennent également avec efficacité la création collaborative de déclencheurs et de PAP, ainsi que la constitution d’un corpus de données probantes à l’appui de l’action précoce. Dans le cadre du projet projet «Forecasts for AnTicipatory HUManitarian action» (FATHUM), par exemple, des scientifiques de l’Université de Reading ont collaboré avec des organismes publics en Ouganda dans le but de recueillir des connaissances locales pouvant améliorer la pertinence des prévisions d’inondations à l’échelle mondiale et offrir ainsi une solution provisoire pour le déclenchement de l’action précoce. Dans le cadre du projet «Forecast-based Preparedness Action» (ForPaC), des chercheurs kényans et britanniques ont analysé la pertinence des prévisions saisonnières et leur potentiel en matière d’action anticipée. Un consortium académique interdisciplinaire formé d’Universités du Bangladesh, des États-Unis d’Amérique, du Lesotho, du Mozambique, de la Namibie, de l’Ouganda et des Philippines s’est donné pour objectif de produire davantage de preuves des avantages de l’action anticipée. Le Hub d’anticipation est particulièrement bien placé pour réunir les connaissances de plus en plus nombreuses issues de tels partenariats, qui font le lien entre la science, la politique et l’action sur le terrain.

Le projet pilote Weather4UN de MétéoSuisse

L’objectif du projet Weather4UN est de contribuer à la mise en place du mécanisme de coordination de l’OMM, qui renforcera l’appui de l’Organisation aux institutions des Nations Unies et à d’autres organismes humanitaires. Le projet lui-même se compose de deux lots de travaux complémentaires. Le premier vise à améliorer l’accès aux produits, aux informations, aux compétences et aux conseils porteurs de valeur ajoutée fournis au secteur de l’action humanitaire, en exploitant les produits faisant autorité mis à disposition par les Membres de l’OMM. Le deuxième lot de travaux facilite la collaboration entre les milieux universitaires (l’École polytechnique fédérale de Zurich), la FICR et les Membres de l’OMM afin d’améliorer l’analyse d’impact, en amont des phénomènes hydrométéorologiques potentiellement destructeurs. Pour les deux lots, les équipes veulent s’appuyer sur des produits faisant autorité, utiliser des prévisions météorologiques probabilistes et suivre une approche cohérente au niveau mondial. Le projet mettra à profit les capacités des SMHN et renforcera l’étroite collaboration qui existe déjà entre les Membres de l’OMM, le Secrétariat, l’Organisation des Nations Unies (ONU) et les autres organismes humanitaires.

La plupart des Membres de l’OMM travaillent déjà en partenariat avec les parties prenantes pour combiner les données sur les dangers, l’exposition et la vulnérabilité d’une manière qui leur permette d’estimer les impacts des phénomènes hydrométéorologiques et d’ouvrir la voie à des financements, des décisions et des actions anticipées fondés sur des prévisions. Ainsi est-il nécessaire de parvenir à une compréhension et une définition communes de ces trois composantes (danger, exposition, vulnérabilité) pour exploiter les prévisions d’impact à l’appui de l’action anticipée. Dans cette perspective, le deuxième lot de travaux vise à mettre au point un prototype de prévision des risques multidanger et multisectoriel, fondé sur des prévisions hydrométéorologiques probabilistes faisant autorité. Le prototype sera mis en œuvre dans le modèle de risque probabiliste libre, cohérent à l’échelle mondiale CLIMADA (Aznar-Siguan et Bresch, 2019), développé à l’École polytechnique fédérale de Zurich.

Les prévisions hydrométéorologiques ainsi que les informations sur l’exposition et la vulnérabilité comportent un degré d’incertitude élevé. En conséquence, le deuxième lot de travaux utilisera des informations de prévision probabilistes pour évaluer quantitativement les incertitudes en matière d’exposition et de vulnérabilité et faciliter ainsi la mise en place d’un processus décisionnel structuré, en s’appuyant sur une première version existante de ce système de prévision fondé sur les impacts (Röösli et al., 2021).

Pendant les phases de développement et de prototypage, le deuxième lot de travaux se concentrera sur les besoins de la FICR en particulier, pour lui permettre d’intégrer ces informations dans les outils d’aide à la décision qu’elle utilise déjà. Au fil du temps, à mesure que le système gagnera en maturité, l’objectif sera de mener des discussions productives avec les autres organismes humanitaires et les Membres de l’OMM, afin que ces informations, ces outils et les connaissances qui les sous-tendent soient rendus accessibles à la famille élargie de l’OMM, de l’ONU et des autres organismes humanitaires.

L’OMM et l’action anticipée

L’action anticipée touche, d’une façon ou d’une autre, un grand nombre d’aspects de la société. Cependant, le soutien apporté par les Membres de l’OMM est la première pierre sur laquelle se construit l’action anticipée liée aux conditions météorologiques, climatiques et hydrologiques. L’appui de l’OMM à l’action anticipée commence dès les premières phases de la production des prévisions, au stade où les Membres produisent les observations vitales, tant terrestres que spatiales, nécessaires pour alimenter la machine moderne de la prévision, qui repose sur des années de recherche scientifique et d’innovation et est structurée par le Système mondial de traitement des données et de prévision (SMTDP) de l’OMM.

Le SMTDP est composé d’un ensemble d’entités qui interviennent à trois niveaux différents: les Centres météorologiques mondiaux (CMM) à l’échelon de la planète, les Centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS) et les centres climatologiques régionaux à l’échelon des régions, et les Centres météorologiques nationaux (CMN) à l’échelon des pays. Les CMM produisent des données et des produits de grande qualité, qui sont diffusés auprès de tous les Membres pour que ceux-ci les incorporent dans leurs propres processus de prévision. Les CMRS et les CMN travaillent ensuite avec les parties prenantes et les communautés pour comprendre les facteurs de vulnérabilité et inclinations au risque spécifiques, qui seront pris en compte pour étayer le développement et la production de prévisions fondées sur les impacts. De la sorte, les CMN s’assurent que les prévisions exercent un effet catalyseur sur l’action – autrement dit, qu’elles sont «utiles, utilisables et utilisées».

Prochaines étapes

L’action anticipée devrait être un automatisme – un réflexe quasi inconscient présent dans tous les aspects de nos vies. Pour que l’action anticipée trouve sa place dans les politiques et les processus décisionnels au niveau communautaire, les gouvernements et les partenaires pour le développement doivent faire de l’intégration systématique de l’action anticipée dans toutes les composantes de leurs activités une priorité. Cela passe par un engagement et un soutien accrus à la communauté hydrométéorologique. Les acteurs de l’humanitaire, du climat et du développement doivent agir en concertation pour faire tomber les cloisonnements et s’assurer que les populations les plus exposées au risque agissent en amont des catastrophes.

La communauté hydrométéorologique doit également développer et renforcer ses liens avec le monde universitaire, car comme on l’entend souvent dire, si les gouvernements, les politiques et la société changent, le monde universitaire offre un espace stable d’innovation et de discussion. Il est essentiel d’ancrer fermement les principes de l’action anticipée dans la prochaine génération de dirigeants, en élaborant des programmes d’études adéquats dans les disciplines liées au climat, à la météorologie et aux risques de catastrophe, et d’encourager des relations de fond entre les universités. La communauté hydrométéorologique doit aussi passer continuellement en revue les activités opérationnelles et de recherche, pour déterminer les domaines à améliorer. Par exemple, pendant les épisodes El Niño et La Niña, les prévisions saisonnières dans certaines parties du monde sont plus pertinentes, ce qui signifie que ces informations sont peut-être plus fiables durant ces périodes qu’à d’autres moments de l’année. La recherche et l’innovation pourraient-elles mettre au jour d’autres liens exploitables entre prévision et impacts?

Dernière réflexion, l’action anticipée doit-elle seulement viser à atténuer les effets des phénomènes météorologiques et climatologiques destructeurs? Pourrions-nous également exploiter cette expertise pour tirer profit de conditions favorables annoncées et concrétiser ainsi de nouvelles possibilités encore insoupçonnées? Peut-être ce thème pourrait-il être abordé dans une prochaine édition du Bulletin.

Auteurs

Par Alicia Pache, Pamela Probst, Isabelle Bey et Thomas Röösli, MétéoSuisse, David N. Bresch, École polytechnique fédérale de Zurich et MétéoSuisse, Andrew Kruczkiewicz, Centre du changement climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Ege Seçkin et Ruth Hanau Santini, PhD, Programme alimentaire mondial (PAM), Kara Devonna Siahaan, Gantsetseg Gantulga et Lydia Cumiskey, Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et Gavin Iley, Secrétariat de l’OMM. 

 
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